Dossier : L'économie circulaire au Japon
Alors que le schéma linéaire "produire, consommer, jeter" du système économique traditionnel atteint ses limites, les démarches d'économie circulaire —dont les approches et les priorités diffèrent selon les régions du monde— font l'objet d'une attention grandissante des pouvoirs publics et des acteurs économiques. Le Japon est l'un des pays précurseurs sur ce sujet avec une loi cadre établie dès 2000 et sa promotion du concept des 3R (réduction, réutilisation, recyclage).
Le Japon a été l’un des premiers pays à concevoir un modèle de développement basé sur la circularité des ressources, à travers la mise en place d’une « Société respectueuse du cycle des matières » dès les années 2000. Cependant, le périmètre opérationnel de l’économie circulaire au Japon est limité au champ traditionnel des déchets qu’il s’agit de prévenir, de réutiliser ou de recycler. Ainsi, certains aspects des politiques d’économie circulaire en Europe comme l’approvisionnement durable, le développement de nouveaux services ou encore les modifications des modes de consommation ne font pas partie du spectre opérationnel de l’économie circulaire au Japon, démontrant que l’appropriation du concept peut grandement varier d’un pays à un autre.
Le Japon s’affiche sur la scène internationale comme porte-drapeau du développement d’une société basée sur la circularité des ressources. Il a notamment été à l’origine de l’initiative « 3R » (Reduce, Reuse, Recycle) et continue de la promouvoir, notamment en Asie. Au niveau national, le concept de développement d’une société respectueuse du cycle des matériaux est entériné dans la loi et fait l’objet de plans publiés tous les cinq ans. Avec un volume de déchets éliminés en chute depuis 1990, le Japon semble sur la voie pour atteindre son objectif de société zéro-déchet à terme, malgré des difficultés à mettre l’accent sur les «2R» (Réduire et Réutiliser) plutôt que sur «Recycler» et à faire évoluer les mentalités des Japonais sur certains aspects.
La génération de déchets alimentaires demeure un enjeu crucial au Japon, où le taux d’autosuffisance alimentaire est bas et l’espace disponible pour l’enfouissement particulièrement restreint. Le pays a été l’un des premiers à s’attaquer à la question de la prévention et du recyclage des déchets alimentaires, avec l’adoption de la « Food Waste Recycling Law » dès 2001. Cependant, ce cadre législatif ne couvre pas l’entièreté de la chaîne logistique et les taux de recyclage demeurent très inégaux entre producteurs, distributeurs et services de restauration. Par ailleurs, le gaspillage alimentaire est particulièrement élevé au Japon : avec une perte totale de 6 millions de tonnes par an —soit deux fois plus que l'ensemble de l’aide alimentaire mondiale— chaque Japonais jette en moyenne l’équivalent d’un bol de riz par jour. Face à ce constat, les initiatives publiques et privées pour lutter contre le gaspillage se multiplient.
Grand fabricant d’électronique, sans ressources minières propres, le Japon souhaite se libérer de sa dépendance en terres rares vis-à-vis de la Chine. Parmi les stratégies destinées à sécuriser son approvisionnement, la réutilisation des terres rares présentes dans les mines urbaines occupe une place importante et de nombreuses recherches sur le recyclage de ces matériaux sont en cours. Bien que guidée par une motivation principalement économique, la stratégie japonaise de recyclage peut se révéler extrêmement bénéfique pour l’environnement, au vu des conséquences néfastes associées à l’extraction et au raffinage des terres rares. De plus, cette stratégie s’intègre dans le cadre général d’une société respectueuse du cycle des matériaux, vision japonaise d’une société circulaire, basée sur l’utilisation efficace des ressources et leur recyclage. Enfin, les terres rares étant nécessaires pour la construction de voitures hybrides, ou encore des éoliennes, leur recyclage est un enjeu stratégique pour la transition écologique.
