Kamikatsu, petite ville des montagnes de Shikoku, est la première municipalité au Japon à avoir promulgué une politique zéro déchet dès 2003. Avec 45 bacs de tri différents, répartis en 13 catégories, la politique de gestion des déchets demande une grande rigueur de la part des habitants, mais a porté ses fruits : Kamikatsu a atteint un taux de recyclage de tous ses déchets de 81% en 2016.

La ville s’est fixé pour objectif d’atteindre le zéro déchet d’ici 2020 et travaille désormais activement à réduire la production de rebuts à la source. Kamikatsu est un exemple de modèle de développement de l’économie circulaire à petite échelle mais pourrait bien agir comme démonstrateur auprès d’autres municipalités. D’ailleurs avec plus de 2000 visiteurs chaque année, elle attise la curiosité et l’intérêt, aussi bien des entreprises que des citoyens, soucieux d’améliorer leurs pratiques.

1. Une politique zéro déchet établie progressivement dès les années 90

Kamikatsu image libre de droitsLa petite ville de Kamikatsu est située dans les montagnes de l’île de Shikoku, au sein de la préfecture de Tokushima. Avec moins de 2000 habitants, c’est la plus petite ville de l’île et la cinquième plus petite ville du Japon en termes de population. Dans cette zone rurale, et avant l’arrivée des matières plastiques, les habitants avaient pour habitude de brûler les ordures dans les jardins, ou de les jeter dans les montagnes. Les profondes transformations de l’économie japonaise et la généralisation de l’utilisation de produits jetables emballés ont bouleversé les usages. Les volumes de déchets générés ont drastiquement augmenté et les municipalités japonaises, disposant de peu d’espace utilisable pour l’enfouissement, ont investi massivement dans la construction d’incinérateurs. Le budget de Kamikatsu ne permettant pas d’investir dans un incinérateur high-tech, la ville a ouvert un espace d’incinération à ciel ouvert. Chaque habitant y apportait ses déchets pour les brûler et cette pratique a perduré jusqu’à la fin des années 90.

Face aux nouveaux enjeux de gestion des déchets, la municipalité a fait appel très tôt aux services d’une société de conseil et a sollicité l’expertise de professeurs d’université. Grâce à cette aide extérieure,  le gouvernement local s’est doté dès 1994 d’un plan pour un projet de ville de recyclage (Recycling Town Project) et a mené une étude sur la composition des déchets générés. En 1995, Kamikatsu a lancé un programme d’assistance financière pour permettre aux résidents l’achat de composteurs électriques. Cette initiative pionnière a rencontré un vif succès, puisque 97% des ménages en ont fait l’acquisition.

Par la suite, et sous la pression du gouvernement national qui souhaitait interdire l’incinération des ordures à ciel ouvert, Kamikatsu a fait construire deux petits incinérateurs. Cependant, les problèmes de santé liés aux dioxines produites par l’incinération ont rapidement conduit à l’interdiction de leur utilisation. En 1997, suite à la loi nationale sur le recyclage des emballages, la ville commence à collecter les différents types de déchets couverts par la législation. Les agents de la mairie entament alors une recherche d’opérateurs capables de fabriquer des produits à partir de matériaux recyclés. La liste des opérateurs s’est progressivement allongée et, avec elle, le nombre de catégories de déchets. En 2003, la ville crée la Zero Waste Declaration et se donne officiellement pour objectif d’éliminer l’intégralité de ses déchets d’ici 2020, sans avoir recours à l’incinération ou à l’enfouissement. Au-delà de l’objectif zéro déchet qui visait à préserver l’environnement naturel pour les générations futures, les autorités locales de Kamikatsu souhaitaient également élever la conscience écologique des individus et créer des liens avec des communautés aux vues similaires dans le monde entier.

2. Un modèle zéro déchet rentable mais contraignant, basé sur l’éducation et la diligence citoyenne

La cinquantaine de hameaux de Kamikatsu étant répartie sur une large région, il était trop coûteux pour la ville de faire circuler des véhicules pour aller chercher les détritus de chaque foyer. Kamikatsu a donc adopté une approche « Amenez vos propres ressources », en demandant aux résidents de venir déposer personnellement leurs déchets triés. À l’emplacement où se tenait l’incinérateur à ciel ouvert se trouve désormais une déchetterie ouverte de 7h30 à 14h tous les jours, avec un personnel présent en permanence sur place pour aider les résidents en cas de difficultés.

Crédits photo Namazu Masataka nippon.com Les catégories de déchets sont passées du nombre de 34 en 2002 à 45 en 2015. Il existe ainsi cinq catégories de métaux, six de plastiques et neuf de papiers. Une grande rigueur est demandée aux habitants, qui doivent non seulement apporter leurs déchets, mais également les séparer soigneusement entre leurs différents matériaux, les laver et les sécher. Afin d’assurer la réussite de ce modèle, le personnel de la municipalité a rendu visite aux habitants de chaque communauté pour expliquer les raisons de la mise en place de ce concept et les manières de le réaliser. Les habitants les plus motivés, notamment les retraités, ont été recrutés pour éduquer et influencer positivement les autres habitants. La réussite du modèle de gestion des déchets de Kamikatsu est donc basée sur l’éducation de la population et induit désormais des changements plus profonds des habitudes de consommation. Les habitants sont encouragés, via un système de points bonus, à modifier leurs habitudes, comme par exemple à refuser les sacs plastiques dans les épiceries. En amenant leurs propres déchets à la déchetterie, les habitants prennent conscience du volume de déchets générés et déclarent faire davantage attention au packaging lors de leurs achats. Cependant, une large partie de la population, composée notamment des résidents les plus âgés, n’est pas satisfaite du système actuel, jugé trop contraignant et coûteux en temps.

