Le Japon a été l’un des premiers pays à concevoir un modèle de développement basé sur la circularité des ressources, à travers la mise en place d’une « Société respectueuse du cycle des matières » dès les années 2000. Cependant, le périmètre opérationnel de l’économie circulaire au Japon est limité au champ traditionnel des déchets qu’il s’agit de prévenir, de réutiliser ou de recycler.

Ainsi, certains aspects des politiques d’économie circulaire en Europe comme l’approvisionnement durable, le développement de nouveaux services ou encore les modifications des modes de consommation ne font pas partie du spectre opérationnel de l’économie circulaire au Japon, démontrant que l’appropriation du concept peut grandement varier d’un pays à un autre. Le 4ème plan quinquennal promulgué en juin 2018 démontre une forte volonté du gouvernement japonais de développer des politiques d’économie circulaire plus intégrées, de renforcer ses actions dans des domaines prioritaires générateurs d’un volume important de déchets, et de continuer de faire rayonner les savoir-faire japonais sur la scène internationale.

1. Un système légal complet pour l’implantation d’une société respectueuse du cycle des matériaux

Dans le Japon des années 1960 et 1970, la croissance économique rapide a mené à une augmentation du volume de déchets industriels et à l’émergence de problèmes de pollution. Le Japon a donc développé un dispositif législatif dès les années 1990, visant à réduire le volume de déchets générés et à les traiter de manière appropriée. C’est ainsi que s’est développé le concept de « Société respectueuse du cycle de vie des matériaux » correspondant au modèle de développement de l’économie circulaire dans l’archipel. Ce nouveau modèle s’est imposé comme une nécessité, dans un pays en manque de matières premières et d’espace de mise en décharge.

Le dispositif législatif encadrant la mise en place d’une société respectueuse des matériaux est structuré en trois niveaux : les lois fondamentales, complémentaires et sectorielles. Les lois fondamentales sont au nombre de deux : la loi-cadre sur l’environnement établie en 1994 et la loi-cadre pour l’établissement d’une société respectueuse du cycle des matières, datant de 2000. Cette deuxième loi-cadre prévoit la définition d’un plan d’action renouvelé tous les cinq ans (en 2003, 2008, 2013 et 2018), qui définit de manière compréhensive les évolutions sociétales nécessaires à l’avènement d’une telle société et précise comment celle-ci pourrait s’articuler avec le développement d’un système économique et social efficient, assurant la sécurité de tous. Viennent ensuite deux lois complémentaires : la loi sur la gestion des déchets et la loi sur la promotion de l’usage efficace des ressources. Enfin, des lois sectorielles centrées sur un type de déchet particulier complètent le dispositif législatif : lois sur le recyclage des emballages, des déchets électroménagers, des matériaux de construction, des véhicules en fin de vie, des déchets d'équipements électriques et électroniques (D3E) et des déchets alimentaires.

Loi

Cadre législatif pour l’établissement d’une société respectueuse du cycle de vie des matériaux. Source : MOE.

2. Une conception de l’économie circulaire articulée autour de la notion de déchets, qui diffère de l’approche française

wasteLa loi-cadre sur l’environnement précise que le gouvernement vise l’atteinte d’une société zéro-déchet à terme et qu’il se doit d’adopter les mesures appropriées à cette fin. En complément, la loi-cadre pour l’établissement d’une société respectueuse du cycle des matières fixe pour objectif « une société dans laquelle la consommation des ressources naturelles est préservée et l’impact environnemental réduit par l’application d’une démarche 3R (Réduire, Réutiliser, Recycler) aux déchets. » Pour le Japon, le périmètre opérationnel de l’économie circulaire est limité au champ traditionnel des déchets qu’il s’agit de prévenir, de réutiliser ou de recycler[1]. La loi fixe un ordre de priorité pour le traitement des déchets afin d’optimiser autant que possible le cycle de vie des biens : 1/ Réduction du volume de déchets générés via une révision des processus industriels ; 2/ Réutilisation ; 3/ Recyclage ; 4/ Récupération de la chaleur induite par l’incinération (désigné sous le nom de recyclage thermique) ; 5/ Élimination appropriée.

