Construction d'une maison en bois à TokyoMalgré une abondante ressource, le bois est peu utilisé dans la construction japonaise depuis la fin de la seconde guerre mondiale, en raison notamment des risques en cas d’incendie et d’une loi très contraignante. Progressivement assoupli depuis 1987, le cadre relatif à la construction fait l’objet depuis 2010 d’une politique volontariste de promotion du bois, portée par les ministères en charge de la construction (MLIT) et de la forêt (MAFF). L’objectif du gouvernement est de revitaliser la filière économique du bois, de contribuer à la lutte contre le changement climatique, et d’améliorer le confort d’usage des bâtiments. A cette fin, plusieurs mesures (subventions, simplifications administratives, soutien technologique) sont déployées depuis quelques années. Dans ce contexte, le Japon et la France – également fortement mobilisée pour l’emploi des matériaux bio-sourcés dans la construction – développent des échanges.

1.      Une ressource bois abondante mais négligée

Deux tiers du territoire japonais (soit 2,5 millions ha) sont recouverts par la forêt ; le bois devrait donc constituer une ressource stratégique pour le pays, par ailleurs faiblement doté d’autres ressources naturelles. Le stock forestier du Japon augmente chaque année d’environ 100 millions de m3 ; il s’élève actuellement à 4,9 milliards de m3. En 2016, la demande de bois (en rondins) s’établissait à 26 millions de m3 (dont 20% importés).

Malgré d’importants programmes de plantation forestière après-guerre, le bois japonais n’a pas beaucoup été utilisé au cours des dernières décennies, pour plusieurs raisons, notamment :

  • La concurrence des matériaux importés et la baisse globale du prix du bois
  • Les inquiétudes vis-à-vis des risques d’incendie en cas d’usage du bois dans la construction (suite aux incendies pendant la guerre, la loi de la construction de 1950 a interdit l’usage du bois dans la construction de grands bâtiments, jusqu’en 2000)
  • Le manque de successeurs des exploitants forestiers

Ce faible usage de la ressource forestière a conduit à un faible l’entretien, qui lui-même a eu pour conséquence la réduction de la capacité de la forêt japonaise à lutter contre le changement climatique, à s’inscrire dans l’économie circulaire et dans la revitalisation de l’économie locale, ou encore à contribuer au cycle de l’eau.

graphiques construction bois

2.     Loi de 2010 pour la promotion du bois dans le domaine de la construction

Le bois a longtemps été le principal matériau dans la construction traditionnelle japonaise, mais est de moins utilisé depuis une soixantaine d’années. La part des nouvelles constructions de maisons en bois est ainsi passée de 94% en 1963 à 55% en 2014. La construction de logements représente cependant toujours une part importante de la demande domestique (40%), et plus de la moitié des logements neufs sont encore construits en bois. Les constructions selon les techniques traditionnelles utilisent majoritairement du bois domestique (55%), sauf dans le cas de grands constructeurs (jusqu’à 80% de bois importé). Les constructions préfabriquées ou construites avec la méthode « 2x4 » (voir tableau) emploient du bois d’importation à plus de 95%.

Tableau 1 : les trois systèmes de construction de maisons individuelles japonaises

 

Particularité

Principaux constructeurs

Méthode traditionnelle

-   Utilisation des techniques traditionnelles

-   Construction par des charpentiers

-   Style flexible

-   Utilisation majoritaire de bois domestique (55%)

Sumitomo Forestry, Sekisui House, charpentiers, entreprises individuelles, etc.

Méthode 2x4

(Framing)

-   Construction avec éléments de 2x4 pouces et structure monocoque de panneaux

-   Construction plus rapide

-   Meilleure résistance antisismique, isolation thermique et acoustique supérieure à la méthode traditionnelle

-   Utilisation très majoritaire de bois importé (99%)

Mitsui Home, Misawa Home, SbyL, Sekisui House, etc.

Maison préfabriquée

-   Construction avec pièces préfabriquées en usine

-   Production industrielle qui assure la qualité, la stabilité et la rapidité de la construction

-   Coûts moins élevés

-   Utilisation de beaucoup de bois importé (95%)

Daiwa House, Sekisui Heim, Asahi Kasei Homes, etc.

Compte tenu des atouts du bois pour le confort d’usage (isolation, régulation de l’humidité, absorption des UV) et pour la réduction de l’impact carbone du secteur de la construction, le gouvernement japonais a commencé en 2010 à œuvrer pour la promotion de la construction bois et le renforcement de la filière.

Une loi, portée par le ministère du territoire, des infrastructures, du transport et du tourisme (MLIT) en collaboration avec le ministère de l’agriculture, de la forêt et de la pêche (MAFF),  a ainsi été adoptée en mai 2010. Elle confie au MAFF et au MLIT la responsabilité d’élaborer un plan de promotion de l’utilisation du bois domestique et d’autres ressources bois dans la construction des bâtiments publics, s’appuyant sur un renforcement de la filière bois (notamment pour garantir la durabilité de la ressource assurer l’approvisionnement en bois pour les bâtiments publics) et l’amélioration de l’autosuffisance. Outre les efforts pour l’utilisation du bois dans les bâtiments de l’Etat, les ministères doivent également améliorer les règles encadrant la construction en bois et en assurer la promotion auprès des collectivités. Ces dernières sont invitées à prendre des mesures pour la promotion du bois et à utiliser cette ressource. Des mécanismes de subvention sont prévus en soutien (voir tableau page suivante). En agissant d’abord sur les bâtiments publics, le gouvernement souhaite créer un effet d’entraînement pour la construction des bâtiments résidentiels privés, d’infrastructures, etc.

