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Énergie peu coûteuse, facile à importer mais particulièrement polluante, le charbon conserve une place importante dans la politique énergétique japonais ; l’objectif est qu’il représente encore 25% du mix énergétique en 2030 (contre 28 % en 2015), soit la deuxième source d’énergie du pays après le pétrole, loin devant les renouvelables (14%) et le nucléaire (11%). Bien que faible, l’atteinte de l’objectif de réduction de la part du charbon n’est en outre pas garanti, en raison du difficile redémarrage du nucléaire et du développement laborieux des énergies renouvelables. De nombreux projets de  nouvelles centrales à charbon sont portés par les compagnies d’énergie et les industriels, que ce soit sur le territoire japonais ou au sein des pays asiatiques émergents. Le gouvernement japonais et l’industrie en minimisent les enjeux environnementaux, mettant en avant le concept de « charbon propre » (centrales aux rendements améliorés et rejetant moins de particules). Ce soutien au charbon pourrait finir par se heurter aux réalités de la mise en œuvre de l’Accord de Paris, qui se décline notamment par l’élaboration de la stratégie bas-carbone long terme du Japon. La question du recours au charbon fait enfin débat au sein du gouvernement japonais.

1. La place du charbon dans les politiques et objectifs énergétiques japonais

Tableau1.1 Dans les mix énergétique et électrique 2030 envisagés, le charbon tient toujours une place significative qui semble peu compatible avec l’effort global contre le changement climatique. Le mix énergétique japonais 2015 est composé à 28% de charbon, l’objectif 2030 étant fixé à 25%. Pour ce qui concerne le mix électrique, une baisse de 34% actuellement, à 26% en 2030, est prévue par le gouvernement. (Plus d’informations disponibles dans la note «Mix énergétique au Japon : situation actuelle et perspectives (2017)»)

1.2 Le Ministère en charge de l’énergie (METI) et le Ministère de l’environnement (MOE) ne s’accordent pas sur la place que doit occuper le charbon au sein du bouquet énergétique à l’horizon 2030.

(i) Le MOE, ministère porteur de la politique environnement-climat du Japon, milite pour une baisse du recours aux énergies fossiles, notamment le charbon, et l’arrêt des constructions de centrales à charbon tandis que le METI, en soutien des enjeux économiques et industriels à court terme, souhaite maintenir une part significative du charbon dans le mix énergétique prévu en 2030. Le METI préconise déjà d’autoriser l’augmentation des capacités de productions de charbon des compagnies régionales japonaises. Dans la pratique, les positions du METI sur la politique énergétique priment et les décisions sont prises par ce ministère en dernier ressort.

(ii) Le MOE s’est opposé en août 2017 à la construction d’une centrale à charbon, par le groupe Chubu Electric Power, dans la préfecture d’Aichi, en déposant une objection écrite auprès du METI pour exprimer son inquiétude à l’égard de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES). En juillet 2015, le MOE avait déjà émis une objection à ce projet, conduisant la compagnie régionale à définir un nouveau plan consistant à mélanger le charbon avec des copeaux de bois. Selon Chubu Electric Power, cette technique permettrait de réduire les émissions de GES de 900 000 tonnes par an mais cette solution a été jugée insuffisante par le MOE. Le MOE s’était également opposé à la construction d’une centrale à charbon en juin 2015, par le groupe Osaka Gaz et Electric Power, également en raison des objectifs de réduction des émissions de GES du Japon. Une déclaration du Ministre de l’environnement Masaharu Nakagawa (nommé en août 2017) traduit une volonté de sensibiliser les compagnies régionales aux efforts de lutte contre le changement climatique sans pour autant s’opposer à la construction de nouvelles centrales à charbon, du moment que les anciennes sont démantelées. Les experts du MOE s’accordent pourtant à dire que l’objectif de 80% de réduction des émissions de GES d’ici 2050 est impossible à atteindre si les 40 projets de construction de centrales à charbon actuellement en attente de validation sont approuvés.

1.3 Le charbon importé et consommé au Japon provient essentiellement d’Australie (60%), d’Indonésie (20%) et de Russie (7%)[1]. Le Japon entretient notamment des dialogues officiels avec le Vietnam et l’Indonésie sur la politique énergétique à adopter dans le secteur du charbon, principalement en vue de promouvoir une coopération plus forte pour l’exploration de mines de charbon et l’utilisation du charbon afin de générer de l’énergie. Alors que le gouvernement japonais envisage déjà d’importer de l’hydrogène de producteurs étrangers, l’Australie se positionne pour devenir fournisseur en mettant en avant ses réserves de charbon brun. Le développement de l’hydrogène au Japon, mis en avant par le gouvernement comme une solution « propre », pourrait donc également contribuer à consolider la consommation de charbon du Japon.

