Malgré une volonté d'apparaître à l'international comme un leader de la transition bas carbone, le gouvernement japonais peine à mettre en place une politique à la hauteur de l'urgence climatique. Mais une dynamique commence à émerger dans la société japonaise, en particulier du côté des collectivités, grandes entreprises et secteur financier. Des mouvements locaux (Japan Climate Initiative) ou internationaux (TCFD, RE100, SBT...) captent de plus en plus l'attention dans l'archipel.

Les officiels japonais tentent de se positionner sur la scène internationale comme défenseurs de la cause climatique : dès septembre 2018, le Premier ministre Abe, dans une tribune du Financial Times, lançait un appel aux dirigeants du monde entier avec "join Japan and act now to save our planet ». Plus récemment, le nouveau ministre de l’Environnement, Shinjiro Koizumi, affichait sa "déception" lors de la sortie des États-Unis de l’Accord de Paris.

Pourtant, la réalité des politiques internes et de l’engagement du Japon sur le climat est bien plus contestable : la stratégie nationale adoptée dans ce cadre en juin dernier (accordant encore une large place au charbon -26% du mix énergétique) demeure relativement superficielle. Cette relative atonie politique peut paraître paradoxale au regard de la vulnérabilité de l’archipel japonais aux aléas climatiques, mais elle semble pourtant n’être que le reflet d’une prise de conscience tardive de la population japonaise, comme l'illustre la faiblesse de la mobilisation pour le climat dans le pays, comme pour beaucoup d'autres grandes causes.

Les acteurs privés japonais s’emparent peu à peu du sujet climatique

UJapan Climate Initiativene dynamique semble toutefois s'amorcer dans plusieurs pans de la société : la Japan Climate Initiative – un réseau, lancé en juillet 2018, d’acteurs japonais (publics, privés, académiques, non-gouvernementaux) engagés pour le climat connaît aujourd'hui un relatif succès et compte des soutiens de poids (le distributeur Aeon, SoftBank, NTT Docomo, Panasonic ou les villes de Tokyo, Yokohama et Osaka).

TCFD Summit - Tokyo, Octobre 2019De même, c'est au Japon que la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD), placée sous l'égide du FSB du G20, compte le plus grand nombre de soutiens privés (200 entreprises membres) : ce succès s'explique aussi par les appels pressants lancés par le gouvernement aux entreprises japonaises juste avant le Sommet du G20 d'Osaka, alors que le Premier ministre avait affiché à Davos la priorité accordée à cette initiative.

Les acteurs privés japonais adoptent un rôle plus décisif que le gouvernement. Ainsi, plusieurs entreprises japonaises se sont déjà fixé des cibles environnementales (Science-Based Targets - SBT) et/ou ont rejoint l’initiative RE100 (engagement d’atteinte d’un objectif d’électricité 100% renouvelable). Les collectivités locales ont également des ambitions plus élevées que l’Etat, à l’image de Tokyo, qui affiche un objectif de zéro émission nette de CO2 en 2050. Face à une pression internationale accrue, les acteurs privés japonais – et plus particulièrement ceux de la sphère financière – se tournent massivement vers des investissements ESG (Environnement, Social, Gouvernance) et entament une trajectoire de sortie du charbon, comme l'illustrent les annonces faites en ce sens par l'une des 3 méga-banques Mitsubishi UFG, la puissante maison de commerce Marubeni ou encore les assureurs Meiji Yasuda Life, Nippon Life et Daiichi Seimei.

Le secteur financier dispose de moyens puissants, susceptibles d’accélérer une transition plus rapide du Japon vers une société bas-carbone

Sur l’activité d'investissement, les placements financiers japonais à caractère responsable et durable progressent et représentent aujourd’hui 2 200 Mds USD, dont une partie est destinée à l’action climat. Le potentiel de hausse est significatif, si l'on considère le bassin d’épargne nippon (28 000 Mds USD détenus par les ménages et les entreprises en juin 2019, soit près de 6 fois le PIB). Les gestionnaires d’actifs disposent désormais d’outils plus nombreux pour mener une stratégie d’investissements responsables grâce à l’essor des obligations vertes (6,5 Mds USD d’émissions attendues au Japon sur 2019, sur un total émis de 250 Mds USD au niveau mondial) et à la création d’outils et indices internationaux, dupliqués en version japonaise : MSCI Low Carbon, S&P Global Carbon Efficient, FTSE Blossom, base de divulgation de données de l'organisation CDP...

Sur l’activité financement, les trois méga-banques japonaises ont apporté sur 2013-2017 quelque 32 Mds USD à des projets liés aux énergies renouvelables, dont 9 Mds sur la seule année 2017. En parallèle, les acteurs financiers publics japonais (Nexi, la banque de développement JICA, la banque d'investissement JBIC) ont apporté 1,5 Mds USD, sur les 3 derniers exercices fiscaux, en faveur de projets d’énergies renouvelables, tandis que le Japon a maintenu son engagement dans les fonds multilatéraux (ainsi de la récente contribution japonaise à la reconstitution du Fonds Vert pour le Climat à hauteur de 1,5 Mds USD).

Cette mobilisation est encourageante mais doit être relativisée au regard des volumes de financement encore dédiés aux projets fossiles (80 Mds USD d’en-cours de financement privé - à 50% au profit du charbon - et 17 Mds USD de flux de financements publics sur 3 ans – à 43% au profit du charbon).

Des pistes pour la coopération franco-japonaise

Les opportunités de coopération franco-japonaise sont de plus en plus nombreuses dans le domaine de la transition bas-carbone, comme en témoigne l’accord de partenariat signé en 2019 par Tokyo FinCity et Paris Europlace sur le thème de la finance verte. Les sociétés japonaises se tournent également de plus en plus vers des projets de transition énergétique ou des produits respectueux de l’environnement promus par des entreprises françaises, grandes ou petites. Les initiatives encourageant la coopération franco-japonaise autour de la transition bas carbone doivent se poursuivre dans les prochaines années, afin de contribuer à l'accélération de cette transition au Japon.