La génération de déchets alimentaires demeure un enjeu crucial au Japon, où le taux d’autosuffisance alimentaire est bas et l’espace disponible pour l’enfouissement particulièrement restreint. Le pays a été l’un des premiers à s’attaquer à la question de la prévention et du recyclage des déchets alimentaires, avec l’adoption de la « Food Waste Recycling Law » dès 2001.

Cependant, ce cadre législatif ne couvre pas l’entièreté de la chaîne logistique et les taux de recyclage demeurent très inégaux entre producteurs, distributeurs et services de restauration. Par ailleurs, le gaspillage alimentaire est particulièrement élevé au Japon : avec une perte totale de 6 millions de tonnes par an —soit deux fois plus que l'ensemble de l’aide alimentaire mondiale— chaque Japonais jette en moyenne l’équivalent d’un bol de riz par jour. Face à ce constat, les initiatives publiques et privées pour lutter contre le gaspillage se multiplient.

1. Les déchets alimentaires au Japon : une production partagée par l’ensemble de la chaîne logistique

GaspillageEn 2011[1], le Japon totalisait 37,86 millions de tonnes de déchets alimentaires : 10% générés lors de la phase de production agricole, 10,4 % lors de la phase de stockage et de transport, 52,7 % dans la phase de commercialisation (qui inclut les industries agricoles et alimentaires, la vente en gros et au détail, et les services de restauration), et enfin 26,78% lors de la phase de consommation au sein des ménages[2]

La génération de résidus alimentaires s’effectue donc tout au long de la filière agroalimentaire, mais plus particulièrement au niveau des phases de commercialisation et de consommation au sein des foyers.

Au sein même de la phase de commercialisation, la génération de déchets alimentaires varie grandement entre les différents acteurs et provient en majorité des fabricants. Ainsi en 2014, les fabricants de produits alimentaires représentaient à eux-seuls 82% de la génération de déchets alimentaires lors de la phase de commercialisation, contre 18% pour les grossistes, les commerçants et les restaurateurs[3].

Food waste Japan

Production de déchets alimentaires et gaspillage alimentaire pour l'année fiscale 2014.
Source : Ministry of Agriculture, Fisheries and Forestry (MAFF), Reducing Food loss and waste

Il est toutefois nécessaire de distinguer les déchets alimentaires (Food Waste) qui incluent les produits non propres à la consommation —comme les zestes, os, ou produits dérivés—, et le gaspillage alimentaire (Food Loss) correspondant à l’élimination d’aliments comestibles, propres à la consommation. En termes de gaspillage alimentaire, la part des producteurs baisse à 42% alors que celle des grossistes, détaillants et restaurants augmente à 58%. Le gaspillage alimentaire est donc particulièrement élevé à la fin de la phase de commercialisation. Enfin, la plus grande part du gaspillage alimentaire provient des foyers, avec 2,82 Mt d’aliments gaspillés au sein des ménages en 2014.

2. Action gouvernementale : la "Food Waste Recycling Law", loi pionnière dans la prévention et le recyclage des déchets alimentaires

Face à l'augmentation drastique des déchets alimentaires à partir du milieu des années 1970, à leur faible taux de recyclage, et à la pénurie croissante de sites de mise en décharge, le gouvernement japonais promulgue en 2001 la Food Waste Recycling Law. Cette loi a pour double objectif de réduire la quantité de déchets alimentaires et de promouvoir leur valorisation. Elle établit un système de recyclage, définit les responsabilités des différentes entités concernées et fixe des taux et des cibles de réduction et de valorisation des déchets alimentaires. La Food Waste Recycling Law s'inscrit dans le cadre national de l'établissement d'une "Société respectueuse du cycle des matières", promue par le Japon dès les années 2000 et qui correspond au modèle de développement de l'économie circulaire au sein de l'archipel.

Cette loi ne couvre ni la phase de production agricole — soit les déchets générés au sein des fermes et des exploitations agricoles — ni la phase de transport et de stockage (voir schéma ci-dessous). En revanche, elle s'applique à tous les acteurs de la chaîne de fabrication, de distribution (vente de gros et au détail) et de restauration.

Schéma
La production des déchets alimentaires sur l'ensemble de la chaîne logistique
Source : Liu, C., Hotta, Y., Santo, A., Hengesbaugh, M., Watabe, A., Totoki, Y. and Magnus Bengtsson, D. (2016). Food waste in Japan: Trends, current practices and key challenges.
 