Face aux enjeux environnementaux (réduction des gaz à effet de serre, utilisation effective des ressources), aux enjeux de revitalisation des économies régionales et aux enjeux démographiques, le Ministère de l’Environnement japonais développe depuis 2018, le concept de « Regional Circular and Ecological Spheres ». Ce concept intègre des aspects environnementaux, sociaux et économiques, pour créer un nouveau modèle promouvant une société bas-carbone, autonome et décentralisée, en harmonie avec la nature. Introduit à diverses reprises auprès de la communauté internationale, ce modèle décentralisé, visant à redynamiser les territoires régionaux et à promouvoir les énergies renouvelables et la circulation des ressources, est désormais l’une des lignes directrices des politiques environnementales japonaises.
L’accident nucléaire de Fukushima en 2011 a mis en lumière la nécessité de mettre en place au Japon des systèmes d’approvisionnement en énergie plus résilients. Des suites de cette catastrophe, les initiatives de production locale d’énergies renouvelables se sont multipliées sur l’archipel, notamment via la création de compagnies énergétiques locales et de projets communautaires. Cependant, le mouvement s’est désormais essoufflé et le Japon n’a pas développé à ce jour de véritable stratégie nationale pour encourager ce processus de décentralisation. La mise en avant par le gouvernement japonais du concept de Regional Circular Ecological Sphere (CES), qui promeut une société décarbonée, résiliente et autosuffisante, pourrait toutefois insuffler un nouvel élan de production et consommation à échelle locale d’énergies renouvelables.
Kamikatsu, petite ville des montagnes de Shikoku, est la première municipalité au Japon à avoir promulgué une politique zéro déchet dès 2003. Avec 45 bacs de tri différents, répartis en 13 catégories, la politique de gestion des déchets demande une grande rigueur de la part des habitants, mais a porté ses fruits : Kamikatsu a atteint un taux de recyclage de tous ses déchets de 81% en 2016. La ville s’est fixé pour objectif d’atteindre le zéro déchet d’ici 2020 et travaille désormais activement à réduire la production de rebuts à la source. Kamikatsu est un exemple de modèle de développement de l’économie circulaire à petite échelle mais pourrait bien agir comme démonstrateur auprès d’autres municipalités. D’ailleurs avec plus de 2000 visiteurs chaque année, elle attise la curiosité et l’intérêt, aussi bien des entreprises que des citoyens, soucieux d’améliorer leurs pratiques.
La profusion d’emballages plastiques constitue l’un des chocs dont les visiteurs du Pays du Soleil levant font le plus fréquemment l’expérience – choc accentué par une idée reçue selon laquelle la culture japonaise entretiendrait un rapport particulier à la nature. Le Japon est bien pourtant le deuxième producteur mondial de déchets d’emballages plastiques par tête et s’était, ces dernières années, fait remarquer par sa voix plutôt discordante à l’international dans la lutte contre ces déchets. Face à des pressions diplomatiques et économiques (bannissement des importations de déchets plastiques par la Chine) accrues, le gouvernement nippon a cependant fait des déchets plastiques une thématique centrale ces derniers mois, publiant une stratégie plastique quelques jours en amont de la tenue du G20 Ministériel Environnement/Energie et du Sommet du G20 sous sa présidence en 2019, dont le plastique est à l’agenda.
À la fin du 20ème siècle au Japon, les déchets générés lors des chantiers représentaient près de 20 % du volume total des déchets industriels et 70 % des déchets illégalement déversés dans la nature. Pour remédier à ces pratiques néfastes pour l’environnement et dans le cadre de la mise en œuvre du Plan pour une société respectueuse du cycle des matériaux, le Japon a promulgué depuis 2000 une série de lois établissant les axes prioritaires d'une gestion effective des déchets de construction. Grâce à ces mesures, le taux de recyclage des déchets issus de la construction a nettement augmenté depuis les années 1990, jusqu’à atteindre 96 % en 2012. Néanmoins, si le taux de recyclage a fortement augmenté, la quantité de déchets générée peine à diminuer. En 2014, le secteur représentait toujours 20,8 % du volume des déchets industriels et 25 % du volume total des déchets.