3.     Evolutions de la loi fondamentale de construction

Le cadre législatif sur la construction en bois, assoupli plusieurs fois entre 1987 et 1998 (voir tableau ci-après), permettait déjà de construire des bâtiments résidentiels en bois jusqu’à trois étages, sous certaines conditions, telles que l’obligation de couvrir le bois de matériaux ignifugés lorsque le bâtiment atteint 3 étages ou 3000m².

Tableau 2 : Evolution de la loi fondamentale de la construction

Modification de 1987

Possibilité de construire des maisons particulières en bois à 3 étages à l’intérieur des zones de protection contre l’incendie de 2ème niveau

Modification de 1992

Possibilité de construire des logements collectifs en bois à 3 étages en dehors des zones de protection contre l’incendie de 1er  et 2ème niveaux

Modification de 1998

Possibilité de construire des logements collectifs en bois à 3 étages (y compris dans les zones de protection contre l’incendie), sous certaines conditions

Modification de 2014

Possibilité de construire des bâtiments publics (exemple : école) en bois à 3 étages, sous certaines conditions

Les procédures d’autorisation restaient toutefois très longues, freinant l’intérêt des constructeurs. Suite à la loi de 2010, une norme a été créée afin de faciliter l’évaluation des nouvelles constructions bois de moyenne et grande taille, permettant de ramener de 6 à 1 mois les démarches de vérification (risques d’incendie, solidité).

La modification de 2014, entrée en vigueur en juin 2015, permet de construire :

  • des bâtiments publics (école, salle de sport, musée, bibliothèque) à condition que le bâtiment soit équipé d’une structure ignifugée de seconde classe (résistance au feu prouvée sur 1 heure).
  • des bâtiments supérieurs à 3000 m² à condition que le bâtiment soit équipé de séparations ignifugées, afin d’éviter la propagation du feu sur plus de 3000 m². 

 Tableau 3 : Mesures de soutien pour la construction en bois en 2015

Aide

Bâtiments concernés

Ministère concerné

Aide pour les écoles publiques / Subvention pour l’amélioration de l’environnement des installations éducatives

-   Pour l’aménagement des écoles publiques en bois

-   Aide pour 1/2 des coûts de nouvelle construction ou 1/3 des coûts de rénovation

Ecoles publiques (maternelle, primaire, collège, école pour handicapés)

MEXT (Ministère de l’éducation, de la culture, du sport, de la science et de la technologie)

Aide pour projet pilote d’école en bois

-   Pour les études de construction d’une école à 3 étages en bois

-   Aide pour 100% du coût des études (établissement d’un plan de base)

Ecoles publiques (maternelle, primaire, collège, école pour handicapés)

MEXT (Ministère de l’éducation, de la culture, du sport, de la science et de la technologie)

Subvention pour la revitalisation de la forêt

-   Pour l’aménagement des bâtiments publics en bois par les collectivités locales

-   Aide pour 1/2 des coûts d’aménagement (maximum : 500 millions JPY)

Bâtiments publics en bois

MAFF (Ministère de l’agriculture, de la forêt et de la pêche)

Aide pour projet pilote de bâtiments durables

-   Pour l’aménagement des grands bâtiments publics en bois introduisant la technologie avancée

-   Aide pour 1/2 des coûts de l’étude et 1/2 des coûts supplémentaires lié à la construction en bois ou 15% des coûts de construction

Grands bâtiments en bois

MLIT (Ministère du territoire, des infrastructures, du transport et du tourisme)

Promotion de la construction en bois des bâtiments publics

-   Aide technique pour l’étape de conception

-   Aide apportée aux collectivités locales pour la rénovation bois des bâtiments publics

Bâtiments publics

MAFF (Ministère de l’agriculture, de la forêt et de la pêche)

4.     Les nouveaux matériaux pour la construction en bois

Grâce à ce soutien politique, les matériaux bois permettant la construction d’immeubles de grande hauteur gagnent progressivement les faveurs des constructeurs. Le CLT (Cross Laminated Timber) est mis en avant comme matériau permettant de garantir la solidité du bâtiment, tout en raccourcissant significativement le temps de construction (comparativement à du béton renforcé), avec des performances thermiques nettement meilleures. Utilisé en Europe depuis une vingtaine d’années, il intéresse les constructeurs japonais depuis environ cinq ans.

