Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo 2020: Environnement et Ville durable
Premiers d’une trilogie (2020/2024/2028) avant l’échéance fixée par l’ONU pour la réalisation des Objectifs de Développement Durable de l’Agenda 2030, et près de dix ans après la catastrophe naturelle et industrielle de Fukushima, les Jeux de Tokyo ont la responsabilité d’engager un mouvement olympique pour la transition écologique. À ce titre, les organisateurs japonais ont annoncé des Jeux « 100% énergie renouvelable », exploitant l’hydrogène, recourant aux ressources durables et recyclables, avec l’empreinte carbone la plus réduite possible, et valorisant les nouvelles solutions de mobilité urbaine. Nous vous proposons un état des lieux des engagements pris et des avancées connues, à la date du 24 mars 2020 - date d'annonce du report des Jeux en raison de la crise sanitaire mondiale.
- Jeux Olympiques et Développement Durable : des orientations internationales à la déclinaison tokyoïte
- Plan de durabilité de Tokyo 2020 : énergies renouvelables, compensation carbone, ressources durables
- Mobilité urbaine : entre vitrine technologique et approche pragmatique
- De Tokyo 2020 à Paris 2024
Jeux Olympiques et Développement Durable : des orientations internationales à la déclinaison tokyoïte
La notion de durabilité est inscrite dans l’Agenda olympique 2020 du Comité international olympique (CIO) depuis 2014. En 2016, le CIO a établi une Stratégie de durabilité au sein de laquelle est largement évoquée la contribution des JO à l’Agenda 2030 et aux Objectifs de développement durable (ODD) adoptés en 2015 par l’ONU. En juin 2018, le CIO et le collectif C40 des villes engagées pour le climat se sont engagés à collaborer afin d’aider les villes hôtes à atteindre leurs objectifs en matière de durabilité et de faire des prochaines éditions des JO, notamment Tokyo 2020, Paris 2024 et Los Angeles 2028, de véritables accélérateurs de la transition écologique, avant l’échéance 2030.
En janvier 2017, le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo 2020 (TOCOG) a publié un premier Plan de durabilité (deuxième version en juin 2018). Ce plan précise la contribution de ces JO aux ODD, incluant des cibles et mesures spécifiques à leur égard, et établit les axes de durabilité principaux des JO de Tokyo : (1) le changement climatique, (2) la gestion des ressources, (3) la nature et la biodiversité, (4) les droits humains, du travail et le commerce équitable, et (5) la participation, la coopération et la communication. À cela vient également s’ajouter le Code d’approvisionnement durable, un outil pour assurer la durabilité tout au long des chaînes d'approvisionnement des produits et services.
Directement liés aux ODD, ces cinq axes inscrivent les JO de Tokyo dans un cadre global et confirment la volonté du Japon de tenir « les premiers JO des ODD ». En juillet 2018, le TOCOG avait annoncé son adhésion aux 10 principes du Pacte mondial de l’ONU, puis avait échangé, en novembre 2018, une lettre d’intention avec l’ONU, visant à promouvoir la contribution du sport au développement durable et à soutenir la réalisation des ODD. Le TOCOG a également été l’une des premières organisations à s’engager en faveur du cadre d’action « Le sport au service du climat » de la CCNUCC lors de la COP24 à Katowice. Malgré une approche résolument internationale, la promotion de valeurs telles que l’esprit mottainai (pas de gâchis), edomae (style traditionnel de Tokyo), satoyama/satoumi (valorisation des services écosystémiques) ou encore taru wa shiru (faire avec ce que l’on a) révèle la volonté du Japon de présenter un modèle traditionnel de durabilité à la japonaise, tout en favorisant l’innovation « made in Japan » comme solution aux défis du développement durable.
Plan de durabilité Tokyo 2020 : énergies renouvelables, compensation carbone, ressources durables
Vers 100% d’énergies renouvelables et de compensation des émissions de CO2
Les Jeux de Tokyo 2020 ont pour ambition d’être les premiers à être alimentés à 100% par des énergies renouvelables. D’après le dernier rapport d’avancement publié en mars 2019, qui ne faisait pas état d’une réelle avancée vis-à-vis de cet objectif, seuls sept sites avaient été équipés de nouveaux systèmes d’énergie renouvelables, tels que des systèmes de production solaire d’électricité (513 kWh) et de chaleur (462 kWh), ou encore du chauffage et de climatisation géothermiques (424 kWh), dont l’origine n’a d’ailleurs pas été spécifiée. En 2018, c’est la société écossaise Aggreko qui avait remporté un contrat d’une valeur estimée à 200 millions USD (185 millions €) pour alimenter l’intégralité des infrastructures en énergie électrique temporaire et fournir des groupes électrogènes permettant d’assurer une alimentation continue durant les cérémonies d'ouverture et de clôture. Cette entreprise propose à la fois des groupes électrogènes classiques et des systèmes hybrides combinant gaz et énergies renouvelables, mais aucune information n’a été communiquée sur le type de solution énergétique qu’elle déploiera sur les JO de Tokyo.