L’objectif étant de réduire et de valoriser les déchets alimentaires, il s’agit donc, par ordre de priorité, de :

  1. Prévenir la génération de déchets alimentaires
  2. Valoriser les déchets via notamment la production de nourriture animale et fertilisants
  3. Exploiter l’énergie thermique générée lors de l’incinération des déchets
  4. Réduire le poids des déchets alimentaires, grâce notamment à la déshydratation des produits.

Pour ce faire, des objectifs chiffrés de réduction et de valorisation des déchets alimentaires au sein des différents secteurs d’activité ont été établis. La loi a été révisée en 2015 et a fixé de nouveaux objectifs pour l’année fiscale 2019 : les fabricants de produits alimentaires doivent atteindre un taux de valorisation de 95%, les grossistes de 70%, les commerçants de 55% et les restaurants de 50%. Ce taux de valorisation inclut les différents procédés promus par la Food Waste Recycling Law, soit la réduction de déchets alimentaires, mais également le recyclage, ou encore la récupération de chaleur issue de l’incinération. Le recyclage représente la plus grande part de l’objectif de valorisation et ce, pour tous les secteurs d’activité. Si chaque acteur de la chaîne atteint son objectif, le taux global de valorisation sera de 85%.

Recycling targets

Objectifs de valorisation des déchets pour 2019
Source : MAFF, Reducing Food loss and waste

De plus, des objectifs chiffrés ciblant précisément la réduction de la production de déchets alimentaires ont été fixés en 2012, 2014 et 2015 pour les branches industrielles et le secteur de la restauration. Par ailleurs, les entreprises produisant plus de 100 tonnes de déchets alimentaires par an doivent rendre compte chaque année au Ministère de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche (MAFF) des quantités des déchets et du taux de valorisation réalisé. Le Ministère fait donc de la prévention des déchets, une priorité.

Tableau
Cibles de réduction des déchets alimentaires selon le type de produits

3. Des industriels aux restaurateurs : un taux de recyclage et de valorisation des déchets alimentaires inégal

Grâce à la Food Waste Recycling Law, les taux de valorisation des déchets alimentaires ont drastiquement augmenté depuis 2001, en revanche, les résultats demeurent très inégaux selon les secteurs d’activités. Ainsi, si les fabricants de l’industrie agroalimentaire représentent la plus grande part de déchets générés, ils sont aussi les plus performants en matière de valorisation. En effet, ils avaient déjà atteint leur objectif de 95% de valorisation de déchets en 2016. En revanche, avec un taux de valorisation effectif de 23% en 2016, la restauration était encore loin de son objectif de 40%. D’une manière générale, on observe un bien meilleur résultat au début de la chaîne d’approvisionnement.

Evolution recycling

Taux de valorisation des déchets alimentaires de 2008 à 2016. Source : MAFF, Reducing Food loss and waste

Le taux de recyclage général des acteurs de la phase de commercialisation a atteint 85% en 2016, alors même qu'il était quasiment nul au début du siècle. Ces résultats encourageants démontrent l'efficacité des politiques nationales mises en place et l'efficacité des mesures prises au sein des entreprises génératrices de déchets alimentaires.

La Food Waste Recycling Law ne couvre toutefois pas les premiers stades de la chaîne logistique et il est difficile d'évaluer les progrès faits au sein des exploitations agricoles. De même, la loi n'a fixé aucune obligation pour les gouvernements locaux et peu d'entre eux collectent les déchets alimentaires séparément des autres déchets, menant à une faible valorisation des déchets alimentaires issus des ménages, qui représentent pourtant une part importante.

4. Mesures contre le gaspillage alimentaire : allongement des dates limites de consommation, sensibilisation des consommateurs et nouvelle législation

Si le MAFF a fait de la prévention de la génération déchets une priorité, il lutte tout particulièrement contre la mise aux rebus d'aliments propres à la consommation. Comme évoqué précédemment, une part importante des déchets alimentaires concerne des aliments parfaitement comestibles. Ainsi, en 2014, 34% des déchets issus des ménages étaient propres à la consommation. 6 Mt d'aliments comestibles sont jetés chaque année et le gouvernement vise une réduction du gaspillage alimentaire dans toute la chaîne agro-industrielle à environ 2,7 Mt d'ici 2030. En mai 2019, le Japon a promulgué une loi visant à promouvoir la réduction du gaspillage alimentaire. Le gouvernement central formulera une politique de base pour réduire le gaspillage et les municipalités seront tenues d’élaborer leurs propres plans d’action à cette fin. La législation appelle également à un « mouvement national » visant à réduire les pertes alimentaires grâce à la collaboration entre l’Etat, les gouvernements locaux, les entreprises et les consommateurs.