Ainsi au Japon, le concept  d’économie circulaire est directement associé au recyclage et aux initiatives 3R appliquées au champ des déchets. En revanche, les démarches d’approvisionnement durable, de consommation responsable, ou encore de symbiose industrielle, ne sont pas immédiatement associées dans l’imaginaire collectif, au développement d’une économie circulaire. Cette conception diffère de l’approche française, qui envisage l’économie circulaire comme un nouveau modèle économique visant à développer de nouveaux modèles de production et de consommation, voire à modifier les modèles d’affaires des entreprises, pour limiter le gaspillage de ressources (matières premières, eau, énergie, etc.) ainsi que la production des déchets. Si les politiques japonaises sont articulées autour de l’obligation de résultats, avec des objectifs chiffrés de traitement et de recyclage des déchets indiqués dans chaque plan fondamental, les politiques françaises sont quant à elles davantage centrées sur les démarches à encourager pour changer de paradigme économique[3].

3. Les tendances actuelles de l’économie circulaire au Japon : le 4ème plan fondamental 

Les plans fondamentaux renouvelés tous les cinq ans définissent les évolutions nécessaires à l’avènement d’une société respectueuse du cycle des matériaux. Le quatrième plan fondamental approuvé par la Diète le 19 juin 2018 est centré sur l’amélioration de la productivité des ressources et les enjeux particuliers auxquels le Japon doit faire face, notamment les catastrophes naturelles et le vieillissement de la population. Ce plan met notamment en place des cibles numériques pour 2025 :

  • un objectif de productivité des ressources de 490 000 JPY par tonne de ressources naturelles ;
  • un taux d’utilisation cyclique des ressources de 18% ;
  • un taux d’utilisation cyclique des déchets de 47% ;
  • un volume d’élimination finale de 13 millions de tonnes de déchets.

Targets

Par ailleurs, le plan est articulé autour de 7 piliers fondamentaux, indiquant les grandes tendances de développement de l’économie circulaire au Japon pour les cinq prochaines années : 1/ Mesures intégrées pour l’établissement d’une société durable 2/ Soutien aux principes fondamentaux des 3Rs et de la gestion des déchets 3/ Regional Circular and Ecological Sphere 4/ Circulation des ressources tout au long du cycle de vie 5/ Gestion appropriée des déchets et restauration de l’environnement 6/ Systèmes de gestion des déchets issus de catastrophes naturelles 7/ Circulation internationale des ressources.

Pillars

3.1 Une meilleure intégration des différentes dimensions du développement durable

Ce quatrième plan fondamental prône une meilleure intégration des mesures menant à l’établissement d’une société durable et met en avant la nécessité pour la population japonaise de s’approprier les Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’ONU. On perçoit donc une volonté grandissante du gouvernement japonais de développer des politiques de gestion circulaire des ressources, intégrant à la fois des aspects économiques, sociaux et environnementaux.

Cette tendance se confirme avec la mise en avant d’un nouveau concept, celui de Regional Circular and Ecological Sphere, qui constitue l’un des piliers du plan. Ce concept vise à intégrer les trois dimensions du développement durable, en promouvant la mise en place d’une société bas-carbone, autonome et décentralisée, en harmonie avec la nature. Ce nouveau modèle cherche à répondre de manière concomitante aux enjeux environnementaux auxquels l’archipel doit faire face, mais également aux enjeux de revitalisation des économies régionales et aux enjeux démographiques. Il permet également de promouvoir et de développer les initiatives locales durables déjà existantes sur le territoire : initiatives zéro déchets, systèmes d’énergie partagée, utilisation de la biomasse, etc.

