Depuis 1999, le gouvernement japonais encourage le recours aux partenariats public-privé pour la construction et l’exploitation d’infrastructures et bâtiments de services publics. D’abord influencé par le modèle anglo-saxon « Private Finance Initiative », le Japon cherche désormais à développer le modèle des concessions. A cette fin, un plan d’action assorti d’objectifs chiffrés a été défini en 2013 et est révisé chaque année depuis 2016 ; pour les concessions, il fixe notamment un nombre de projets à réaliser dans des secteurs tels que les aéroports, l’assainissement, et plus récemment les terminaux de croisière ou encore l’hydroélectricité. Cette politique est pilotée par le Cabinet Office, avec l'appui des ministères sectoriels – en particulier le MLIT, mais la mise en œuvre opérationnelle repose largement sur les collectivités locales. Cette dynamique est porteuse d’opportunités pour les entreprises étrangères, notamment françaises.

1.      Les partenariats public-privé au Japon : historique et définition

Dans le cadre de la mise en œuvre de mesures de relance suite à l’éclatement de la bulle spéculative japonaise, les contrats d’initiative de financement privé (Private Finance Initiative, PFI) calqués sur le modèle anglais ont fait leur apparition au Japon en 1999. Il s’agissait alors d’un outil nouveau, permettant l’aménagement d’infrastructures et installations publiques à moindre poids sur les finances publiques. Le PFI s’est diffusé progressivement de 1999 à 2006, notamment dans la construction de bâtiments, pour atteindre un record de 43 projets en 2007, et ensuite amorcer une décroissance du fait de la crise économique de 2008 et de difficultés rencontrées sur certains projets (échecs financiers, échecs techniques…).

En 2009, face à la stagnation et au besoin de renouvellement et d’entretien des infrastructures publiques – pour la plupart construites au cours de la période de croissance économique –, le gouvernement relance une réflexion sur l’introduction des PFI/PPP. Cette dernière aboutit, en 2011, à la révision de la loi de 1999 afin d’y introduire le système de concession. Le cadre légal est de nouveau renforcé en 2013, et un plan d’action national est défini pour la période 2013-2022.

A travers le soutien à ces modèles, le gouvernement vise, par l’intégration de mécanismes de marché et de concurrence dans les services publics, à améliorer l’efficacité de ces derniers, réduire la charge financière pour les acteurs publics, créer de nouveaux emplois et promouvoir in fine la croissance économique.

Les PPP japonais sont aujourd’hui classés en 4 catégories :

I. La concession (introduite en 2011) : l’acteur public confie la gestion d’une infrastructure existante à un opérateur privé, qui se rémunère sur les frais payés par les usagers et verse une redevance à l’acteur public. La construction de l’infrastructure est à la charge de l’acteur public, qui couvre les coûts engagés en collectant les redevances. Si les coûts de construction de l’infrastructure sont supérieurs aux redevances perçues sur la durée du contrat, le surcoût reste à la charge de l’acteur public.

II. Le contrat PFI permettant de valoriser une installation publique en créant une activité commerciale : l’opérateur privé construit et gère des infrastructures commerciales autour ou à l’intérieur d’une installation publique et perçoit les revenus générés par ces activités commerciales tandis que l’acteur public perçoit des redevances liées à l’utilisation de l’installation publique.

III. Le contrat PPP : l’acteur public confie la construction et la gestion d’infrastructures publiques et privées à un opérateur privé, qui se rémunère sur les revenus générés par les infrastructures privées tandis que l’acteur public collecte les redevances d’utilisation des installations ou terrains publics.

IV. La méthode conventionnelle Private Finance Initiative (PFI) sous forme de paiement différé au partenaire privé : l’acteur public effectue un paiement différé au profit d’un opérateur privé pour la construction et/ou la gestion d’une installation publique. La charge du financement incombe à l’acteur public.

