Le gouvernement japonais cherche à renforcer la place de l’aéronautique civile dans son industrie, par des partenariats avec l’étranger, mais aussi plus récemment par l’ouverture de chantiers sur les futures technologies du transport aérien. Déjà mobilisé sur les drones civils, il a officiellement lancé en 2018 sa politique de soutien au développement de la voiture volante. Le gouvernement voit dans ce nouveau mode de transport un moyen de desservir des territoires isolés ou frappés par des catastrophes naturelles. Une commercialisation est visée dès 2023. Parallèlement, les industriels japonais, avec l’appui des agences NEDO et JAXA, travaillent sur des solutions alternatives aux carburants d’origine fossile pour l’aviation, afin de réduire l’empreinte carbone du transport aérien. Des projets de biocarburants sont lancés avec une cible de commercialisation en 2030 ainsi qu’un consortium public-privé pour l’électrification des avions. Les collectivités locales, dont les préfectures de Tokyo, Fukushima et Aichi, s’intéressent également à ces innovations aéronautiques, sources de nouvelles opportunités pour leurs industries et de solutions pour la mobilité sur leurs territoires.

« Réforme de la mobilité aérienne » : place aux drones et voitures volantes

Des drones aux voitures volantes, en réponse aux défis urbains et démographiques du Japon

Drones et voitures volantes - Source METILes rues des grandes métropoles étant congestionnées, les acteurs de la mobilité commencent à lever les yeux vers le ciel et à imaginer des solutions pour exploiter l’espace aérien globalement inutilisé au-dessus des villes. Les drones civils sont une des technologies développées à cette fin. Au Japon, ils sont déjà utilisés dans l’agriculture (épandage d’insecticides) ou pour évaluer les dégâts de zones sinistrées suite à des catastrophes naturelles. Mais la réglementation japonaise interdit (sauf autorisation explicite) le survol par des drones de zones habitées et le vol au-dessus de 150 m d’altitude, ce qui restreint les usages. Le gouvernement étudie actuellement la possibilité d’assouplir ces règles, afin de permettre de nouvelles utilisations commerciales, notamment dans le secteur du transport de marchandise fortement pénalisé par le problème de manque de main d’œuvre lié au vieillissement de la population. Il vise ainsi l’ouverture de services commerciaux de livraison par drones d’ici 2022 : les entreprises comme Japan Post, Rakuten ou encore ANA ont des projets en la matière. Un autre usage urbain envisagé et pouvant bénéficier d’un cadre réglementaire moins contraint est celui du contrôle régulier de l’état des infrastructures.

En 2017, dans sa « stratégie d’investissement d’avenir pour la société 5.0 basée sur le numérique », le gouvernement ne mentionnait que les drones dans le chapitre dédié à la modernisation de la mobilité aérienne. Dès 2018, apparaît pour la première fois dans la politique nationale le concept de voiture volante : mise en place par le ministère de l’économie et de l’industrie (METI) d’une équipe interministérielle pour soutenir le développement de la voiture volante et apparition du concept même dans la révision annuelle de la stratégie d’investissement d’avenir. Le gouvernement affiche désormais son ambition de positionner le Japon comme précurseur mondial du développement de la voiture volante, un projet qui fait partie du plan national de croissance.

Un « comité public privé pour la réforme de la mobilité aérienne » a été créé par le METI et le ministère du territoire, des infrastructures, des transports et du tourisme (MLIT). Ce comité associe les pouvoirs publics, les industriels, et la recherche. Il vise (i) à permettre à tous les acteurs d’échanger des informations sur l’état d’avancement et les perspectives de la technologie de voiture volante au Japon, (ii) à préparer les évolutions réglementaires nécessaires au déploiement de la technologie. De grandes entreprises japonaises (KHI, Subaru, JAL, ANA ou encore NEC), des startups japonaises (Cartivator, SkyDrive, Temma…) et des filiales locales de groupes étrangers (Airbus, Bell, Boeing, Uber…) sont associées au comité. En décembre 2018, le comité  a publié une feuille de route pour le développement de la voiture volante, qui pose les bases conceptuelles, vise un vol d’essai et de démonstration à partir de 2019, une mise en service autour du milieu des années 2020, et un déploiement progressif plus étendu à partir des années 2030. Cette feuille de route ne fixe toutefois aucun objectif chiffré quant à l’ampleur de ces déploiements.