Son développement au Japon a nécessité des études préalables par les autorités (MLIT, Japan Agricultural Standard) afin de vérifier sa solidité et sa résistance (séisme, incendie). Le dispositif normatif de la construction a été adapté pour prendre en compte le CLT, et le MLIT a établi fin 2014 une feuille de route pour sa promotion dans la construction de bâtiments de grande hauteur. En 2016, le CLT a été introduit par le MLIT dans la loi fondamentale de la construction, permettant de construire des grands bâtiments en CLT sans autorisation spéciale du ministère et des bâtiments de 3 étages en CLT sans couverture de protection incendie.

Le MLIT, avec l’aide de l’agence forestière nationale, travaille actuellement pour la promotion de ces dernières évolutions. Il organise des réunions de travail auprès des acteurs concernés, avec le soutien des associations (Association Japonaise pour le CLT ; Japan Housing & Wood Technology Center). Il subventionne par ailleurs un programme de recherche sur le CLT, porté par l’association CLT, le Building Research Institute (BRI, équivalent du CSTB français) et le Shibaura Institute of Technology. Dans ce cadre, une maison de démonstration a été construite pour des expérimentations sur le confort, la résistance et la qualité acoustique.

Un autre matériau qui intéresse de plus en plus de constructeurs japonais est le LVL (Laminated Veneer Lumber), utilisable à la fois pour la structure (piliers, poutres) et pour l’aménagement intérieur des bâtiments. 

5.     Relation franco-japonaise dans le domaine de la construction bois

5.1  Des échanges qui se développent depuis 2015

Les premiers échanges entre la France et le Japon dans le domaine de la construction en bois remontent à 2015, avec des demandes d’informations sur ce sujet de la part du Japan Institute of Architects (JIA) et la Société Franco-japonaise des Techniques Industrielles (SFJTI) auprès de l’ambassade de France au Japon. Suite à ces sollicitations, le service science et technologie de l’ambassade a organisé une mission exploratoire au Japon, fin 2015, à laquelle participaient la Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages (DHUP) du ministère du logement et de l’habitat durable, le Comité Stratégique de la Filière bois, la fédération France Bois Industrie Entreprises (FBIE), l’Institut Technologique Forêt Cellulose Bois Construction (FCBA) et l’agence d’architecture NLA. A la suite de cette mission incluant des visites de sites, des rencontres et deux séminaires, plusieurs pistes opérationnelles ont été identifiées pour poursuivre les échanges : R&D (vibration et effet diaphragme des planchers en bois, durabilité des matériaux biosourcés, etc.), collaboration industrielle, échange des missions d’architectes, renforcement de la collaboration institutionnelle entre la DHUP et le MLIT, etc.

Fin 2016, dans le cadre de la conférence biannuelle DHUP/MLIT sur la construction, des échanges ont eu lieu sur les politiques des deux pays en matière de construction bois, avec côté japonais un focus sur la politique de promotion de la technique CLT.

A ce jour, le principal résultat des échanges franco-japonais sur la construction bois est la signature d’un mémorandum d’entente entre le FCBA et la société japonaise NICE Corporation, à Osaka en décembre 2016 dans le cadre du grand forum de l’innovation franco-japonaise. Ce MoU a l’objectif de contribuer au développement de la construction en bois dans les deux pays par la définition d’objectifs communs et la mise en œuvre d’actions conjointes, dont les premières sont l’accueil au Japon d’un chercheur du FCBA (mai 2017) ou encore la promotion conjointe du premier congrès mondial sur les immeubles de grande hauteur, Woodrise, qui se tient à Bordeaux en septembre 2017.

Commentaires et perspectives :
  • Grâce aux efforts du FCBA, le BRI s’est positionné comme co-organisateur du congrès Woodrise, au même titre que l’institut canadien FPInnovation. Une importante délégation japonaise est prévue (BRI, JIA, NICE Corp., Building Center of Japan, l’architecte Kengo Kuma…). Un livre blanc basé sur l’expérience de six pays (France, Japon, Canada, Brésil, Suisse et Finlande) sera publié à cette occasion. La 2ème édition de ce congrès pourrait être organisée au Japon en 2019.
  • Compte-tenu des efforts des ministères des deux pays en faveur de l’emploi des matériaux bois et biosourcés, les échanges institutionnels pourraient être renforcés. A ce jour, le dialogue repose essentiellement sur les initiatives du FCBA, de son partenaire privé NICE Corporation, et du BRI, et porte sur les aspects techniques et industriels. En réponse à ses enjeux domestiques, le Japon a développé une expertise sur la résistance (incendie, séisme) des constructions bois. La France est en avance sur la performance thermique et le confort d’usage, ainsi que sur une vision plus large des matériaux bio-sourcés, non limitée au bois. Les échanges pourraient également porter sur l’organisation des filières pour le bois de construction.
  • Suite à des contacts pris par le SER, un projet de thèse professionnelle comparant les politiques du Japon et de la France en matière de bâtiment résidentiel durable, incluant la question de matériaux de construction ainsi que celle de la performance énergétique des constructions, est à l’étude par la DHUP en lien avec la DAEI des MTES/MCT. Cette étude, envisagée pour fin 2017 / début 2018, permettrait d’approfondir notre compréhension du paysage japonais et l’identification des thèmes (techniques, économiques, réglementaires…) sur lesquels les échanges pourraient être renforcés.