L’une des principales causes du gaspillage alimentaire au Japon est la règle tacite du tiers dans la distribution. Selon cette pratique, qui consiste à diviser en trois parties la durée de vie d’un aliment, les fabricants et les grossistes doivent livrer les produits aux commerçants dans le premier tiers de la période allant de la date de production à la date de péremption, et le produit doit être vendu dans le deuxième tiers. Si la première limite n’est pas respectée, les commerçants ont le droit de refuser les livraisons. Par ailleurs, passée la limite des deux tiers, les produits invendus sont retirés des rayons. Cette pratique avait originellement pour but de garantir des produits alimentaires de qualité pour les consommateurs mais ces contraintes temporelles sont bien plus rigides que dans la plupart des pays du monde, et amènent les producteurs, les grossistes et les commerçants à jeter de grande quantité de nourriture de qualité, propre à la consommation. Cela implique chaque année environ 630 millions d’euros de marchandises jetées ou rendues au producteur et 330 millions d’euros de marchandises jetées ou rendues par le commerçant[6]

Schéma
La règle du tiers
Source : MAFF. Reducing Food loss and waste
 

Pour lutter contre les effets néfastes de la règle du tiers, le gouvernement a créé en 2012 une équipe chargée d’étudier les possibilités d’amélioration des pratiques commerciales (Commercial practices examination working team for reducing food loss and waste). Ce groupe de travail a étudié diverses pistes en collaboration avec les entreprises japonaises comme l’allongement de la date limite de livraison, le passage d’une date de péremption à un mois de péremption et la sensibilisation des consommateurs au gaspillage. Des initiatives privées émergent également du côté des entreprises : ainsi les principales enseignes de proximité Seven-Eleven et Lawson ont annoncé en mai 2019 l’autorisation donnée à leurs franchisés d'octroyer des rabais sur les prix des produits proches de l’expiration[7].

La sensibilisation et la collaboration des consommateurs est également nécessaire. En juillet 2012, l’Agence des consommateurs, le Cabinet Office, le Ministère de l’environnement et le Ministère de l’éducation se sont réunis et une campagne de sensibilisation du grand public a été lancée[8]. Cette campagne d’information de l’opinion publique a basé sa communication sur l’expression japonaise « Mottainai », qui signifie « trop précieux pour être gâché ».  Ainsi, les gouvernements locaux encouragent les consommateurs lors de campagnes de sensibilisation « Mottainai » à faire usage de doggy bag au restaurant, à faire les courses régulièrement mais en plus petites quantités et à consommer tous les aliments achetés. De plus, en octobre 2013, le « No-Foodloss Project » est né de la coopération de 7 Ministères différents, et utilise le personnage « Rosu-non » pour sensibiliser le grand public, plaider en faveur d’un changement d’habitudes et soutenir les initiatives nationales.

Rosunon, la mascotte de la campagne de sensibilisation No-Foodloss

D’autres acteurs sont fortement mobilisés et notamment les banques alimentaires, qui ont vu leur nombre augmenter de manière substantielle au Japon, passant d’un peu plus d’une dizaine d’organisations en 2008 à 77 organisations en 2017[9]. Ces organismes fournissent des produits alimentaires gratuitement aux institutions de protection sociale et aux personnes vivant dans la pauvreté en récupérant les aliments non consommés dans les ménages, mais également les produits en circulation ou entreposés qui approchent de leur date d’expiration.


[1] Manque de données plus récentes sur la génération de déchets sur l’ensemble de la filière agroalimentaire

[2] Liu, C., Hotta, Y., Santo, A., Hengesbaugh, M., Watabe, A., Totoki, Y. and Magnus Bengtsson, D. (2016). Food waste in Japan: Trends, current practices and key challenges.

[5] Tanaka, S. and Ando, T. (2019). Convenience store firms reviewing business model. The Japan News.

[8] MAFF Le recyclage alimentaire au Japon (document interne)

[9] MAFF

 

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