Tokyo mise également sur l’utilisation d’infrastructures existantes et l’efficacité énergétique des bâtiments. Le réseau d’infrastructures qui sera utilisé dans le cadre des JO de Tokyo est composé de 43 sites : 25 déjà existants, 10 nouveaux sites temporaires et 8 nouveaux sites permanents. Alors que les émissions totales de carbone prévues dans le cadre de ces JO, selon un scénario business as usual, étaient estimées à 3,01 millions de tonnes (moins que Londres 2012 - 3,45 millions de tonnes et Rio 2016 - 3,56 millions de tonnes), grâce au recours à des infrastructures préexistantes, elles devraient être réduites à 2,93 millions de tonnes de CO2 (cf. Annexe 1). Le TOCOG s’est également fixé des objectifs en matière d’efficacité énergétique pour les nouveaux sites permanents (Rang S « excellent » CASBEE, niveau 3/3 du Green Building Program) et a équipé certaines infrastructures de systèmes de gestion énergétique du bâtiment (BEMS[1]) pour en contrôler la consommation.
Deux programmes de compensation carbone ont été mis en place: le programme de compensation carbone de Tokyo 2020 du TOCOG, qui consiste à compenser les émissions de CO2 considérées comme inévitables qui seront générées dans le cadre des JO, et le projet Tokyo Zero Carbon 4 Days de la métropole de Tokyo (Tokyo Metropolitan Government – TMG), qui consiste quant à lui à compenser l'intégralité des émissions générées à travers la métropole de Tokyo (toutes sources confondues), durant les quatre jours de cérémonies d'ouverture et de clôture, soit 720 000 tonnes de CO2. Ces deux programmes reposent sur les dons de crédits carbone par les entreprises participantes au marché carbone (cap-and-trade) de Tokyo (cf. Liste des entreprises participantes, février 2020) : les entreprises parvenues à atteindre des réductions d’émissions supérieures à celles requises dans le cadre du marché carbone[2] peuvent en faire don au TOCOG, via le TMG, chargé de centraliser les dons. En février 2020, 2,746 millions de tonnes de crédits carbone avaient ainsi été collectés, couvrant la quasi-totalité des 2,93 millions de tonnes de CO2 prévues (cf. Annexe 2).
Malgré ces initiatives, de nombreuses organisations de la société civile (OSC) japonaises et internationales s’inquiètent de Jeux non alignés avec l’urgence climatique. En particulier, elles exigent que les autorités rendent des comptes quant au lien entre les Jeux de Tokyo et la politique japonaise de soutien au charbon. No Coal Japan, coalition environnementale luttant contre le développement de nouvelles centrales au charbon, a lancé une campagne intitulée « Win Gold, Lose Coal », dont l’objectif est de dénoncer les activités des grands sponsors des Jeux de Tokyo – notamment SMBC, Mizuho, Tokio Marine et Nippon Life – en tant que grands financiers du charbon dans le monde, compromettant ainsi les objectifs de durabilité des JO de Tokyo. Si Nippon Life, SMBC et Mizuho ont révisé leurs politiques liées aux investissements dans le charbon ces dernières années, celles-ci présentent toujours, selon les ONG environnementales concernées, de véritables lacunes.
Mise en avant du bois de construction et des matériaux recyclés à travers des initiatives symboliques
L’utilisation de ressources durables, réutilisables et recyclables a été promue dans la conception de ces Jeux et des infrastructures associées. Le bois de construction , notamment, sera mis en avant. Conçu par Kengo Kuma, le nouveau stade olympique intègre ainsi une toiture et des façades presque intégralement construites en bois, inspirées du temple japonais Horyuji âgé de 1 300 ans. Autre initiative phare, le projet BATON (Building Athletes’ Village with Timber of the Nation) consiste en la construction d’une place couverte, au cœur du village olympique, à partir de bois japonais provenant de sources durables de 63 municipalités à travers le pays. Après les Jeux, cette structure sera démantelée et le bois sera rendu aux municipalités donatrices qui le réutiliseront pour l’aménagement d’installations publiques (bancs, écoles, etc.). Tokyo a également misé sur la location d’une partie du matériel (climatisations et produits électro-ménagers, entre autres) dont l’utilisation sera ensuite prolongée au-delà des Jeux.
