La profusion d’emballages plastiques constitue l’un des chocs dont les visiteurs du Pays du Soleil levant font le plus fréquemment l’expérience – choc accentué par une idée reçue selon laquelle la culture japonaise entretiendrait un rapport particulier à la nature. Le Japon est bien pourtant le deuxième producteur mondial de déchets d’emballages plastiques par tête et s’était, ces dernières années, fait remarquer par sa voix plutôt discordante à l’international dans la lutte contre ces déchets.

Face à des pressions diplomatiques et économiques (bannissement des importations de déchets plastiques par la Chine) accrues, le gouvernement nippon a cependant fait des déchets plastiques une thématique centrale ces derniers mois, publiant une stratégie plastique quelques jours en amont de la tenue du G20 Ministériel Environnement/Energie et du Sommet du G20 sous sa présidence en 2019, dont le plastique est à l’agenda.

1. Un retard latent du Japon dans la lutte contre les déchets plastiques

1.1 Le Japon, deuxième producteur mondial de déchets d’emballages plastiques par tête

Bouteilles CC Getty ImagesLe Japon s’affiche sur la scène internationale comme porte-drapeau du développement d’une société basée sur la circularité des ressources. Il a notamment été à l’origine de l’initiative « 3R » (Reduce, Reuse, Recycle) et continue de la promouvoir, notamment en Asie. Au niveau national, le concept de développement d’une société respectueuse du cycle des matériaux est entériné dans la loi et fait l’objet de plans publiés tous les cinq ans. Avec un volume de déchets éliminés en chute depuis 1990, le Japon semble sur la voie pour atteindre son objectif de société zéro-déchet à terme – malgré des difficultés à mettre l’accent sur les « 2R » amont (« Réduire » et « Réutiliser ») plutôt que sur « Recycler ».[1]

La question des déchets liée à l’acceptation du suremballage et des sacs plastiques demeure toutefois un point noir de la politique environnementale japonaise. Le Japon est le deuxième producteur mondial de déchets d’emballages plastiques (en kg/habitant), derrière les États-Unis[2] ; les emballages représentent de fait plus de la moitié des déchets des ménages japonais en volumes, et près du quart en termes de poids[3].

1.2 Un taux de recyclage exceptionnel qui cache une réalité en demi-teinte

Si le Japon affiche un taux de recyclage des plastiques en fin de vie de 86 %[4], la réalité est plus nuancée puisque, parmi ces déchets recyclés, 68% sont en fait soumis à recyclage thermique (i.e. brûlés à des fins de récupération d’énergie). Seuls 27% subissent un recyclage mécanique (i.e. réutilisation du plastique comme matériau pour la production de nouveaux produits) et 5% un recyclage chimique (i.e. production de nouveaux matériaux chimiques). L’OCDE a récemment évalué le taux de recyclage des plastiques au Japon à 22 %[5].

2. Des réticences nationales ébranlées par les pressions internationales

2.1 Des positions sur la scène internationale à rebours de l’élan de lutte contre les déchets plastiques…

Ces dernières années, le Japon avait fait entendre une voix plutôt discordante sur cette question de la lutte contre les déchets plastiques. Invité fin 2016 par la France à rejoindre la coalition internationale contre les sacs plastiques, le Japon avait décliné la proposition. Initialement intéressé, le ministère de l’Environnement avait finalement donné une réponse négative après consultation du ministère de l’Economie (METI). Le Japon avait par ailleurs refusé d’adopter la Charte sur les plastiques dans les océans au sommet du G7 de Charlevoix en 2018, sur la base d’arguments également économiques et industriels.

2.2 …revues ces derniers mois, à l’aune de pressions diplomatiques et économiques accrues

Le bannissement en 2017 par la Chine des importations de déchets plastiques a joué un rôle d’accélérateur incontestable dans la mise en branle d’une politique de réduction de ceux-ci au Japon. De fait, 70 % des déchets plastiques exportés par l’archipel en 2017 l’étaient à destination de la Chine. Depuis, les média nippons se font fréquemment l’écho des problématiques liées à l’amoncellement de ces déchets ne trouvant plus débouchés. Face à l’urgence, le Ministère de l’Environnement (MOE) a même appelé, en mai 2019, les municipalités à incinérer les déchets plastiques des entreprises.

Face aux difficultés réelles posées par cette décision chinoise, mais aussi à la montée des critiques internationales et aux preuves toujours plus nombreuses de l’aggravation de la pollution marine, le gouvernement nippon a cependant fait des déchets plastiques une thématique centrale ces derniers mois et multiplie les annonces tant sur la scène nationale qu’internationale.