 

2. L’implication du secteur privé dans le développement du charbon au Japon et en pays-tiers

2.1 Les maisons de commerce japonaises partagent des doutes sur le potentiel de développement des énergies renouvelables au Japon, dans un contexte de baisse du prix de rachat de l’électricité solaire et éolienne amorcée en 2017, et préfèrent privilégier les bénéfices à court terme en investissant dans les énergies fossiles. Concernant le charbon, les maisons de commerce développent des projets de construction de centrales principalement en Indonésie et en Australie (les deux principaux fournisseurs de charbon du Japon), avec par exemple la signature d’un accord entre Itochu et PLN (électricien indonésien), en juillet 2017, pour la construction d’une centrale à charbon en Indonésie, et le renforcement des activités de Mitsui dans l’exploration et l’exploitation de mines de charbon australiennes depuis février 2017. Dans le secteur des énergies renouvelables, les sogo shosha investissent principalement dans le solaire et l’éolien avec une minorité de projets dans l’archipel, les marchés européens et américains étant perçus comme plus prometteurs pour le développement d’énergies vertes. Du point de vue des maisons de commerce japonaises, l’équilibre du mix énergétique japonais doit passer par le redémarrage des centrales nucléaires et la diversification des sources d’énergies à partir des énergies fossiles, notamment le charbon qui constitue l’énergie fossile la moins coûteuse.

2.2 Depuis la catastrophe de Fukushima en 2011, les compagnies électriques régionales (EPCOs[2]) s’appuient principalement sur l’importation massive de charbon et de gaz pour produire de l’électricité, avec une volonté de redémarrer le parc nucléaire japonais et de timides investissements en faveur des énergies renouvelables.

(i) Le rapport «Aggregation of Electricity Supply Plans for FY 2017», publié par l’OCCTO[3] le 30 mars 2017, résume les plans présentés par les compagnies régionales japonaises en vue de fournir une vision à long-terme de l’approvisionnement en énergie au Japon jusqu’à l’année fiscale 2026. A ce jour, les compagnies régionales japonaises ont soumis à l'approbation du METI pas moins de 42 projets[4] visant l'installation de nouvelles centrales à charbon sur le territoire japonais. Ces projets s’appuient sur le Basic Energy Plan de 2014, qui est actuellement en cours de révision par le METI, et qui qualifie le charbon comme étant une ressource particulièrement importante et supérieure aux autres au regard de son approvisionnement stable et sa rentabilité économique. Les opérateurs régionaux misent donc grandement sur le charbon en vue de remplacer l’énergie nucléaire, faire face à la demande croissante en électricité et garantir une source d’énergie peu coûteuse dans un contexte de libéralisation des marchés japonais de l’énergie.

(ii) L’objectif visé par la libéralisation du marché de l’électricité était en effet de favoriser le développement des énergies renouvelables en laissant de nouveaux concurrents entrer sur le marché, mais comme la troisième étape de la dérégulation n’a pas été lancée, les opérateurs régionaux japonais ont seulement perdu l’exclusivité sur le marché de l’électricité, et non la position dominante que leur procure la gestion de l’ensemble des réseaux d’électricité dans leur zone respective. Quand un nouvel entrant développe une source d’électricité renouvelable (solaire, éolien, hydroélectrique…etc.), il lui reste à négocier avec la compagnie régionale en charge de la zone le raccordement de ses installations au réseau de distribution de la région. Le lancement de la troisième étape de la libéralisation, qui consiste en la séparation des activités de production et de distribution, était prévu en 2018 mais a été reportée à 2020 car le gouvernement estime que la dérégulation complète ne favorise pas les intérêts des compagnies régionales. En 2016, le gouvernement japonais a également promulgué deux décrets permettant de reporter après 2020 le lancement de la troisième étape si elle se révèle être défavorable à la situation économique des EPCOs.

2.3 Poussé par une politique du METI favorable aux exportations des technologies de charbon «de nouvelle génération», le secteur privé japonais étend ses activités de construction de centrales thermiques en pays-tiers. Les groupes japonais MHI, IHI et Hitachi ont développé des technologies charbon à haute efficacité (centrales supercritiques), présentes comme technologies de «charbon propre». Il s’agit essentiellement de centrales présentant un meilleur rendement énergétique et rejetant moins de poussières et particules. Le METI prévoit d’investir près de 2 Mds JPY (17,6 M USD) en études de faisabilité en vue de lancer 7 ou 8 projets visant la construction de centrales à charbon de haute efficacité au Vietnam, en Thaïlande et au Cambodge, d’ici 2019. Le programme élaboré par le METI inclut des transferts de technologies, la réalisation d’études de faisabilité et l’envoi d’ingénieurs afin d’assurer une formation et fournir une expertise sur place. Cette initiative est également en phase avec le « Partenariat pour les infrastructures de qualité » annoncé en Mai 2015 par le Premier Ministre Abe et visant à promouvoir l’exportation de systèmes japonais d’infrastructures, dont les technologies de centrales à charbon de haute efficacité, au sein de marchés émergents. La JICA apporte en parallèle des financements pour des projets basés sur les énergies fossiles dans les pays en développement, et fait notamment une promotion active des technologies japonaises de « charbon propre » en Asie.


[1] A jour de 2016.

[2] EPCOs (Electric Power Companies) : les 10 compagnies régionales japonaises gérant les réseaux d’électricité japonais.

[3] Organization for Cross-regional Coordination and Transmission Operators : L’objectif de cette organisation est de développer les systèmes de transport et de distribution au-delà des régions, et renforcer, au niveau national, la capacité de répondre et d’ajuster la demande en fonction des fluctuations de l’approvisionnement. Cette meilleure interconnexion est aussi un cadre nécessaire à un développement important des énergies renouvelables où les principaux sites ayant de grand potentiel de production sont éloignés des grandes aires de consommation.

[4] Renewable Energy Institute Report: “Business Risks of New Coal-fired Power Plant Projects in Japan”, September 2017