Définition, objectifs et défis du déploiement de la voiture volante au Japon

Le Skydrive de la startup japonaise Cartivator, membre de J-StartupLa « voiture volante » est définie par les autorités japonaises comme un appareil à motorisation électrique (pour réduire le bruit et les émissions de CO2), à décollage et atterrissage vertical - ou eVTOL pour "electric vertical takeoff and landing" (pour réduire l’espace au sol nécessaire à l’exploitation) et fonctionnant de manière autonome (pour réduire les coûts d’exploitation). Les usages visés, non précisés dans la définition mais sous-entendu par les concepts présentés, sont le transport de passagers ou éventuellement de marchandises de volume supérieur aux colis transportables par drones. La capacité à rouler sur route, qui fait partie de certains projets, n’est pas une condition pour entrer dans la définition retenue par le METI au Japon. Les objectifs du gouvernement dans le développement de ce mode de transport sont multiples, et viennent en réponse à la situation géographique et démographique du Japon : déplacements urbains évitant les embouteillages, déplacement vers les îles et zones rurales isolées, transport d’urgences médicales, transport de marchandises sur des sites frappés par des catastrophes naturelles, loisirs…

L’atteinte des objectifs mentionnés dans la feuille de route nécessite de développer un ensemble de règles, normes de sécurité et modalités de certification des aéronefs, incluant également les questions d’assurance, de répartition de l’espace aérien, de cyber-sécurité… La réalisation de la feuille de route repose également sur le développement de technologies permettant d’assurer la sécurité et la fiabilité, de technologies liées au vol automatique et à la gestion de ce nouveau type de trafic aérien, et enfin de technologies pour la propulsion électrique (incluant également la réduction du poids des batteries et du bruit des moteurs). En outre, la commercialisation de voitures volantes nécessitera une acceptation sociale (sécurité, bruit, respect de la vie privée), en particulier pour l’usage en milieu urbain, ainsi que l’émergence de modèles économiques viables (notamment pour les zones reculées) pour ces nouveaux services de mobilité.

Carburants alternatifs pour les avions : biocarburants et électricité

Le nombre d’avions dans le monde va doubler au cours des 20 prochaines années, or le transport aérien représente déjà 1,3% de la totalité des émissions mondiales de CO2. En 2016, l’Organisation Internationale de l’Aviation Civile (ICAO) a fixé avec l’Association internationale du transport aérien (IATA) la cible d’une réduction de moitié des émissions des avions en 2050, par rapport à 2005. L’atteinte de cette cible repose sur des avions plus efficaces énergétiquement (matériaux plus légers, moteurs plus performants…) mais également sur la substitution des carburants d’origine fossile, fortement émetteurs, par des énergies à émissions faibles ou nulles. Les industriels japonais y travaillent, avec l’appui du gouvernement.

Un premier axe est celui des bioénergies. En 2016, l’agence NEDO (New Energy & Industrial Technology Development Organization, sous tutelle du METI) a lancé deux projets de biocarburants pour avions, avec une cible de déploiement commercial d’ici 2030. Dans ce cadre,  l’industriel IHI développe en partenariat avec l’université de Kobé un processus de production à partir d’algues, ressource dont le Japon peut disposer en abondance. Mitsubishi Hitachi Power Systems, Chubu Electric Power Company, Toyo Engineering et JAXA travaillent de leur côté à la réalisation d’un site pilote de production de biocarburant pour avion à partir de cellulose (pouvant notamment provenir du bois). En décembre 2018, les acteurs impliqués dans ces deux projets ont signé un accord de coopération avec le japonais Showa Shell, qui pourrait prendre en charge la finalisation de la production et la distribution aux avions. Les deux projets visent un début de production avant avril 2020.

Projet ECLAIR piloté part la JAXAUn autre axe exploré par l’industrie aéronautique mondiale est celui de l’électrification des avions, visant à remplacer les systèmes de propulsion thermiques par des systèmes électriques ou hybrides.  En plus de l’intérêt pour la lutte contre le changement climatique, l’électrification permet de réduire le bruit des avions ainsi que les coûts de maintenance. La Japan Aerospace Exploration Agency (JAXA) a engagé des travaux de recherche pour l’électrification des avions dès 2004, et a réussi en 2015 sa première démonstration de vol d’un avion équipé d’un système de propulsion électrique. En juillet 2018, elle a mis en place le consortium ECLAIR (« Electrification Challenge for Aircraft »), avec le METI et des industriels japonais (IHI, KHI, Subaru, Hitachi, MHI Aero Engines, MELCO). Ce consortium repose sur un cadre d’open innovation, qui vise à permettre aux acteurs concernés de partager une vision du développement japonais de l’avion électrique. En décembre 2018, le consortium a présenté son objectif  de développement d’un avion de petite taille (4 à 10 sièges) et hybride (« More Electric Aircraft », les systèmes thermiques n’étant pas complètement éliminés) dans les années 2020, puis  d’un appareil plus grand dans les années 2030 et enfin l’augmentation de la part des systèmes électriques dans les années 2040 avant d’atteindre le tout électrique en 2050. Le consortium ECLAIR travaillera par ailleurs avec le comité public privé pour le développement de la voiture volante évoqué plus haut.

