Climat : une prise de conscience croissante des enjeux d’adaptation au Japon
Si les enjeux climatiques restent encore secondaires au Japon à de multiples échelons (politiques publiques, action citoyenne, projets privés) et que, parmi les problématiques médiatisées, l’atténuation demeure prédominante, les enjeux d’adaptation prennent progressivement de l’ampleur. La vulnérabilité de l’archipel aux évènements climatiques extrêmes se faisant de plus en plus visible ces dernières années, le gouvernement japonais intègre de fait graduellement ces questions dans ses politiques et discours – sur la scène domestique comme à l’international. Cette orientation constitue une opportunité pour la coopération franco-japonaise, à l’échelle de nos ministères mais aussi de nos collectivités et entreprises, à domicile comme en pays tiers.
Une vulnérabilité de l’archipel aux évènements climatiques extrêmes de plus en plus visible et conséquente
Les récents évènements climatiques extrêmes ont rappelé la vulnérabilité du Japon…
À la suite des multiples évènements ayant sinistré l’archipel en 2018 (typhons, inondations, canicules, séismes, glissements de terrain), 災 (sai) signifiant « désastre » avait été désigné caractère de l’année.
Les typhons Faxai et Hagibis, particulièrement violents, en septembre et octobre 2019 ont une fois encore rappelé cette réalité, avec un important bilan humain, économique et environnemental : plus de 90 morts ; plus d’un million de foyers sans électricité ; des dommages causés aux secteurs de l’agriculture, de la foresterie et des pêches se chiffrant à plus de 100 milliards de yens ; des dizaines de sacs de déchets radioactifs de la centrale de Fukushima éparpillés par les vents ; l’inondation d’un dépôt de trains entrainant des retards et annulations sur plusieurs semaines et la mise au rebut par JR East du tiers de sa flotte de Shinkansen sur la ligne Hokuriku ; etc. Par-delà leurs conséquences directes, ces évènements ont mis en exergue les vulnérabilités plus profondes du système japonais en matière de robustesse du réseau électrique, de gestion des débris par les municipalités (avec risques d’incendies dans les décharges) et de résilience des infrastructures (notamment, 60% des dépôts de Shinkansen en zones inondables).
Outre les catastrophes ponctuelles, le Japon souffre d’ores et déjà chroniquement du réchauffement climatique, via par exemple le déclin de la qualité de ses produits agricoles, l’augmentation des victimes de « coups de chaleur » ou la modification de la répartition de ses espèces animales et végétales.
… alors même que les experts prédisent leur aggravation en termes d’intensité et de fréquence
Le rapport spécial 1,5°C du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) alerte de l’aggravation anticipée de l’intensité et de la fréquence de ces évènements ; mise en garde étayée pour le Japon par les données de l’agence météorologique nationale. En 2018, un rapport interministériel[1] indiquait que les impacts du réchauffement étaient déjà visibles dans plusieurs secteurs au Japon et devraient empirer dans le futur.
En plus des risques sanitaires et économiques causés par la multiplication des jours où le mercure dépassera les 35°C, plus de 50 millions de personnes au Japon seraient exposées à des risques significatifs d’inondation dans un scénario de réchauffement global à +2°C. Osaka-Kobe, Tokyo et Nagoya sont ainsi listées par l’OCDE parmi les 20 villes les plus exposées aux inondations côtières avec, au total pour ces trois villes, jusqu’à plus de 2 700 milliards US$ d’actifs à risque d’ici 2070.
Une mise en œuvre croissante de mesures de prévention et adaptation
Si le Japon est ouvertement critiqué pour la faiblesse de ses politiques d’atténuation des changements climatiques, il semble être de plus en plus actif en matière d’adaptation. En 2015, le Cabinet Office (Premier Ministre) adoptait un plan national d’adaptation, renforcé en juin 2018 par une loi d’adaptation aux changements climatiques. Celle-ci fixait 1/ le rôle de chaque acteur ; 2/ la nécessité pour le gouvernement de formuler un plan et de développer une méthode de suivi et d’évaluation de son implémentation ; et 3/ la nécessité de réviser ce plan tous les 5 ans sur la base d’une enquête sur les conséquences des changements climatiques.
Le plan (effectivement adopté en novembre 2018) liste ainsi les conséquences prévues des changements climatiques d’ici la fin du siècle dans différents secteurs et les mesures à mettre en œuvre pour les contrer[2]. Les collectivités locales doivent également promouvoir leurs propres mesures dans un plan spécifique, adapté à la situation locale. En décembre 2018, un Centre pour l’Adaptation aux Changements Climatiques a par ailleurs été créé en vue de fournir un appui scientifique aux acteurs impliqués dans l’adaptation ; il gère notamment une plateforme sur l’adaptation (A-PLAT) à l’usage des citoyens, collectivités et entreprises.
