La capacité de production d’électricité à partir de charbon augmente au Japon depuis les années 1960 et le pays continue d’investir dans de nouvelles centrales. Le charbon, importé majoritairement d’Australie, représente ainsi 25% du mix énergétique actuel mais aussi du mix prévu en 2030 : contrairement aux autres pays du G7, le Japon ne s’engage pas sur une trajectoire de sortie et promeut ses technologies dites de “charbon propre”, sur son sol comme à l’export. La dépendance domestique à cette énergie est de plus en plus critiquée par la communauté internationale et les ONG. Au sein du gouvernement, les oppositions entre le ministère de l’environnement et celui de l’industrie et de l’énergie sont de plus en plus visibles. Une partie du secteur privé et de la population commencent à manifester leur défiance vis à vis de cette énergie.

Le Japon mise toujours sur le charbon pour satisfaire sa demande énergétique

Un mix énergétique très dépendant du charbon, aujourd’hui et en 2030

Centrale à charbonEn 2017, le charbon est la deuxième source d’énergie du Japon (25,1%), derrière le pétrole (39%). Le charbon fournit ainsi 32,7% des besoins de production d’électricité, contre 26% avant la catastrophe de Fukushima en 2011. L’arrêt du parc nucléaire a conduit à une augmentation temporaire du recours au charbon. Cependant, même en 2030, selon l’hypothèse retenue par le gouvernement de redémarrage des centrales nucléaires et de développement des énergies renouvelables, la part du charbon restera strictement la même qu’en 2010 : 26% du mix électrique. Dans le mix énergétique total, elle sera même plus importante en 2030 qu’en 2010 (25% contre 22%) alors que les parts du gaz naturel et du pétrole auront été réduites.

Une énergie à bas coût et facile à importer

Pour justifier son recours massif au charbon, le Japon, avance l’argument du coût - plus faible que celui des autres sources d’énergie- et la stabilité de l’approvisionnement, dans un contexte où le pays a dû rapidement, après Fukushima, trouver des solutions pour pallier l’arrêt du parc nucléaire. Le charbon consommé au Japon est entièrement importé (71% Australie, 12% Indonésie, 11% Russie) et le Japon ne s’interdit pas, dans sa politique en faveur de l’hydrogène, d’importer de l’hydrogène produit à partir de charbon, notamment en Australie. En réponse aux critiques sur l’impact climatique du charbon, le ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie (METI), en charge de l’énergie, met en avant les solutions technologiques - les “centrales à charbon propres” (dont les technologies « ultra supercritiques » USC) et la capture et le stockage de carbone - pour soutenir l’idée d’un charbon zéro émission.

Plus de 130 unités en opération et des dizaines en projet

Le parc japonais de centrales à charbon augmente depuis les années 1960. En 2019, le pays compte 134 unités exploitées sur 82 sites, pour une puissance totale installée de 46,7 GW, à comparer par exemple aux 3,5 GW d’éolien. La majorité est exploitée par les 10 compagnies d’électricité régionales historiques comme TEPCO et KEPCO ainsi que par J-Power, entreprise nationale de production d’énergie. Depuis 2012, selon le collectif international EndCoal, 50 nouveaux projets de centrales à charbon ont été déposés : 12 ont été réalisés (1,3 GW), 13 ont été abandonnés ou modifiés pour un autre combustible (7 GW), 10 sont au stade des études (6,4 GW) et 15 sont en construction (8,6 GW). 

1 - Centrales à charbon exploitées ou en projet ↓ 2 - Centrales à charbon exploitées ↓
Toutes Exploitées
Construction commencée (rouge), autorisée (rose) ou en attente d’autorisation (orange) Projet abandonnés
3 - Construction commencée (rouge), autorisée
(rose) ou en attente d’autorisation (orange) ↑
4 - Projet abandonnés ↑
Source : Global Energy Monitor’s Coal Plant Tracker, avril 2020

Ainsi, malgré la fermeture progressive des centrales âgées de plus de 40 ans, l’ONG Kiko Network estime que la puissance totale restera stable jusqu’en 2040, que le pic de production électrique à partir de charbon sera atteint en 2026 et qu’il restera encore 20 GW en exploitation en 2050, une situation que l’organisation estime incompatible avec les objectifs de l’Accord de Paris. Au total, End Coal estime que les nouveaux projets conduiront à une augmentation de 50% des émissions de CO2 du parc, par rapport à un scénario sans construction de nouvelle centrale.