Le METI estime que le développement de l’avion électrique contribuera à la croissance du secteur aéronautique et à l’augmentation du chiffre d’affaires de l’industrie aéronautique au cours des 10 ou 20 prochaines années. Pour cette raison, il cherche à encourager le développement de la filière et a mis en place un programme de soutien financier, doté pour 2019 d’un budget de 810 millions de yen. Ce soutien sera poursuivi dans le cadre d’un plan quinquennal 2019-2023 pour le développement des technologies d’électrification des avions. La cible du METI est une réduction moyenne des émissions de CO2 des avions de 15% d’ici 2040.

Des axes d’innovation qui intéressent les entreprises et les collectivités

Ces deux axes d’innovation, la voiture volante d’une part, l’électrification des avions d’autre part - les deux axes étant liés, la voiture volante reposant notamment sur les technologies de propulsion électrique-, ouvrent des opportunités d’affaires nouvelles.

Ces opportunités ne sont pas limitées aux acteurs de l’aéronautique, en particulier la voiture volante, qui nécessite le savoir-faire d’autres industries : fournisseurs de services de transport urbain, de services de partage de véhicules, aménageurs capables de concevoir un urbanisme exploitant la voiture volante, constructeurs et opérateurs d’infrastructures et  de systèmes de communication et  de contrôle aérien, nouveaux types de produits d’assurance…

De nouveaux écosystèmes et groupements se mettent en place. En plus des entreprises déjà présentes dans l’aéronautique, des startups se développement autour de la voiture volante. L’association Cartivator rassemble une centaine d’ingénieurs volontaires de l’automobile et de l’aviation, travaillant dans des grandes entreprises ou des startups. Cartivator et Sky Drive (la société  créée par Cartivator en 2018), ont pour projet un vol de démonstration d’une voiture volante au moment des Jeux Olympiques de Tokyo, et une commercialisation dès 2023. Le projet est soutenu par 80 entreprises dont Toyota Motor, NEC, Panasonic et Denso, ainsi que par la ville de Toyota. Du côté des grands industriels, NEC a dévoilé en août 2019 un drone de grande taille, prototype d’une voiture volante, qui a volé quelques dizaines de secondes à une hauteur de 3 mètres. NEC vise notamment à se positionner sur les systèmes de contrôle de voitures volantes.

Les industriels japonais se tournent également vers les partenaires étrangers pour le développement d’avions électriques et de voitures volantes. En avril 2019, Sumitomo Corporation a annoncé une collaboration avec Bell Helicopter Textron, en vue de la commercialisation au Japon, d’ici le milieu des années 2020, d’un service de distribution par drone et/ou taxi aérien. Toujours avec Bell, la société de livraison Yamato Holdings a réalisé en août 2019 un vol de démonstration d’un appareil sans pilote à décollage vertical pour le transport de marchandises. Ce « camion de livraison volant » devrait être commercialisé d’ici 2025. L’Américain Boeing a signé en janvier 2019 avec le METI un mémorandum d’entente pour la coopération technique dans le domaine de l’électrification, de l’automatisation et des matériaux composites. Dans ce cadre, Boeing cherche des partenaires japonais pour la fourniture de batteries légères à hautes performances et des moteurs pour voitures volantes et avions électriques.

Au-delà des questions industrielles ou commerciales, le développement de la voiture volante comme nouvelle forme de mobilité urbaine nécessite l’implication des collectivités locales, dès la phase des vols de démonstration. En août 2019, le METI a organisé un évènement rassemblant les collectivités japonaises les plus actives en la matière : les préfectures de Fukushima, Tokyo, Aichi, Mie et Osaka.

Fukushima Robot Test FieldA Fukushima, dans le cadre du plan de revitalisation de la région sinistrée par les catastrophes de 2011, la préfecture aménage le « Fukushima Robot Test Field », un grand centre de recherche de l’industrie robotique, qui accueillera au printemps 2020 un site de vols de démonstration de voitures volantes. A Mie, l’objectif de la préfecture est d’utiliser la voiture volante comme moyen de faciliter les déplacements vers les îles et zones isolées ou dépeuplées ; les villes de Toba, Shima, Minami-Ise et Kumano proposent d’accueillir les entreprises souhaitant réaliser des études et démonstrations. A Tokyo, la ville travaille déjà sur la voiture autonome, les drones et la robotique ; elle prévoit d’élargir sa politique à la voiture volante pour contribuer à réduire les embouteillages, faciliter le déplacement dans les zones les moins peuplées de la métropole, et servir de moyen de transport en cas de catastrophe naturelle. Tokyo prévoit en outre de travailler en vue de l’acceptation de ces solutions par la population. Région avancée dans l’automobile, l’aéronautique et la robotique, la préfecture d’Aichi cherche à combiner son savoir-faire dans ces trois industries pour se positionner comme maillon central du développement et de la fabrication de la voiture volante au Japon. Enfin, à Osaka, la préfecture  a créé avec la ville et la chambre de commerce et d’industrie une équipe dédiée au soutien des projets de développement de voiture volante.

Rédaction : Machi Yoda, Stéfan Le Dû - Pôle Développement Durable, SER de Tokyo