L’utilisation de matériaux recyclés a été intégrée dans plusieurs aspects de la préparation des JO, à la fois sur des initiatives peu visibles mais représentant des volumes importants (utilisation de matériaux de constructions recyclés pour l’aménagement des nouvelles infrastructures) et sur des initiatives à faible empreinte directe mais à forte valeur symbolique (torche olympique composée à près d’un tiers d’aluminium recyclé, uniformes des porteurs réalisés en partie à partir de bouteilles en plastique recyclées). Sur le volet symbolique visant à contribuer à la sensibilisation du public, le TOCOG a également fait appel aux citoyens en organisant, de 2017 à 2019, une campagne de collecte de téléphones portables usagés (à laquelle la ville de Paris avait d'ailleurs été associée) visant à en extraire les métaux nécessaires à la production des 5000 médailles, et en 2019, lors d’une seconde campagne de collecte des déchets plastiques ménagers qui seront recyclés pour fabriquer les podiums.
Un code d’approvisionnement durable (Sustainable Sourcing Code) a été établi pour l’acquisition de bois, de produits agricoles, de produits issus de la pêche, de papier et d’huile de palme. Pour compléter ce dispositif, un mécanisme de réclamation a été mis en place afin de traiter les signalements de non-conformité au code d’approvisionnement durable conformément aux normes opérationnelles.
Depuis décembre 2016, une série de pétitions et lettres ouvertes (cf. Annexe 3) a été adressée par la société civile japonaise et internationale aux autorités olympiques pour exprimer leurs préoccupations quant au non-respect des normes environnementales internationales dans les procédures d’acquisition de matières premières et demander la divulgation des chaînes d’approvisionnement. Au cœur de ces préoccupations, la découverte sur plusieurs sites de construction des JO de Tokyo de pièces de bois tropical provenant des sociétés Shin Yang (Malaisie) et Korindo (Indonésie), toutes deux régulièrement attaquées pour violation des droits de l’homme, abattage illégal et destruction. Fin janvier 2019, le TOCOG et le gouvernement japonais ont révisé le Code d’approvisionnement durable de JO de Tokyo 2020, mais une déclaration publiée par une dizaine d’ONG environnementales avait fait savoir leur profonde déception face à des amendements « n’apportant malheureusement que des améliorations minimales et ne garantissant pas la durabilité ou même la légalité du bois acheté ». Selon les registres publiés par le TOCOG, entre décembre 2016 et novembre 2019, 38,5% des plaques de contreplaqué utilisées proviendraient d’Indonésie, 29,5% de Malaisie et 12% du Japon (l’origine du bois réutilisé (20%) n’a pas été divulguée à ce jour) (cf. Annexe 3).
Mobilité urbaine: entre vitrine technologique et approche pragmatique
Les Jeux comme vitrine de la mobilité hydrogène et autonome
Suite à un accord de parrainage conclu en 2015 avec le CIO, Toyota Motor va mettre à disposition 3 700 véhicules et solutions de mobilité, dont 2 000 feront partie de la flotte officielle pour les déplacements entre les sites. Selon Toyota, près de 90% de la flotte officielle sera électrifiée : véhicules hybrides électriques, 500 véhicules électriques à pile à hydrogène type Mirai, véhicules hybrides rechargeables et Prius rechargeable. À cela viendront s’ajouter 850 véhicules électriques à batteries tels que l’Accessible People Mover, l’e-Palette et le Toyota Concept-i. Ce partenariat contribue ainsi à l’atteinte de l’objectif 100% de véhicules faibles en émissions et économes en carburant durant les JO et à la promotion la politique nationale pour une « société hydrogène », qui fixe des objectif sur les vingt prochains années, mais dont la cible 2020 ne contient aucun engagement de recours à un hydrogène décarboné. En 2016, le TMG avait conclu un accord avec la préfecture de Fukushima sur la coopération en matière de développement de l’hydrogène produit à partir d’électricité renouvelable. Le 8 mars 2020, la centrale de production d'hydrogène vert Fukushima Hydrogen Energy Research Field (FH2R) est entrée en service, avec une capacité de production attendue capable d’alimenter jusqu’à 560 véhicules par jour. Si cette capacité théorique est atteinte et que la production est livrée en priorité sur les Jeux, alors la flotte officielle de 500 Mirai prévue par Toyota pourrait être alimentée entièrement par cette centrale. Toutefois, aucune information officielle n’a à ce jour confirmé que l’hydrogène utilisé sur les Jeux sera 100% renouvelable.
