travaux tokyoÀ la fin du 20ème siècle au Japon, les déchets générés lors des chantiers représentaient près de 20 % du volume total des déchets industriels et 70 % des déchets illégalement déversés dans la nature. Pour remédier à ces pratiques néfastes pour l’environnement et dans le cadre de la mise en œuvre du Plan pour une société respectueuse du cycle des matériaux, en 2000, le Japon a promulgué la Loi sur le recyclage des matériaux de construction, qui introduit des obligations de tri et de recyclage des déchets générés lors de travaux pour les contractants[1] (cf. annexe 1). D’après cette loi, le générateur de déchets, qui en est alors responsable, doit sélectionner un opérateur pour la gestion des déchets, prendre en charge les frais de traitement et mettre en place des mesures de sécurité lors de démolitions et rénovations dangereuses. Un plan de tri des déchets doit être soumis à la préfecture au moins sept jours avant le début de travaux et les frais de contrats dévoilés. En 2011, des mesures supplémentaires ont été ajoutées à cette loi afin de fixer des objectifs de taux de recyclage des déchets de béton, d’asphalte et de bois à 95%. Le Plan de promotion du recyclage, révisé en 2014 puis en 2018, établit lui les axes prioritaires d’une gestion effective des déchets de construction, tels que la nécessité d’établir des plans de démolition dès la phase de construction, d’améliorer le système de recyclage des sols excavés ou de réduire la quantité de déchets générés.Grâce à ces mesures, le taux de recyclage des déchets issus de la construction a nettement augmenté depuis les années 1990 (cf. annexe 2), jusqu’à atteindre 96 % en 2012[2].

Néanmoins, si le taux de recyclage a fortement augmenté, la quantité de déchets générée peine à diminuer. En 2014, le secteur représentait toujours 20,8 % du volume des déchets industriels et 25 % du volume total des déchets (MoE, 2017).

Les nombreuses parties prenantes de la circularité des ressources dans le bâtiment 

En plus d’un cadre national mis en place dès le début des années 2000, différents acteurs publics et privés ont émergés en faveur d’une meilleure circularité des ressources dans la construction.

Créé en mai 1992, le Conseil de promotion du recyclage des matériaux et des déchets de construction est une organisation rassemblant 33 parties prenantes (ministères, préfectures, entreprises, etc.), qui promeut une meilleure gestion des déchets de construction, à travers des activités de sensibilisation, des workshops techniques et des symposiums internationaux, dont le dernier s’est tenu le 15 avril 2019.

landfillParallèlement à cela, les acteurs locaux, ont également entrepris de développer des politiques dans ce domaine. Ainsi, le gouvernement métropolitain de Tokyo (TMG) a élaboré son propre Construction Recycling Plan – une feuille de route dont la circularité des ressources dans les domaines de la construction et de la démolition, le développement de l’approvisionnement vert dans la construction et l’allongement de la durée de l’utilisation des bâtiments sont des piliers majeurs. Le TMG a également profité de ce contexte réglementaire favorable pour mettre en place un centre de recyclage des sols excavés – le Tokyo Metropolitan Construction Waste Soil Recycling Center – et pour introduire, en 2017, un système de certification du tout-venant recyclé (PCRCMW, 2019).

Enfin, les entreprises japonaises jouent un rôle clé dans la gestion des ressources dans le secteur de la construction, notamment grâce au développement de technologies de recyclage ou de réutilisation des matériaux. Entre autres, Hazama Ando Corporation et Kameiseito développent des matériaux de construction recyclés, Seiyukogyo et Hanshin Expressway travaillent au recyclage des boues résiduaires issues de la construction, Takatoshi tâche à améliorer les techniques de tri de haute précision et JDC Corporation développe l’utilisation des sols excavés.

Matériaux de construction durables : emploi traditionnel de matériaux biosourcés, promotion de la construction bois et innovations dans les matières recyclées

Afin de réduire l’impact environnemental du secteur de la construction, et ce, à toutes les étapes de la vie d’un bâtiment, l’utilisation de matériaux plus respectueux de l’environnement est de mise. Le Japon, tout comme la France, se mobilise pour employer davantage de matériaux biosourcés, dont les propriétés intrinsèques, comme le caractère renouvelable, la faible consommation en énergie ou encore le stockage carbone, apportent des solutions aux enjeux d’économie circulaire.