Cette orientation transparaît dans d’autres stratégies gouvernementales, notamment la stratégie de croissance à long-terme dans le cadre de l’Accord de Paris adoptée en juin 2019 (dans laquelle l’adaptation et la résilience sont l’un des cinq axes intersectoriels identifiés), la promotion de « Regional Circular Ecological Spheres » (une économie écologique et circulaire au niveau local) ou encore les politiques énergétiques en faveur des systèmes de stockage (dont l’hydrogène) et d’une gestion intelligente des réseaux.
De nombreux projets voient ainsi le jour en vue de prévenir les désastres (à l’image du Metropolitan Area Outer Underground Discharge Channel, ce « temple souterrain » de détournement des eaux protégeant Tokyo des inondations) mais aussi de préparer la population à ceux-ci (avec le déploiement de plans d’évacuation et d’Early Warning Systems).
Le gouvernement japonais encourage ses entreprises nationales à tenir compte des risques mais aussi des opportunités créées par le besoin d’adaptation, et promeut cette orientation au-delà de ses frontières – non sans lien avec ses velléités d’exportations d’infrastructures de qualité vers la zone Indopacifique. À l’occasion de sa présidence du G20 en 2019, le Japon avait fait de ce thème un sujet central et lancé la Plateforme Asie-Pacifique d’Information sur l’Adaptation (AP-PLAT).
Pour aller plus loin...
- Actualités Japon - Énergie, Environnement, Transport, Construction - Décembre 2019 (II) :
- Le Japon classé pays le plus frappé par les désastres climatiques en 2018 par le think-tank Germanwatch
- Le nombre de souscriptions à des assurances évacuation par des autorités locales japonaises triple en 18 mois
- JR East va surélever de 10 mètres certaines installations au dépôt de Shinkansen de Nagano inondé au passage du typhon Hagibis en octobre
- Actualités Japon - Énergie, Environnement, Transport, Construction - Décembre 2019 (I) :
- Le gouvernement japonais réfléchit à la création d'un système de licences en faveur d’une production et distribution locales d'électricité renouvelable
- Onoda Sangyo développe un abri de secours flottant pour les victimes d’inondations
- Le gouvernement japonais envisage de subventionner l’installation de générateurs d’électricité renouvelable et équipements de stockage d’électricité dans les bâtiments (notamment écoles, hôpitaux) utilisés comme centres d’évacuation
- La ville de Sendai lance un nouveau projet de voie fluviale en vue de prévenir les inondations
- Actualités Japon - Énergie, Environnement, Transport, Construction - Novembre 2019 (II) :
- Le gouvernement japonais va encourager les foyers à s’équiper de systèmes de stockage d’énergie en vue de former des centrales électriques virtuelles (Virtual Power Plants, VPP) résilientes aux catastrophes naturelles
- Les typhons et inondations de ces derniers mois créent des difficultés pour les trois principaux assureurs japonais
- JR East va mettre au rebut 10 Shinkansen inondés lors du passage du typhon Hagibis, soit le tiers de sa flotte sur la ligne Hokuriku reliant Tokyo et Kanazawa
- FOMM Corp. développe une voiture électrique flottante pour fournir une échappatoire aux victimes de typhons et inondations
- Actualités Japon - Énergie, Environnement, Transport, Construction - Novembre 2019 (I) :
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Le Japon fait le décompte des conséquences du typhon Hagibis, alors que les phénomènes climatiques extrêmes devraient se multiplier dans les années à venir
- Les manifestations pour le climat Extinction Rebellion arrivent à Tokyo, mais la jeunesse japonaise demeure peu mobilisée
- Des « temples souterrains » ont protégé Tokyo des inondations après le passage du typhon Hagibis
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- Coopération franco-japonaise pour une société bas carbone : retour sur la rencontre 2019 (Octobre 2019)
- La décentralisation des énergies renouvelables au Japon : un processus enclenché après la catastrophe de Fukushima qui peine à trouver un second souffle (Juillet 2019)
- Territoires bas-carbone, production locale et revitalisation régionale : le concept japonais de « Regional Circular and Ecological Sphere » (Juin 2019)
- Politique de développement des partenariats public-privé pour les infrastructures au Japon (Octobre 2018)
- Le développement des fermes verticales au Japon (Juillet 2018)
- Appropriation des Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’ONU au Japon (Mars 2018)
[1] Ministères de l’Environnement (MOE), de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche (MAFF), du Territoire, des Infrastructures, des Transports et du Tourisme (MLIT), de l'Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie (MEXT) et Agence météorologique du Japon (JMA).
[2] Y figurent par exemple, dans le domaine de la prévention des désastres naturels, la nécessité d’aménager des digues de taille suffisante et, dans le domaine agricole, le développement et déploiement de variétés résistantes aux hautes températures et l’introduction progressive de technologies robotiques permettant d’éviter le travail humain sous de fortes chaleurs.
Auteur : Marine Malacain, pôle développement durable