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Transports collectifs et routiers: une approche software plutôt que hardware
Tokyo s’est fixé pour objectif d’assurer un transport sûr et fluide pour les équipes et les spectateurs durant les JO, tout en permettant la continuité des activités habituelles dans la métropole de Tokyo. Pour ce faire, deux initiatives de gestion du trafic ont été mises en place. D’une part, la gestion de la demande en transports (travel demand management – TDM) fait référence aux initiatives de réduction de la congestion sur les routes via la régulation de la demande en transport (promotion du télétravail, aménagement des horaires de présence au bureau, modification des horaires de livraison, promotion de l’utilisation des transports publics, etc.). Le TOCOG a ainsi pour objectif de réduire le volume de la circulation (par rapport au niveau moyen hors période de Jeux) de 30% dans les centres-villes, de 10% dans la métropole de Tokyo, et de 30% à l’entrée et à la sortie des seize zones désignées « prioritaires ».
D’autre part, la gestion du système de trafic (traffic system management – TSM) désigne les initiatives prises pour maintenir la fluidité du trafic en limitant la circulation et en restreignant l’entrée dans des zones où le trafic restera fortement concentré, malgré les mesures de réduction (fermeture des accès aux voies rapides, fermeture des péages routiers urbains, allongement de la durée des feux rouges, etc.). Un système de tarification routière devrait également être mis en place sur le réseau autoroutier Shuto Expressway, instaurant des frais supplémentaires de 1 000¥ durant la journée et jusqu’à 50% de réduction durant la nuit.
Globalement, sur les transports collectifs et routiers, Tokyo 2020 mise donc avant tout sur l’existant et des solutions d’optimisation, plutôt que sur le renforcement ou la création d’infrastructures. Les dispositifs ont été testés à l’été 2019, avec des résultats satisfaisants.
Personnes à mobilité réduite: l'accessibilité comme l'un des héritages des JO 2020?
Dès mars 2017, le TOCOG a établi les lignes directrices pour l’accessibilité des JO de Tokyo 2020 (approuvées par le Comité international paralympique). Ce document indique les aménagements environnementaux (ex. largeur des trottoirs, aménagement des chambres dans les hôtels, accès aux sites de compétition, etc.) ainsi que les modes de communications adaptés (messages audio, textes agrandis, braille, etc.) à prévoir dans le cadre des JO pour répondre aux normes internationales d’accessibilité et garantir un accès équitable aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo. Si les 4 400 athlètes paralympiques (dont 1 800 en fauteuil roulant) seront logés dans le Village olympique, environ 850 chambres d'hôtel accessibles supplémentaires seront nécessaires pour le personnel d'encadrement, les médias et les spectateurs ; à l’été 2019, il en manquait encore environ 300. Une révision de la législation encadrant le nombre de chambres devant être accessibles aux personnes en fauteuil roulant dans les hôtels au Japon pourrait représenter un héritage tangible de ces Jeux.
En matière d’aménagement pour les personnes en situation de handicap, la question des transports et de la mobilité est également un enjeu clé. Dans le cadre de son partenariat avec le CIO, Toyota a annoncé le déploiement de 200 Accessible People Movers (APM), des véhicules spécialement conçus pour répondre aux besoins des personnes à mobilité réduite. Ces véhicules viendront compléter la flotte de taxis mise en service en 2017 par Toyota, dont le modèle a dû être revu en 2019, suite à de nombreuses plaintes au sujet de la mise en place laborieuse des rampes d’accès.
De Tokyo 2020 à Paris 2024
Tout comme Tokyo, Paris a pour objectif d’organiser les Jeux les plus durables de l’histoire. Si le Japon réussit son pari sur Tokyo 2020, la France devra donc redoubler d'efforts avec Paris 2024.
La stratégie de durabilité élaborée par Paris 2024 et soutenue par WWF France, le Centre Yunus et UNICEF France, s’alignerait en intégralité avec l’accord de Paris sur le climat et les ODD de l’Agenda 2030. Paris 2024 s’est fixé un objectif de réduction de 55% de l’empreinte carbone par rapport aux JO de Londres 2012 (3,45 millions de tonnes de CO2), considérés comme référence en termes de durabilité, soit un objectif d’émissions totales de 1,5 million de tonnes de CO2.
Paris 2024 mise aussi grandement sur sa politique de transports propres, dont les objectifs suivants: 100% des spectateurs se rendant sur les sites par transports publics, à pied ou à vélo, la gratuité du réseau des transports parisiens pour les détenteurs de billets pour les Jeux, la mise en service d’une flotte de bus à zéro émission durant les Jeux, etc. Le village olympique de Paris 2024 sera également une vitrine de développement durable avec des bâtiments à faible émission de carbone faisant appel à de l’énergie 100% renouvelable et une politique de « zéro déchet ». Enfin, avec 95% de sites déjà existants ou composés d’installations temporaires, l’impact des installations relatives aux Jeux devrait être minime.