Les techniques traditionnelles de construction japonaises emploient divers matériaux biosourcés dont le bois, principalement utilisé pour la structure, et la terre crue, employée pour les enduits, de manière similaire au torchis européen. Ces dernières années, le gouvernement japonais s’est particulièrement tourné vers la revalorisation du bois comme matériau de construction qui, au-delà de ses qualités environnementales évidentes, présente également de réelles opportunités économiques et apporte un plus grand confort au sein des habitations.

boisCependant, malgré une ressource abondante, le bois ne reste que peu utilisé dans la construction japonaise depuis la fin de la seconde guerre mondiale, en raison notamment des risques en cas d’incendie. La part des nouvelles constructions en bois est ainsi passée de 94 % en 1963 à 55 % en 2014 (cf. « Évolution de la politique japonaise pour la construction bois », SER de Tokyo). Progressivement assoupli depuis 1987, le cadre relatif à la construction fait l’objet depuis 2010 d’une politique volontariste de promotion du bois. À cette fin, plusieurs mesures (subventions, simplifications administratives, soutien technologique) sont déployées depuis quelques années. La loi adoptée en 2010 pour la promotion du bois dans le domaine de la construction confie aux ministères en charge de la construction (MLIT) et de la forêt (MAFF) la responsabilité d’élaborer un plan de promotion de l’utilisation du bois domestique et d’autres ressources de bois dans la construction des bâtiments publics. Outre les efforts pour l’utilisation du bois dans les bâtiments de l’État, les ministères doivent également améliorer les règles encadrant la construction en bois et en assurer la promotion auprès des collectivités. En agissant d’abord sur les bâtiments publics, le gouvernement souhaite créer une dynamique positive pour la construction des bâtiments résidentiels privés, entre autres.

D’autres matériaux de construction durables et fabriqués à partir d’éléments recyclés sont progressivement expérimentés. C’est le cas des briques écologiques non cuites, imaginées par l’entreprise Kameiseito ; fabriquées à partir de déchets comme les boues d’épuration, les cendres de houille, ou le laitier, en fusion, ces briques ne nécessitent aucune cuisson (Non-Firing Solidification Technology) et limitent ainsi les GES émis lors de la fabrication. L’entreprise Hazama Ando Corporation, quant à elle, travaille au développement d’un matériau issu de cendres de charbon ; les cendres volantes générées par les centrales à charbon sont récupérées et utilisés pour la réhabilitation de routes préfectorales, comme la Soma Watari Route, par exemple. De telles innovations permettent ainsi de réutiliser des matières jusqu’à présent perdues.

Politiques de renforcement de l’efficacité énergétique des bâtiments japonais

Au Japon, si la consommation d’énergie diminue dans les secteurs de l’industrie et du transport, celle des secteurs des services et des ménages a augmenté de 20 % par rapport à 1950 et représente actuellement environ 30 % de la consommation. En cause, l’efficacité énergétique des bâtiments, qui reste encore largement insuffisante. En 2017, 20 millions de logements japonais n’étaient pas suffisamment isolés.

BELsLe Japon travaille donc à renforcer l’efficacité énergétique de ses bâtiments et logements, et a récemment entamé la modification de sa Loi sur l’efficacité énergétique des bâtiments. Ce texte, promulgué le 8 juillet 2015, comporte à la fois des dispositions règlementaires visant à assurer le respect des normes d’efficacité énergétique pour les grands bâtiments non résidentiels, mais également des mesures d’incitation, telles que le système d’étiquetage BELS (Building Housing Energy Efficiency Labelling System) sur la conformité aux normes d’efficacité énergétique[3].

Un projet de révision de la loi a été adopté en réunion des ministres et doit désormais être discuté en session parlementaire. Différentes modifications sont prévues, dont l’élargissement des types de bâtiments faisant l’objet de la norme d’efficacité énergétique (bâtiments de 300-2000 m2 désormais concernés), l’obligation pour toutes les entreprises construisant des logements individuels d’expliquer l’importance de l’efficacité énergétique à tous les clients, le soutien du MLIT aux projets d’amélioration de l’efficacité énergétique à l’échelle du quartier et la rationalisation du processus d’examen des autorités compétentes.

Enfin, des engagements ont été pris en faveur de l’initiative Zero Energy House, qui a pour objectif que 50 % des logements neufs fabriqués sur mesure soient ZEH d’ici 2020 et que tous les types de logements neufs (y compris les logements à vendre tout bâti, les logements collectifs, etc.) soient ZEH d’ici 2030. Pour ce faire, différents mécanismes de soutien, à la fois financiers et d’expertise, seront apportés par le MLIT, le ministère en charge de l’Energie (METI) et le ministère de l’Environnement (MoE).

De la démolition à la rénovation : vers un allongement de la durée d’usage des bâtiments

Au Japon, la durée de vie des logements, en moyenne de seulement 30 ans (The Guardian, 2017), est moins élevée qu’en Europe. La politique actuelle du scrap-and-build, visant à démolir rapidement pour reconstruire, s’explique par les logements de faible qualité construits pour faire face à la demande après la seconde guerre mondiale, mais également par les révisions fréquentes des bâtiments pour améliorer leur résilience face aux tremblements de terre. Ces forts taux de démolition génèrent cependant à une quantité de déchets non négligeable.

