Le Japon, deuxième financeur mondial de centrales à charbon, s’inscrit à contre-courant des autres pays du G7 en maintenant un soutien actif à de nouveaux projets dans les pays en développement, en particulier en Asie. Cette politique, portée tant par le gouvernement et ses agences de développement que par les banques, maisons de commerce et assureurs privés, fait face à des contestations grandissantes tant au Japon qu’à l’international. Les financeurs privés japonais commencent à infléchir leurs positions afin de réduire leur exposition aux risques liés à cette énergie et le gouvernement a engagé en 2020 une révision de sa politique d’export de centrales à charbon.

Le Japon, deuxième financeur de centrales à charbon dans le monde

Le Japon est le deuxième financeur public de centrales à charbon dans le monde, après la Chine et avant la Corée du Sud. Entre 2003 et 2018, le soutien public à l’export atteint 21,8 Mds USD pour 54 projets. Sur la période 2013-2016, le financement public du Japon pour les centrales à charbon à l’étranger était 5 fois supérieur à celui apporté pour les énergies renouvelables. Les projets se trouvent principalement en Indonésie, au Bangladesh et au Vietnam, s’inscrivant dans la tendance constatée par l’IEA : 90% des centrales à charbon construites au cours des 20 dernières années sont en Asie. Le soutien financier public japonais est apporté par les agences et banques JBIC, NEXI et JICA. Sur les 15 dernières années, un tiers du financement public se concentre sur la seule période 2017-2019, notamment avec des projets de grande ampleur comme Vung Ang II au Vietnam.

Financement public du charbon et des énergies renouvelables à l'export par les pays du G20 entre 2013 et 2016

Pour justifier cette politique, le gouvernement japonais avance plusieurs arguments : (1) les projets sont basés sur les technologies japonaises dites de “charbon propre” (centrales ultra-supercritiques - USC) ; (2) si Le Japon se retire, alors les pays en développement auront recours à des solutions chinoises, moins performantes ; (3) l’export de centrales japonaises contribue à la balance commerciale nationale. Le Japon encadre par ailleurs son soutien à l’export de centrales à charbon par quatre règles, fixées dans la feuille de route énergétique nationale - le Basic Energy Plan - dont la dernière édition date de 2018 : (1) limiter les exportations aux pays qui n’ont d’autre choix que de recourir au charbon pour assurer leur sécurité énergétique et leur développement économique, (2) exporter dans les pays faisant la demande des technologies japonaises, (3) respecter les règles de l’OCDE, (4) s’aligner sur les politiques énergétiques et climatiques des pays bénéficiaires.

Le secteur privé est également largement impliqué. Entre 2013 et 2018, ce sont au moins 40 Mds USD qui auraient été apportés par les banques privées japonaises, auxquels s’ajoutent 12 Mds USD de flux d’investissements. Entre 2017 et 2019, les trois méga-banques MUFG, SMBC et Mizuho représentaient à elles seules 22% des prêts directs aux porteurs de projets de centrales à charbon dans le monde. L’encours de financement privé pour les énergies fossiles approche les 80 Mds USD, dont 50% au profit du charbon.

Source et destination des principaux financements au charbon par les pays du G20

Des contestations grandissantes en interne et sur la scène internationale

Le Japon est attaqué tant en interne qu’à l’international pour son engagement dans le développement de centrales à charbon. Depuis l’été 2019, le gouvernement a été ciblé à plusieurs reprises sur la scène internationale (Sommet Climat de l’ONU à New-York, COP25 à Madrid…) et dans les médias pour son manque d’engagement pour le climat, et plus particulièrement son soutien au charbon dans les pays en développement. La stratégie d’export est également remise en cause par les observateurs économiques et financiers pour les risques d’actifs échoués estimés à plus de 4 Mds USD, dus en parti à la perte de compétitivité progressive du charbon en Asie du Sud et du Sud-Est.  Une étude de Carbon Tracker montre que les nouvelles centrales à énergies renouvelables pourraient devenir avant 2030 plus économiques que les centrales à charbon existantes dans ces pays.