2.     Stratégie nationale et rôle des acteurs publics dans le déploiement des PPP

Le Cabinet Office (rattaché au Premier Ministre) définit le cadre réglementaire et la stratégie de promotion et de développement des PPP. En 2013, il a établi un Plan d’action[1] afin d’accélérer le déploiement des PPP au Japon, incluant des cibles spécifiques sur les concessions.

Le plan d’action initial contenait des objectifs chiffrés par type de contrat pour 2013-2022, avec pour dessein d’atteindre 10 à 12000 Mds JPY de projets au total. En 2016, cet objectif a été revu à la hausse ; le montant total visé pour 2013-2022 atteint désormais 21000 Mds JPY – dont 7000 Mds JPY en concession, 5000 Mds JPY en projets PFI permettant de valoriser une installation publique via l’adjonction d’une activité commerciale, 4000 Mds JPY en contrats PPP.

Le plan de 2013 définit également des objectifs spécifiques en termes de projets de concessions, à réaliser avant 2020 : 1 projet autoroutier, 6 projets aéroportuaires, 6 projets d’eau potable, 6 projets d’assainissement. Des cibles complémentaires ont été ajoutées en 2016 (3 installations culturelles/éducatives avant 2020, 6 immeubles de logements publics avant 2018), 2017 (3 terminaux de croisière et 6 centres de congrès/exposition avant 2019) et 2018 (3 centrales hydroélectriques et 3 réseaux d’eau industrielle avant 2020). Globalement, les résultats à ce jour sont très inégaux : ils sont atteints ou en passe de l’être pour l’aéroportuaire, l’autoroutier et l’assainissement, mais des retards sont constatés dans le  logement public et l’eau potable.

Afin d’accompagner la réalisation du plan, le Cabinet Office dispose d’un budget de 170 millions JPY. Ce budget est employé, entre autres, pour la promotion des PPP/PFI auprès des collectivités locales, la réalisation d’études et l’amélioration des procédures visant l’émergence de projets dans les secteurs de l’aéroportuaire et de l’assainissement. Le Cabinet Office a également un rôle de contrôle sur la réalisation de ces projets.

Les différents ministères sectoriels sont chacun en charge de la promotion du modèle PPP/PFI, pour les infrastructures des services publics de leurs domaines de compétence. Ainsi, le Ministère du Territoire, des Infrastructures, du Transport et du Tourisme (MLIT) est en charge de la promotion du modèle pour les aéroports, les logements publics, les routes et l’assainissement. C’est le ministère le plus concerné par cette politique, dans la mesure où il est en charge de la majorité des infrastructures pour l’aménagement du territoire. Toutefois, d’autres ministères sont également concernés : le Ministère de la Santé et du Travail (MHLW) pour le secteur de l’eau potable et pour les installations médicales ; le Ministère de l’Education, de la Culture, des Sports, de la Science et de la Technologie (MEXT) pour les installations sportives, les établissements éducatifs et les bâtiments culturels ; le Ministère de l’Industrie et de l’Energie (METI) pour l’énergie et l’eau industrielle, le Ministère de la Justice (MOJ) pour les prisons.

Si le gouvernement a pour rôle de concevoir et promouvoir la politique nationale de soutien aux PPP, l’initiative des projets revient en revanche souvent aux collectivités locales (sauf infrastructures d’Etat). Ces dernières jouent donc un rôle majeur dans la mise en place de la stratégie du Cabinet Office.

Nombre de contrats (toutes catégories) par secteur, de 2009 à 2017 (source Cabinet Office) :

Secteur

Acteurs principaux

Total

Etat

Collectivité

Autre

Education et culture

3

179

38

220

Vie et bien-être (maisons de retraite, crèches…)

0

23

0

23

Santé et environnement (déchets, médical, funérarium…)

0

105

2

107

Industrie (tourisme, promotion agricole, etc.)

0

12

0

12

Aménagement (routes, parcs, assainissement, ports...)

18

129

1

148

Sécurité et sûreté (casernes, prisons...)