RenovationConscient de ces enjeux, le Japon se dirige vers un allongement de la durée de vie des bâtiments, en encourageant la rénovation pour éviter la démolition ou les constructions neuves. En octobre 2008, une loi promouvant le rallongement de la durée de vie des logements avait ainsi été promulguée (Minami, 2010) et différentes mesures avaient été mises en œuvre pour promouvoir le marché des logements existantes (ex. subventions pour l’amélioration de la performance énergétique et antisismique des bâtiments[4]). En 2018, le 4ème Plan fondamental pour l’établissement d’une société respectueuse du cycle des matières est venu renforcer le dispositif existant en incitant à la réduction des déchets issus du secteur de la construction et de la démolition. De plus, la coopération entre toutes les parties prenantes (organisations financières, fabricants de maisons, organisations d’inspections, agences immobilières, etc.) est encouragée et les inspections de logements existants facilités afin de promouvoir l’investissement des ménages dans le marché existant, plutôt que dans du neuf. À ces initiatives s’ajoute l’objectif du gouvernement de diminuer le nombre de logements vacants, qui a quasiment doublé en 20 ans. En 2017, le taux de logements inoccupés était de 13 % (Nomura Research Institute) et est susceptible d’atteindre plus de 30 % en 2033 (The Guardian, 2017). Le MLIT tente donc d’apporter un soutien pour la transformation de l’utilisation des maisons inoccupées et d’améliorer et de faciliter leur mise sur marché.

En parallèle de ce dispositif national, les entreprises japonaises s’approprient également de plus de plus le sujet. Si les grands constructeurs traditionnels de logements, tels que Daiwa House ou Sekisui House, se lancent désormais de la réfection de bâtiments existants, de nouvelles entreprises spécialisées dans la rénovation et le réagencement d’anciens espaces ont également émergé, comme la société ReBITA, qui convertit des immeubles d’habitation et des bureaux en espace de travail partagé, ou l’enseigne Muji qui, en partenariat avec l’agence gouvernementale Urban Renaissance Agency, rénove désormais des unités de logements sociaux afin d’attirer des jeunes locataires.

Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo 2020 : une vitrine de l’économie circulaire dans le secteur de la construction

Les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2020 représentent une opportunité pour le Japon de souligner ses compétences en termes d’économie circulaire du bâtiment alors que Tokyo souhaite faire de cet événement un symbole en matière de préservation de l’environnement urbain. Le Comité d’organisation des Jeux a en effet décidé d’utiliser 60 % de sites existants et d’avoir recours à des matériaux de construction respectueux de l’environnement (charpentes recyclées, revêtement de sol en vinyle recyclé, etc.) pour les sites construits à l’occasion. Sept des nouveaux sites sont passively-designed, c’est-à-dire qu’ils exploitent la lumière et la ventilation naturelles.

BATON - Village PlazaLes Jeux sont l’occasion de démontrer les savoir-faire des entreprises japonaises telles que Shimizu Corporation, qui va proposer un hall d’exposition temporaire près de Tokyo Big Sight construit à 100 % en matériaux recyclés et aisément amovible. Une campagne de promotion de l’utilisation des ressources en bois, connue sous le nom d’opération BATON (Building Athletes’ village with Timber of the Nation), a également été lancée par le Comité d’organisation des Jeux. Soixante-trois municipalités japonaises ont rejoint le projet, visant à construire la place du Village Olympique en utilisant du bois japonais provenant de sources licites et durables, qui sera ensuite démantelée. Enfin, le bois utilisé lors de la construction sera restitué aux communautés afin d’être réutilisé, pour des bâtiments publics ou des écoles.

 

 Pour aller plus loin...

[1] Dans les cas suivants : démolition d’un bâtiment dont la surface totale d’un étage dépasse 80m2 ; construction ou agrandissement d’un bâtiment dont la surface totale d’un étage dépasse 500 m2 ; réparation dont les frais de contrat dépassent 100 millions ¥ (860 000 €) ; travaux autres que construction ou démolition dont les frais de contrat dépassent 5 millions ¥ (43 000 €). [2] 99% pour l’asphalte et les blocs de béton, 89% pour le bois, 69% pour les boues résiduaires issues de la construction et 58% pour les matériaux mixtes. L’asphalte et le béton représentaient 78% des déchets générés. NB : les taux de recyclage au Japon incluent également le recyclage thermique, i.e. l’incinération avec récupération de chaleur – procédé non considéré comme du recyclage en Europe. [3] Lors de nouvelles constructions, extensions ou rénovations dans des bâtiments atteignant une certaine taille, les maîtres d’ouvrage doivent obtenir un certificat de conformité aux normes d’efficacité énergétique ou en informer l’organisme administratif compétent en fonction de l’utilisation et de la taille du bâtiment. [4] Plafonds: rénovation énergétique - 300 000 ¥ ; rénovation antisismique – 500 000 ¥.

Annexes

Annexe 1: Loi sur le recyclage des matériaux de construction

Loi sur le recylage des matériaux de construction

Source: Ministry of Environment. Construction Material Recycling Law.

Annexe 2: Evolution du taux de recyclage des déchets de construction et de démolition

Evolution du taux de reyclage des déchets de construction et de démolition

Source: Promotion Council for Recycling Construction Materials and Waste. 2019. Case studies of advanced Construction and Demolition Waste (CDW) recycling initiatives and technologies in Japan.