3. Un changement de direction de la politique japonaise en matière de déchets plastiques : stratégie nationale et positionnement sur la scène internationale

3.1 Démarches sur le territoire japonais

LogoDès mai 2018, le gouvernement japonais a fait savoir qu’il réfléchirait dans le courant de l’année à une stratégie de réduction des déchets plastiques. Le MOE avait par ailleurs annoncé, en octobre 2018, le lancement d’un programme de sensibilisation (Plastics Smart campaign) et son partenariat avec la Platform for Accelerating the Circular Economy (PACE) du World Economic Forum. En janvier 2019, il lançait le Plastics Smart Forum, en présence de 48 organisations (publiques, privées, de recherche, non lucratives).

En termes de mesures concrètes, le MOE souhaite – cela valant pour l’ensemble de ses politiques par ailleurs – favoriser une approche par l’encouragement plutôt que par l’interdiction. Il avait annoncé au premier semestre 2018 sa volonté d’introduire un système de subvention pour les entreprises ayant recours à des alternatives biodégradables pour les produits à usage unique et requis un montant total de 5 Mds JPY pour l’année fiscale 2019 à cette fin. Dès la fin de l’année 2018, des mesures ont par ailleurs été mises en œuvre pour bannir les plastiques à usage unique dans les bâtiments gouvernementaux – avec un succès toutefois mitigé, du fait d’un relatif manque d’alternatives.

En juin 2018, la Diète avait par ailleurs adopté une loi appelant à la fin de l’usage de micro-plastiques par les industriels (notamment dans le secteur des cosmétiques). La loi n’a cependant aucune valeur astreignante.

Une « Stratégie de recyclage des ressources plastiques » a finalement été adoptée le 31 mai 2019. Elle fixe pour objectif de réduire de 25% les déchets plastiques à usage unique d'ici 2030, et de recycler ou réutiliser « effectivement » (i.e. y compris pour la production d’énergie) l’ensemble de ces déchets d’ici 2035.

Détritus Elle prévoit l’obligation pour les commerçants de facturer les sacs plastiques avant fin 2020 (avec les JO de Tokyo en ligne de mire), à un prix souverainement choisi par l’entreprise. Les recettes réalisées devront être employées à des fins de conservation de la nature, notamment pour la plantation d’arbres. Il est envisagé d’étendre l’obligation aux petits et moyens exploitants et d’exclure les sacs plastiques biodégradables du scope.

La stratégie appelle en outre à développer l'utilisation des bioplastiques dérivés de sources renouvelables, demande aux entreprises de limiter leur recours aux microbilles et aux municipalités proches de rivières de prévenir le déversement de plastiques dans les océans.

Le Ministre de l’Environnement Yoshiaki Harada a annoncé qu’il souhaitait agir afin que la Diète adopte une loi contraignante dans la lignée de cette stratégie d’ici 2020.

Ces décisions des régulateurs et législateurs nippons s’inscrivent par ailleurs dans un mouvement latent en faveur de la lutte contre les plastiques au Japon insufflé par les collectivités locales, les ONG, le secteur privé et la société civile.

  • Collectivités

Comme sur de nombreux sujets environnementaux, les collectivités japonaises semblent de fait avoir un temps d’avance en matière de gestion des plastiques. Les média nippons se sont fait l’écho de nombreuses initiatives en ce sens ces derniers mois – objectifs de bannissement (ville de Kameoka) ou de fin de la gratuité (villes de Tokyo et Kyoto, préfecture de Toyama) des sacs plastiques, plan d’élimination des plastiques à usage unique (ville et préfecture d’Osaka, ville de Kamakura, préfecture de Kanagawa), voire objectifs zéro déchets (ville de Kamikatsu).

En particulier, le gouvernement métropolitain de Tokyo a annoncé en mai 2019 que la ville se doterait d’une stratégie bas-carbone d’ici le mois de décembre, incluant des objectifs relatifs aux déchets plastiques (réduction de 40 % du volume de déchets incinérés d’ici 2030, via un soutien au recyclage et au non-emploi de plastiques à usage unique).

  • Citoyens et société civile

Bien que le mouvement reste ténu et que les citoyens japonais paraissent globalement peu affectés par les problématiques de suremballage et surabondance de sacs plastiques, plusieurs initiatives ont vu le jour. On peut notamment citer la soumission le 29 mai 2019 par un réseau de 11 ONG (dont Greenpeace Japan, WWF Japan, Plastic Free Japan) d’une proposition à Taro Kono, Ministre des Affaires Étrangères, d’action en faveur d’une société axée sur le recyclage. Des initiatives plus locales comme celle de 530week – campagne « zero waste » partie d’un projet de nettoyage de rue – existent par ailleurs.