8

18

0

26

Bureaux et logements publics

43

15

4

62

Autres

7

60

1

68

Total

79

541

46

666

En amont des projets, les collectivités ont une mission de promotion du recours aux PPP qui implique la réalisation d’enquêtes visant à collecter l’opinion des citoyens. En aval, elles établissent à leur niveau les méthodes d’évaluation et de sélection des partenaires privés au moment des appels d’offres, et définissent[2] la réglementation traitant des projets à l’initiative du secteur privé.

La loi actuelle ne définit pas la limite des pouvoirs confiés à l’opérateur privé. Aussi, les collectivités locales ont exprimé des inquiétudes sur l’exécution des projets de concessions et craignent de perdre toutes leurs prérogatives sur les infrastructures publiques au profit des partenaires privés. Un autre obstacle à l’appropriation du modèle PPP par les collectivités est l’opposition des agents de ces collectivités, percevant le développement des PPP comme une menace pour l’emploi public.

3.     Exemples et opportunités d’affaires

De façon générale, les acteurs privés japonais du secteur des infrastructures restent relativement peu familiers des modèles PPP – en particulier le modèle concessif, le plus récemment introduit au Japon. Ils peuvent donc se tourner vers des partenaires étrangers pour se positionner sur les projets portés par les collectivités japonaises. Le gouvernement japonais est également conscient de ce besoin de recours aux compétences étrangères. L’expertise française notamment est reconnue et recherchée, comme le démontrent de récents succès dans les secteurs aéroportuaires et du traitement de l’eau.

3.1 Secteur aéroportuaire

EAéroport de Sapporon 2011, le MLIT a présenté un plan d’envergure visant à privatiser tous les principaux aéroports japonais d’ici 2020. Cette privatisation implique un contrat de concession à long-terme, pour la gestion des pistes, des infrastructures et des parkings, sans inclure la gestion du contrôle du trafic aérien qui relève toujours de la compétence du gouvernement national.

Ce plan a enregistré ses premières concrétisations en 2016, d’abord avec l’aéroport de Sendai en février, puis les aéroports d’Osaka en avril (voir paragraphe suivant). Ont suivi les aéroports de Takamatsu (concession confiée à un consortium japonais constitué par Mitsubishi Estate, Taisei, Pacific Consultants), de Fukuoka en 2018 (consortium regroupant notamment Changi Airport et Mitsubishi Corp. Un ensemble de 7 aéroports de Hokkaido sera concédé à partir de 2020, avec une procédure de sélection du concessionnaire menée sur 2018-2019. Sont également prévues la mise en concession des aéroports de Kumamoto (projet lancé en 2019) et Hiroshima (sélection du concessionnaire en 2020).

Tous ces projets ouvrent des opportunités pour des acteurs étrangers disposant de compétences en gestion aéroportuaire, les acteurs domestiques ayant accumulé du retard technique et organisationnel dans ce domaine, par rapport à leurs concurrents étrangers. Les aéroports d’Osaka (en 2016) ainsi que celui de Kobe (en 2018) ont ainsi été concédés à Kansai Airports, consortium conduit par le groupe financier japonais Orix (40%) et l’entreprise française Vinci Airports (40%), associés à des acteurs locaux (20%). Le contrat porte sur une durée de 44 ans et représente une redevance annuelle de 49 Mds JPY (env. 368 M€) versée par Kansai Airports. Le projet des aéroports de Hokkaido suscite quant à lui l’intérêt de Vinci Airports et de Groupe ADP.

3.2  Secteur du traitement de l’eau

Les services d’assainissement et d’approvisionnement en eau sont traditionnellement gérés par les autorités municipales. Cette mission de la municipalité est confiée à une compagnie publique locale qui dispose d’un budget séparé du budget général de la municipalité (modèle comparable à la «  régie à caractère industriel et commercial » en France). Plusieurs opérations ponctuelles, telles que la construction de stations de filtration ou les audits sur l’état des infrastructures, ont été réalisées par des entreprises privées avant le mouvement de développement des concessions, sans que cela implique des contrats à long-terme sous la forme de PPP[3]. Les coûts de rénovation et de maintenance dans ce secteur sont prévus pour augmenter de 70% d’ici 2030, en raison du vieillissement et de la détérioration des infrastructures d’assainissement et d’approvisionnement en eau. Des projets de concession dans le domaine du traitement de l’eau sont actuellement à l’étude dans les villes d’Osaka, Nara et Miura, et au sein de la préfecture de Miyazaki, avec des niveaux d’avancement inégaux (projet peu actif à Osaka, calendrier publié pour Miura…).