3.2 Priorité accordée au recyclage et à la gestion adéquate des déchets, dans un contexte d’augmentation du risque de catastrophes naturelles

catastrophe HiroshimaTrois piliers du plan fondamental concernent le recyclage et la gestion adéquate des déchets. Le Japon accorde toujours une grande attention à la gestion des produits en fin de vie et aux mesures de prévention contre le déversement illégal de déchets dans la nature. Le plan quinquennal prévoit de renforcer et d’améliorer l’industrie du recyclage et de continuer d’assurer un système stable et efficient de traitement des déchets. Par ailleurs, suite aux catastrophes naturelles dont l’archipel a été récemment victime, le gouvernement souhaite étendre les dispositifs de traitement de déchets issus des catastrophes naturelles à l’ensemble des préfectures et municipalités japonaises. Le plan prévoit que toutes les préfectures et 60% des municipalités aient établi un plan de gestion des déchets de catastrophe d’ici 2025.

3.3 Renforcement des actions menées en amont de la chaîne de production et définition des domaines d’action prioritaires

L’un des piliers fondamentaux du plan quinquennal concerne la circulation des ressources à travers tout le cycle de vie des produits. Il prévoit notamment le renforcement des actions menées en amont de la chaîne de production, comme l’augmentation de l’utilisation de matériaux recyclés, l’écoconception ou la modélisation 3D, et définit des domaines d’action prioritaires : les plastiques, la biomasse, les métaux, ou encore les matériaux de construction. Parmi les principales politiques ou mesures annoncées au sein du plan, on peut noter :

3.4 Ambitions à l’international et rayonnement des savoir-faire japonais

Waste infrastructureEnfin, le dernier plan fondamental reflète une volonté du Japon de se positionner en leader en termes de circularité des ressources. En effet, l’un des piliers contient des mesures d’exportation d’infrastructures, de technologies et de savoir-faire japonais, notamment en matière de gestion des déchets de catastrophe dans les pays asiatiques particulièrement fragilisés. Ainsi, en juin 2019, le Ministère de l’Environnement (MoE) a commencé à soutenir le développement de filières de traitement de déchets en Asie du Sud-Est, en collaboration avec diverses collectivités locales comme Osaka et Yokohama, et des entreprises japonaises dont Hitachi Zosen, JFE Engineering et MHI. L’objectif est de fournir un savoir-faire sur la collecte, le tri, le recyclage et la réduction de déchets, et d’exporter des installations de génération d’électricité issue de la chaleur de la combustion. Le MoE souhaite soutenir une dizaine de villes d’ici 2023. Cette stratégie permet aux Japonais de se différencier de la Chine, en exportant non pas seulement des équipements, mais également des connaissances sur les méthodes de traitement des déchets, des formations pour le personnel, etc. Le Japon a profité du sommet du G20 d’Osaka en juin 2019 pour réitérer publiquement son intention d’agir pour le renforcement des infrastructures de gestion des déchets des pays en développement, dans le cadre de la réalisation de la « Osaka Blue Ocean Vision ».

Par ailleurs, le Japon souhaite se positionner en leader sur les questions de circularité des ressources sur la scène internationale. En octobre 2018, le MoE a co-organisé à Yokohama le 2ème World Circular Economy Forum, affichant une position volontariste de lutte contre la pollution marine et les déchets plastiques. Cette position volontariste s’est confirmée avec la promulgation de la stratégie plastique japonaise en juin 2019, juste avant la tenue du G20. Ces annonces interviennent dans un contexte où les modes de traitement des déchets au Japon et notamment le fort recours à l’incinération, ont été mis en lumière. En effet, si le Japon affiche un taux de recyclage des pastiques en fin de vie de 86%, la réalité est plus nuancée puisque, parmi ces déchets recyclés, 68% sont en fait soumis à recyclage thermique, soit brûlés à des fins de récupération d’énergie. L’OCDE a récemment évalué le taux de recyclage des plastiques au Japon à 22%.


 

[1]Comparaison internationale des politiques publiques en matière d’économie circulaire, Commissariat Général au Développement Durable, Janvier 2014

 

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