L’industrie aéronautique japonaise, historiquement dépendante des Etats-Unis et des commandes militaires, connaît depuis 20 ans une ouverture vers l’Europe et est désormais dominée par le secteur civil. Encouragée par le gouvernement, elle se lance dans des chantiers innovants. Le secteur du transport aérien japonais est en croissance, aussi bien sur les vols intérieurs qu’à l’international, notamment en lien avec la politique touristique du gouvernement. Ceci rend nécessaire la modernisation des aéroports, y compris ceux de Tokyo qui accueillent la majeure partie du trafic. Ces diverses tendances ouvrent des perspectives pour les entreprises françaises et font l’objet d’échanges réguliers entre nos administrations.

Panorama du secteur de l’aviation civile au Japon

Une production aéronautique civile en développement mais une industrie morcelée

Avec 36 000 employés, l’industrie aérospatiale japonaise a vu son chiffre d’affaires doubler en 30 ans, atteignant 2 000 milliards de yens (17 milliards d’euros). L’industrie aérospatiale ne pèse toujours que 0,4% du PIB japonais (contre 2,58 % en France et 1,24 % aux Etats-Unis). En valeur produite, l’industrie aéronautique (civil et militaire, hors spatial) pèse au Japon 30 fois moins que l’industrie automobile. Contrairement à Airbus ou Boeing, entreprises spécialisées, les principaux constructeurs aéronautiques japonais sont des entreprises généralistes de l’industrie lourde (Mitsubishi Heavy Industries (MHI), Kawasaki Heavy Industries (KHI), Subaru, IHI). Le secteur aérospatial ne représente que 5% à 30% de leur chiffre d’affaires. MHI et KHI sont les principaux donneurs d’ordre dans la construction d’appareils commerciaux, mais ne sont que 22ème et 38ème industriels aéronautiques au plan mondial en 2017 – en baisse par rapport à 2012.

Chiffre d'affaire aérospatial des principaux pays - Production des industries japonaises

Historiquement majoritaire, l’aéronautique militaire voit sa part se réduire au profit de l’aéronautique civile depuis une dizaine d’années, notamment du fait de l’implication croissante du Japon dans des programmes internationaux. En 2015, la part du civil atteint ainsi 75% du chiffre d’affaire aéronautique total, contre 20% dans les années 70. En parallèle, le taux d’exportation du Japon dans l’aéronautique a fortement augmenté, de 10% dans les années 1980 à 50% ces dernières années. Les échanges restent dominés par les Etats-Unis (75% des échanges du Japon). L’Europe, bien qu’en deuxième position, ne représente que 16% de l’import et 15% de l’export. La balance commerciale vers la France est nettement déficitaire pour le Japon, avec 144 milliards de yen d’importation contre 2 milliards de yen d’exportation.

Evolution du chiffre d'affaire aéronautique au Japon - Evolution de la balance commerciale de l'industrie aéronautique japonaise

De nouvelles ambitions, vers l’avion du futur

Mis en mouvement au début des années 2 000, le projet Mitsubishi SpaceJet (MSJ), anciennement Mitsubishi Regional Jet (MRJ), est le premier projet d’avion commercial conçu et fabriqué au Japon depuis les années 1960 et symbolise une nouvelle ambition japonaise en matière d’industrie aéronautique civile, encouragée par le gouvernement. Porté par Mitsubishi Aircraft, filiale de MHI, cet avion de petite taille (70-90 sièges) devrait entrer en service en 2020, après de multiples reports de sa date de commercialisation. A l’été 2019, Mitsubishi affichait une commande totale de plus de 500 appareils. Le MSJ vise le marché japonais mais également l’export, compte tenu d’un marché japonais ralenti : alors que la croissance mondiale du marché des appareils commerciaux est de 2,9%, celle du Japon n’est que de 1,4%.

La nouvelle ambition japonaise pour l’aéronautique civile se traduit également par l’ouverture récente, par le gouvernement, en lien avec les industriels, de chantiers sur les futures technologies du transport aérien (voir Innovation aéronautique civile au Japon : voiture volante et électrification des avions). Déjà mobilisé sur les drones civils, le Japon a officiellement lancé en 2018 sa politique de soutien au développement de la voiture volante, dans le cadre d’un programme de « réforme de la mobilité aérienne », avec un objectif de commercialisation dès 2023. Le gouvernement voit dans ce nouveau mode de transport un moyen de desservir des territoires isolés ou frappés par des catastrophes naturelles. Les collectivités locales, dont les préfectures de Tokyo, Osaka, Fukushima, Aichi et Mie, s’intéressent également à ces innovations, sources de nouvelles opportunités économiques pour leurs industries et de solutions pour la mobilité sur leurs territoires.

Projet ECLAIR de la JAXAAutre innovation encouragée par le gouvernement et poussée par l’industrie : l’électrification croissante des avions, évolution technologique sur laquelle l’industrie aéronautique mondiale mise pour réduire l’empreinte carbone du transport aérien. Déjà mobilisée sur le sujet depuis 2004 à travers un démonstrateur, l’agence spatiale japonaise JAXA a mis en place en 2018 avec le METI et de grands industriels le consortium public-privé « ECLAIR » pour l’électrification des avions, avec une feuille de route portant sur les 30 prochaines années.