Accord de Paris

Emissions de CO2 du Japon - Comparaison entre la trajectoire “Accord de Paris” et la trajectoire correspondant au parc de centrales à charbon installé et prévu

Source : Climate Analytics, mai 2018

Une politique critiquée, au Japon et à l'international

Désaccords entre le ministère de l’environnement et le ministère de l’industrie et de l’énergie

Le soutien japonais au charbon est un point de divergence visible entre les ministères. Contrairement au METI (cf supra), le ministère de l’environnement (MOE) y est opposé, principalement en raison de l’impact sur les émissions de CO2 du pays. Les ministres de l’environnement successifs s’expriment en défaveur de nouveaux projets, à l’image des oppositions formulées aux projets d’Osaka Gas en 2015 et de Chubu EPCO en 2017. Depuis l’automne 2019, le médiatique ministre Shinjiro Koizumi a pris position publiquement sur le sujet, ne cachant pas son désaccord avec la politique portée par le METI. Ces divergences portent sur la politique nationale mais aussi, plus récemment, sur le soutien japonais à l’export de centrales à charbon, notamment à travers l’implication des financeurs publics comme JICA, NEXI et JBIC. Lors de la publication en mars 2020 de sa nouvelle Contribution Nationalement Déterminée (NDC) au titre de l’Accord de Paris, le Japon a rappelé que son mix énergétique 2030, qui sera révisé en 2021, devrait permettre au pays d’afficher une ambition climatique plus importante. Toutefois, aucune annonce explicite sur le charbon n’a été formulée, l’attention se concentrant surtout sur le nucléaire, dont la relance effective n’est pas à la hauteur des attentes gouvernementales.

Une politique en décalage avec les autres pays développés

Le Japon est le seul pays du G7 qui construit encore de nouvelles centrales à charbon. A l’opposé, le Royaume-Uni, le Canada, la France, l’Italie et l’Allemagne sont engagés dans l’alliance pour la sortie du charbon, Powering Past Coal, lancée en 2017. Au sein de l’OCDE, le Japon reste ainsi l’un des derniers pays à soutenir le charbon. Cette position isolée expose le pays aux critiques, y compris de la part de l’ONU : son Secrétaire général a ainsi appelé en 2019 le Japon à revoir sa politique de soutien aux énergies fossiles. Les risques économiques sont également pointés par un nombre croissant d’observateurs internationaux, estimant que les centrales à charbon risquent de devenir des actifs échoués (“stranded assets”), pénalisant à terme la compétitivité internationale des entreprises japonaises. Dans la région, la Corée du Sud commence à se désengager du charbon, principalement en raison de la pollution atmosphérique locale causée par les centrales : fin 2019, le gouvernement a ainsi ordonné la fermeture temporaire de plusieurs unités.

G7

Classement des pays du G7 au regard des trajectoires de sortie du charbon

Source : E3G, août 2019

Amorce de désengagement du secteur privé

Les compagnies électriques régionales historiques restent attachées au charbon : elles doivent amortir les unités déjà construites et voient dans le charbon un moyen de limiter le coût de l’électricité. D’autres acteurs privés commencent à s’en désengager. Nippon Life, principale société d’assurance vie du pays, a ainsi indiqué en 2018 son intention de réduire son soutien aux projets de centrales à charbon au Japon et à l’étranger. En 2019, Mitsubishi UFG a été la première des trois méga-banques japonaises à annoncer un désengagement inconditionnel, excluant tout nouveau projet. Si SMBC et Mizuho avaient également fait des annonces en ce sens en 2018, elles étaient alors assorties de nombreuses conditions. En avril 2020, elles ont à leur tour annoncé leur volonté de se désengager plus clairement, selon un calendrier qui reste toutefois à consolider. Ces premiers signes de risques accrus d’investissement dans le charbon ont conduit à l’abandon récent de deux projets portés par J-Power dans la préfecture de Hyogo, pour une puissance de 1,2GW.

Mobilisation croissante des ONG et de la population locale

Depuis 2016-2017, des groupes locaux commencent à se structurer pour s’opposer aux nouveaux projets, notamment autour de Tokyo, Sendai et Kobe. Ces mouvements vont parfois jusqu’à attaquer les projets devant les tribunaux. Plusieurs ONG environnementales comme Greenpeace ou 350.org ont également fait du charbon la priorité de leurs efforts au Japon, comme l’illustre la plateforme collective No Coal Japan regroupant 40 ONG et lancée en 2018 pour fédérer les actions et leur donner davantage de visibilité. En 2020, No Coal Japan a lancé une campagne visant les sponsors des JO de Tokyo engagés dans le financement du charbon, comme les banques SMBC et Mizuho.

Voir aussi...

Annexe

Puissance

Puissance des centrales à charbon installées et prévues au Japon, de 1959 à 2057

Source : Coal power sector in China, Japan and South Korea - sur la base de données Kiko Network

Les couleurs indiquent les différentes technologies de centrales à charbon, des plus polluantes en gris foncé (Sub-C - sous critique) aux moins polluantes en rose (USC & IGCC – ultra-supercritique et cycle combiné à gazéification intégrée). En valeurs positives : les nouvelles ouvertures de centrales ; en valeurs négatives : les fermetures.