La politique d’export de centrales à charbon dans les pays en développement est le sujet sur lequel les ONG environnementales se montrent les plus virulentes au Japon. En plus de l’impact sur le climat, elles s’inquiètent des risques économiques et environnementaux locaux que les centrales financées par le Japon font peser sur les pays qui accueillent ces projets et diffusent des études visant à contrer les arguments du gouvernement japonais. Elles rappellent notamment que les centrales avancées USC ne représentent que la moitié des projets, l’autre moitié étant constituée de centrales classiques, moins performantes. Dans une étude publiée en 2020, le think-tank japonais Renewable Energy Institute montre par ailleurs que le rendement et la compétitivité des centrales USC chinoises sont meilleurs que ceux des centrales japonaises. Greenpeace a indiqué en 2019 que les centrales à charbon financées par le Japon dans les pays en développement d’Asie sont 15 à 40 fois plus polluantes que les centrales construites au Japon depuis 2012. La contribution à la balance commerciale est également remise en cause : le Renewable Energy Institute estime que les centrales à charbon représentent moins de 1% de l’objectif 2020 d’exportation d’infrastructures. Enfin, plusieurs projets de centrales USC sont critiqués au motif qu’ils ne respectent pas la totalité des quatre conditions de la politique de soutien mentionnées plus haut.

Les ONG ciblent également les financeurs privés : campagnes de lobbying pour le désinvestissement par 350.org, opérations de communication de No Coal Japan afin d’alerter les médias et le grand public (communiqués de presse, manifestations lors du Sommet du G20 à Osaka en 2019, campagne “Win Gold Lose Coal” autour des Jeux Olympiques…). En mars 2020, l’ONG Kiko Network, actionnaire minoritaire de Mizuho, a déposé la première résolution climat auprès de l’assemblée générale de la méga-banque.

Des positions qui commencent à évoluer

Centrale Vung Ang II au VietnamCes critiques de plus en plus nombreuses et visibles poussent les acteurs privés à infléchir, dans une certaine limite, leurs stratégies. Depuis 2018, plusieurs maisons de commerce (Marubeni, Itochu, Mitsui), banques (MUFG, SMBC, Mizuho, Resona Holdings) et compagnies d’assurance (Meiji Yasuda Life, Nippon Life, Daiichi Seimei) adoptent des lignes de conduite plus strictes. Cette dynamique naissante ne couvre toutefois pas les activités liées à l’extraction minière de charbon tandis que les industriels de l’énergie restent mobilisés en faveur des centrales à charbon, même s’ils augmentent en parallèle leurs investissements dans les renouvelables. Par ailleurs, ces mouvements des banques et maisons de commerce s’accompagnent de nombreuses exceptions ou de calendriers parfois lointains. Ils ne concernent pas les projets déjà validés, comme le controversé Vung Ang II soutenu entre autres par MUFG qui a pourtant annoncé en avril 2019 un retrait inconditionnel de tout nouveau projet. Pour SMBC, la fin du soutien aux nouveaux projets reposera en réalité sur des décisions prises au cas par cas : les projets considérés comme “essentiels au développement économique local” pourront toujours être financés. De son côté, Marubeni est toujours impliquée dans 40 GW de centrales existantes ou en projets.

Le soutien au charbon devient un point de plus en plus clivant dans le paysage politique japonais. Tant sur la politique domestique (voir Centrales à charbon : politique domestique du Japon) que sur l’export, le ministère de l’environnement et les autres ministères impliqués (en particulier  le METI) ne s’accordent pas sur le devenir du charbon. Ce débat a pris une tournure nouvelle lorsque le médiatique Ministre de l’environnement Shinjiro Koizumi a exprimé dans la presse en janvier 2020 son désaccord avec la politique nationale en critiquant le projet Vung Ang II. En février, les arbitrages interministériels, sans doute influencés par la pression internationale et la couverture médiatique de plus en plus critique, lui ont permis d’annoncer l’ouverture d’un chantier de révision avant fin juin de la politique de soutien public à l’export. Les nouvelles conditions devraient être intégrées dans la mise à jour du Basic Energy Plan en 2021, et constituer un des livrables que le Japon présentera à la COP26. Le Président de JBIC a indiqué dans la presse en avril que son agence ne financera plus de nouveaux projets de centrales à charbon et oriente ses financements vers le gaz naturel et les énergies renouvelables.

Annexes
  • Annexe 1 : Sources de la note
  • Annexe 2 : Financements publics et pays destinataires des centrales à charbon
  • Annexe 3 : Financement public des projets charbon et d’énergies renouvelables à l’étranger par les pays du G20 entre 2013 et 2016
  • Annexe 4 : Projets de centrales à charbon liées à des financements publics japonais
Voir aussi...