Selon le gouvernement local, Kamikatsu a considérablement réduit ses coûts de gestion des déchets grâce au recyclage : ils ont été réduits à moins du tiers du coût estimé si l’ensemble des rebuts était brûlé. En réalité, plus le tri des ressources est soigné, plus le prix de vente des matériaux sur le marché est élevé. La vente des matériaux rapporte entre 2,5 et 3 millions de yen par an, ce qui contribue à compenser les coûts de traitement des déchets.

3. Une diversification des activités de promotion du zéro déchet et une revitalisation des liens communautaires

Crédits photos Namazu Masataka nippon.comKamikatsu a atteint un taux de recyclage de 81% en 2016 et se tourne désormais vers des efforts de réutilisation et de réduction des déchets à la source. Un centre artisanal de fabrication de petits articles et de vêtements faits à partir de vieux tissus a été créé ainsi qu’un dépôt-vente, au sein duquel les habitants peuvent déposer toutes sortes d’objets ou meubles dont ils n’ont plus la nécessité, et emporter gratuitement ce qu’ils souhaitent. Ce magasin a été ouvert au sein de la déchetterie, qui est elle-même devenue un véritable lieu de convivialité. Propre et agréable, elle est un point de ralliement où les habitants se retrouvent et échangent. L’objectif de la ville est d’utiliser la collecte de déchets comme vecteur de lien social, dans une région où les liens entre résidents se sont progressivement distendus, notamment dû au vieillissement de la population. Des discussions sont actuellement en cours pour ouvrir un café au sein de la déchetterie, mais également un centre de santé.

Les installations de collecte des déchets, ainsi que le dépôt-vente sont désormais gérés et exploités par une organisation locale à but non lucratif appelée Zero Waste Academy. Cette organisation a développé divers outils pour réduire la génération de déchets, tel que le « système d’accréditation zéro déchet », composé de 6 catégories et appliqué aux cafés et restaurants de la ville. Les catégories vont de l’approvisionnement responsable, avec l’achat de produits non emballé, à l’arrêt total de l’utilisation de plastiques à usage unique. L’organisation offre des formations aux employés et aux propriétaires des établissements et les soutient dans leur transition zéro déchet tout en promouvant leurs activités, une fois l’accréditation obtenue. Face aux résultats encourageants, la Zero Waste Academy souhaite désormais élargir cette approche à l’industrie de la mode.

4. L’économie circulaire au Japon : les limites de l’action locale

Si Kamikatsu a atteint le meilleur taux de recyclage du Japon, l’action du gouvernement local a néanmoins ses limites. Selon Akira Sakano, présidente de la Zero Waste Academy, il sera impossible pour la ville d’atteindre l’objectif fixé de 100% d’élimination de déchets sans incinération ou enfouissement d’ici 2020. En effet, le pourcentage de déchets restant correspond à des produits et matériaux qu’il est difficile, voire impossible, de recycler. Kamikatsu ne peut atteindre le zéro déchet sans l’implication de l’ensemble des producteurs et acteurs de la chaine d’approvisionnement. Il est nécessaire que les concepteurs et producteurs, mais également les décideurs politiques s’engagent dans une démarche de changement. Par ailleurs, les municipalités n’ont aucune prise sur les déchets industriels, qui sont eux gérés à l’échelle de la préfecture et représentent la plus grande part des déchets générés.

Source : Zero Waste AcademyKamikatsu a été la première ville à instituer une déclaration zéro déchet et représente donc le modèle le plus abouti. Néanmoins, d’autres municipalités ont suivi : la ville de Ohki à Fukuoka (14 000 habitants), celle de Minamata à Kumamoto (25 000 habitants) et enfin celle de Ikaruga à Nara (28 000 habitants). Sans avoir fait de déclaration, d’autres municipalités ont également mis en place des politiques zéro déchet, comme la ville de Osaki à Kagoshima (13 000 habitants), ou encore les villes de Hayama et Zushi à Kanagawa (respectivement 33 000 et 58 000 habitants).

Le modèle de recyclage de Kamikatsu s’avère efficace et économiquement profitable et peut agir comme démonstrateur auprès des gouvernements locaux japonais. De nombreuses municipalités viennent s’informer des politiques zéro déchet mises en place à Kamikatsu, et l’émergence de nouvelles politiques au sein de différentes régions pourrait accélérer la transition de l’archipel vers une économie plus circulaire. Cependant, la situation est particulièrement complexe au Japon puisque la plupart des villes ont investi des sommes colossales dans des incinérateurs high-tech, et n’envisagent pas de se détourner de l’incinération. Dans ce contexte, un changement de paradigme orienté vers le recyclage semble compromis.

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