  • Secteur privé et coopérations public-privé

Les réticences initiales du gouvernement japonais à restreindre les plastiques s’appuyaient jusqu’ici sur les oppositions du secteur privé. Les entreprises japonaises intègrent toutefois de plus en plus cette problématique, par l’introduction d’alternatives aux produits à usage unique (bannissement des pailles en plastique par des chaînes de restauration, introduction de sacs biodégradables par des chaînes vestimentaires), l’investissement dans des solutions de recyclage, ou la recherche de matériaux innovants (notamment en remplacement des micro-plastiques). Une enquête réalisée par le journal Nikkei en mai 2019 indiquait que 65% des entreprises contactées étudiaient ou avaient déjà entrepris des mesures de réduction de l’utilisation de plastiques, et 38% des fabricants de plastiques ou produits à base de plastiques avaient entamé la fabrication de produits alternatifs tests.

No plastics JapanLe Keidanren (fédération des entreprises japonaises) s’est également intéressé à la question ces derniers mois, commentant l’adoption d’une stratégie plastique nationale, publiant un rapport sur les initiatives des entreprises japonaises en la matière et fixant des objectifs pour 20 secteurs. Parmi ceux-ci, on peut citer celui de l’association des grands magasins (réduction de moitié du volume des emballages plastiques en 2030 par rapport à 2000) ou celui de l’association des fabricants automobiles (maintenir jusqu’en 2030 le taux de réutilisation des débris de véhicules de l'ordre de plus de 90%). Enfin, de petites entreprises et start-ups sont également actives dans le domaine – on pourra citer Pirika et son application contre le dépôt d’ordures sauvage, ou No Plastic Japan et ses pailles réutilisables.

La question du développement de matériaux alternatifs fait l’objet d’un suivi particulier. Le gouvernement japonais multiplie les initiatives publiques-privées en vue de soutenir cette dynamique : le METI a notamment lancé en novembre 2018 un comité pour le développement des matériaux alternatifs (auquel participent, entre autres, Kaneka (chimie et matériaux), Ajinomoto (agro-alimentaire) et Nippon Paper (industrie du papier)) ainsi que la Clean Ocean Material Alliance en janvier 2019 (auquel participent près de 160 entreprises et associations, dont Veolia Japan) ; le MEXT (science, technologie) a annoncé avoir confié à la Japan Agency for Marine-Earth Science and Technology (JAMSTEC) et à des entreprises privées la mission de développer un dispositif employant notamment l’intelligence artificielle pour mesurer et suivre la pollution aux micro-plastiques des océans. Dans la foulée de la publication de la stratégie plastique, le METI a également annoncé début juin 2019 qu’une initiative publique-privée pour standardiser les matériaux plastiques pouvant être dégradés par les micro-organismes marins serait lancée avant l’été 2019.

Trois grandes sociétés japonaises du secteur chimique (Mitsubishi Chemicals, Sumitomo Chemical, Mitsui Chemicals) figurent par ailleurs parmi les membres fondateurs de l’Alliance to End Plastic Waste.

3.2 Démarches sur la scène internationale

La mise en branle d’une stratégie de lutte contre les plastiques ne se limite pas, pour le Japon, à son territoire national. De fait, il a fait de cette thématique un sujet phare du G20 sous sa présidence en 2019 et s’est également engagé à porter les conclusions du World Circular Economy Forum (WCEF) 2018 (co-organisé par le MOE en octobre), au Forum de promotion des 3R Asie-Pacifique et à l'Assemblée des Nations-Unies pour l'Environnement.

Sur la scène internationale, le Japon s’implique en particulier sur les questions de :

  • pollution marine aux déchets plastiques, avec une proposition de mise en place d’un groupe de travail à l’ONU sur la pollution marine aux micro-plastiques, de fourniture d’un soutien technique aux pays d’Asie du Sud-Est sur cette thématique et l’annonce de la volonté de créer un centre international de recherche sur les débris plastiques marins cette année (à l’agenda du G20) ;
  • commerce de déchets plastiques sales, avec l’adoption en mai par les signataires de la Convention de Bâle de la proposition conjointe avec la Norvège de restreindre le commerce de déchets plastiques sales non recyclables à partir de 2021.

[4] Japan Plastics Industry Federation (JPIF) (2019). プラスチック資源循環戦略

 

Pour aller plus loin :