Ces chantiers ouvrent le secteur aéronautique à des entreprises d’autres secteurs, notamment les TIC, la robotique, l’efficacité énergétique ou l’automobile, à l’image du Honda Jet, avion d’affaires développé aux Etats-Unis par Honda Motor.

Transport aérien : un secteur déjà important, qui poursuit sa croissance

Le transport de passagers à l’intérieur du Japon est largement dominé par le train (72,3% des passagers-kilomètres) ; l’avion est le deuxième mode de transport (15,6%), devant la voiture (11,5%). En croissance depuis 3 ans, le nombre de voyages par avion a atteint 139 millions en 2018 (+1,7% par rapport à 2017). En nombre de passagers, le Japon a un trafic domestique parmi les plus importants du monde, en particulier sur les lignes reliant Tokyo à Sapporo, Fukuoka et Osaka (32 000 à 41 000 sièges par jour). Sur le transport international, le nombre de passagers des compagnies japonaises a atteint un record en 2018 avec 23,4 millions de passagers, en hausse de 4,7%. La principale destination est l’Asie (hors Corée du sud et Chine), suivie par la Chine, l’Amérique, la Corée du sud, le Pacifique (Hawaii, Guam, Saipan, etc.), l’Europe et l’Océanie.

Le pays compte deux compagnies historiques, All Nippon Airways (ANA) et Japan Airlines (JAL), respectivement 24ème et 29ème mondiales en passagers-kilomètres en 2017 (à titre de comparaison, Air France se place en 7ème position). Fondée en 1952, ANA est devenu numéro un au Japon en 2014 (en passagers-kilomètres), dépassant JAL qui avait fait faillite en 2009, avec une dette de 2300 milliards de yen. Pendant que JAL était en restructuration avec l’aide de l’Etat jusqu’en 2016, ANA s’est développée, en particulier sur l’aéroport stratégique de Tokyo Haneda. Au cours de la dernière décennie, le paysage du transport aérien japonais a par ailleurs été marqué par le développement des compagnies à bas coût, qui a contribué à ouvrir à Airbus les flottes japonaises jusqu’alors dominées par les appareils américains. Il existe aujourd’hui 5 compagnies low-cost japonaises : Peach Aviation et Vanilla Air du groupe ANA, Jet Star Japan, AirAsia Japan et Spring Airlines.

Aéroports : un fort besoin de modernisation et de dynamisation

Il existe au Japon 97 aéroports, dont une trentaine desservis par des vols internationaux réguliers. Pour faire face dans les années à venir à un flux croissant de passagers (notamment en appui à la politique de développement du tourisme – plus de 30 millions en 2018, cible 60 millions en 2030), de nombreux projets sont en préparation : renouvellement des équipements, agrandissement des espaces, simplification et amélioration de l’expérience du passager. L’Etat et les collectivités procèdent par ailleurs à la mise en concession de nombreux aéroports nationaux, à l’exclusion de ceux de Tokyo, afin de réduire la charge sur les finances publiques et de contribuer à la dynamisation de l’économie locale (voir note « Politique de développement des partenariats public-privé pour les infrastructures au Japon », octobre 2018).

Les deux aéroports de Tokyo, Haneda (85 millions de passagers/an) et Narita (40 millions), accueillent la majeure partie du trafic international. Compte tenu des objectifs de développement du tourisme, leur capacité doit être renforcée. Si la stratégie du gouvernement concernant Narita reste floue, l’année 2020 marquera un tournant important pour Haneda : grâce à une révision des trajectoires d’approche autorisant les appareils à survoler Tokyo, la capacité annuelle de Haneda pour les vols internationaux de jour passera de 60 000 à 99 000 avant les Jeux Olympiques. Ces capacités nouvelles ont été attribuées à 50% à des compagnies japonaises et à 50% à des compagnies étrangères, majoritairement américaines.

Une industrie française qui renforce ses positions depuis 10 ans

Dynamique positive pour l’industrie aéronautique civile française au Japon, tirée par Airbus

Alors que les entreprises japonaises augmentent progressivement leur participation aux programmes de Boeing en partage de risques (risk-sharing partner), leurs relations avec les programmes Airbus se font plutôt dans un cadre de sous-traitance. Une vingtaine d’entreprises japonaises participent à l’A380, contribuant à hauteur de 2% à sa fabrication. Dans l’autre sens, les entreprises françaises contribuent au projet Mitsubishi SpaceJet : Airbus fournit la porte et Safran fournit les équipements intérieurs.