Le MLIT s’interroge actuellement sur la possibilité de réaliser des projets en PPP pour la rénovation et la maintenance des réseaux d’assainissement en réponse au vieillissement et à la détérioration des infrastructures. Le coût de ces projets de rénovation et gestion étant élevé, le MLIT cherche la meilleure façon de rentabiliser les projets de concession dans ce domaine. Dans ce contexte, la Diète travaille actuellement sur un projet de loi visant à améliorer l’efficacité de la gestion de l’eau (eau potable et eaux usées), incluant les questions de privatisation. En février 2018, le Cabinet Office a lancé un appel à projet pour la réalisation « d’études pour une meilleure gestion des réseaux d’eau » ; les villes sélectionnées sont Eniwa (Hokkaido), Sakata (Yamagata), Tsubata (Ishikawa), Wakayama (Wakayama), Awaji (Hyogo) et Akaiwa (Okayama).

Concession d'assainissement Hamamatsu (source image : Veolia)En octobre 2017, Veolia a remporté avec un consortium (incluant JFE Engineering et Orix) la première concession à long terme de la gestion d’eaux usées municipales au Japon – la principale classe d’actifs du pays en termes d’infrastructures, un marché estimé à 90 trillions JPY (environ 747 Mds EUR)[4]. Le contrat couvre les travaux, l’exploitation et la maintenance des infrastructures de traitement des eaux usées de la ville de Hamamatsu. Le consortium souhaite par ailleurs utiliser les boues d’épuration (biomasse) pour produire de l’électricité renouvelable afin de réduire les coûts d’exploitation. Le chiffre d’affaires cumulé est estimé à 450 millions EUR pour la durée du contrat (20 ans).

3.3  Autres secteurs et perspectives

Comme indiqué précédemment, les PPP se développent au Japon dans de nombreux secteurs. Ils devraient donc logiquement accompagner les politiques prioritaires de services publics locaux des prochaines années. On peut ainsi supposer que le recours aux PPP devrait continuer de se développer dans le secteur des bâtiments de santé et d’accueil de personnes âgées (en lien avec la problématique de vieillissement de la population), dans celui des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique des bâtiments (en réponse à la nécessaire transition énergétique du pays, qui mobilisera les collectivités locales), ou encore autour des infrastructures liées au tourisme, ce secteur constituant un axe majeur de la politique de développement économique du pays. En matière d’urbanisme, la politique Compact City portée par le MLIT amène les villes à revoir l’organisation spatiale et les modèles économiques des bâtiments publics et des réseaux de transport ; ce mouvement pourrait trouver dans les PPP une réponse aux défis posés sur le plan financier. A plus court terme, les Jeux Olympiques de 2020 pourraient entraîner dans leur sillage un besoin de recours aux PPP pour la gestion des infrastructures dont le développement aura été accéléré à leur occasion.


 

[1] “Action Plan for Fundamental Reforms of PPP/PFI”.

[2] Il existe une règlementation générale pour les projets PPP, formalisée par la loi PFI. Les collectivités locales définissent des directives pour réguler les projets PPP sur leur territoire. Cependant, pour la mise en œuvre d’un projet PPP, il faut appliquer les dispositions définies par la loi PFI. Suivant l’article 18 de la loi PFI, il est nécessaire de fixer le principe de la mise en œuvre par un arrêté pour le projet de la concession.

[3] Les contrats conclus s’assimilent plus à des marchés publics classiques.

[4] Ce montant correspond à la valeur du marché japonais des systèmes de traitement des eaux usées, en d’autres termes le montant des revenus qui peuvent être générés dans le cadre de l’exploitation de ce marché.