BK117Avec 200 employés, Airbus Helicopters est numéro un au Japon sur le marché des hélicoptères civils avec une part de marché de près de 60%, et un partenariat historique avec KHI pour le développement de l’hélicoptère BK117. Sur le segment des avions de ligne, Airbus n’a pas encore la même présence mais connaît un dynamisme récent, illustré par les commandes des compagnies low-cost en 2011/2012 puis les commandes des deux principales compagnies nationales, JAL en 2013 et ANA en 2014, 2015 et 2016. Airbus estime sa part de marché en 2020 à 30%, et vise 50% à terme. Sur les appareils régionaux, le franco-italien ATR (filiale d’Airbus et Leonardo) est entré sur le marché en 2014 et dispose aujourd’hui au Japon d’une dizaine d’appareils livrés ou commandés par des compagnies locales, dont les filiales de JAL Japan Air Commuter et Hokkaido Air System. Sur le plus long terme, le groupe Airbus cherche à développer ses liens avec le tissu industriel japonais (sous-traitants, logistique…). Dans ce cadre, il met également en place, via sa filiale Airbus Ventures, des partenariats avec des startups japonaises notamment dans le domaine de la robotique, du recyclage et du spatial.

Plusieurs autres entreprises françaises de l’aéronautique sont présentes au Japon, dont Safran (incluant depuis 2018 les activités de Zodiac Aerospace), Thalès, Arianespace, WeAre, Hutchinson, Bolloré, Air Liquide, Nicomatic et Trigo. Ces entreprises échangent à travers le comité GIFAS Japon, qui vise à consolider la présence des industriels français et développer leur visibilité auprès des acteurs japonais.

Enjeux et opportunités pour les entreprises françaises du transport aérien

Les entreprises françaises peuvent bénéficier de la dynamique de renforcement des capacités aériennes du pays. Les flux de passagers entre la France et le Japon ont vocation à encore augmenter, notamment dans le cadre de la mise en œuvre de la feuille de route 2019-2023 du partenariat d’exception entre les deux pays, qui vise à renforcer les échanges économiques, scientifiques, touristiques, et culturels. Air France reste la compagnie leader pour les vols directs entre Paris et Tokyo, avec plus de 70% de part de marché, devant les compagnies japonaises JAL et ANA ; Air France est par ailleurs la seule compagnie à opérer des vols directs vers Paris à la fois depuis Narita et Haneda.

Concernant l’ingénierie et l’exploitation aéroportuaire, les besoins vont augmenter au Japon pour des solutions permettant d’augmenter les capacités (systèmes de gestion du trafic aérien, solutions de fluidification des flux de passagers dans l’aéroport, etc.). Par ailleurs, compte tenu de la tendance mondiale à une exigence environnementale croissante vis-à-vis du transport aérien, et du retard que le Japon va devoir combler dans les prochaines années en matière de transition écologique, on peut s’attendre à un renforcement de l’appétence des opérateurs aéroportuaires japonais pour les solutions contribuant à réduire l’empreinte environnementale de leurs infrastructures (efficacité énergétique aéroportuaire, par exemple).

Kansai International Airport (source Nikkei)Enfin, la politique de mise en concession ouvre des opportunités pour de grands contrats. En 2015, Vinci Airports, allié au financier japonais Orix, s’est vu attribuer la concession des deux aéroports d’Osaka. Ils constituent la deuxième plateforme aéroportuaire du pays, avec 34,6 millions de voyageurs chaque année. Ce même consortium, nommé Kansai Airports, a ensuite obtenu en 2017 la concession de l’aéroport de Kobe. La concurrence sur ces projets reste forte, avec de nombreux acteurs étrangers et japonais positionnés : en 2019, l’offre de Groupe ADP et de ses partenaires japonais s’est classée deuxième pour la concession des aéroports de Hokkaido, derrière un groupement 100% japonais.

Un soutien institutionnel autour des échanges DGAC/METI et DGAC/JCAB

La coopération en matière d’aviation entre le Japon et la France est ancienne : la France est à l’origine de la formation de l’aviation japonaise, avec une mission qui fut envoyée par le Président Clémenceau en 1919 pour former les premiers pilotes de l’archipel. Après la deuxième guerre mondiale, les Etats-Unis ont établi une position dominante. Ces dernières années, la dynamique a été favorable à de nouveaux rapprochements entre le Japon et l’Europe, dont la France, pour l’aéronautique et le transport aérien, comme en témoigne la montée en puissance de la présence d’Airbus dans les flottes japonaises.

Pour accompagner cette évolution, il a été institué en 2013 un dialogue annuel entre le METI et la direction générale de l’aviation civile française (DGAC - MTES) afin d’encourager les échanges industriels et de renforcer la coopération économique dans l’aéronautique civile. Ce dialogue a donné lieu à la création de deux dispositifs spécifiques visant à renforcer les liens industriels entre les entreprises japonaises (dont les PME et les entreprises des secteurs non aéronautiques) deux grandes entreprises françaises - Airbus (depuis 2017) et Safran (depuis 2019). Depuis 2015, la DGAC dialogue également dans un cadre structuré avec son homologue japonais, le Japan Civil Aviation Bureau (JCAB), une des directions du ministère des territoires, des infrastructures et des transports. Ces échanges portent sur les politiques, réglementations et infrastructures de transport aérien.

Rédaction : Machi Yoda, Stéfan Le Dû