Nul ne sait ce que l’OMC va conclure à Buenos-Aires. Les États-Unis ont bloqué à Genève la rédaction d’une déclaration ministérielle, rouvrant ainsi le débat sur le multilatéralisme qu’ils avaient précédemment porté au G20 et au G7: à ce jour, ils refusent de reconnaitre à l’OMC sa caractérisation, pourtant traditionnelle, en tant que « système commercial régi par le droit», ou son rôle pour le «développement». La  grande majorité des PED, emmenés en particulier par l’Inde, en réaffirment au contraire la centralité. Côté négociations techniques, aucune perspective d’accord concret ne se dessine. Que ce soit en matière de sécurité alimentaire, de pêche, d’agriculture, ou sur les autres sujets de «nouvelle économie» (services, investissement, commerce électronique), les ministres convoqués en Argentine auront fort à faire pour démêler l’écheveau.

S’agira-il d’un instant de vérité? Pour le cycle de Doha, peut-être, après bientôt 18 ans de discussions n’ayant pas permis sa résolution et, de facto ou de jure, l’abandon progressif de la plupart de ses grandes ambitions. Pour le système multilatéral lui-même? Certainement une mauvaise passe.

Le point commun à ceux qui expriment des réserves bloquantes pour les négociations, qu’il s’agisse par exemple des États-Unis, de l’Inde ou du groupe africain, procède d’une volonté de préserver ou d’améliorer leurs marges de manœuvre souveraines (ce que les membres de l’OMC désignent comme «l’’espace politique») au regard des disciplines multilatérales, existantes ou futures. Ils emmènent ainsi deux questions à Buenos-Aires.

La première est la plus apparente: a-t-on besoin, veut-on plus de règles multilatérales pour gérer la mondialisation ou faut-il cantonner sa régulation au niveau national souverain? En soi la question est légitime. Encore la réponse devrait-elle varier selon les enjeux : dans de nombreux domaines, le risque est que l’affaiblissement de la coopération globale ne pénalise les objectifs de développement durable ou favorise des barrières injustifiées au commerce et l’exercice de rapports de force bilatéraux. A cette question, Buenos-Aires ne répondra que la vérité d’un instant: l’Europe pense qu’une avancée des règles serait positive, elle s’y emploiera de son mieux, mais, à défaut, l’ouvrage reviendra simplement sur le métier.

L’autre interrogation, sous-jacente, n’est posée que par un seul des membres de l’OMC: veut-on encore garder ce système multilatéral et les règles déjà établies pour régir les relations commerciales entre États? Tout en soulevant la question, les États-Unis y apportent, à ce stade, une réponse très ambigüe : une sorte de «oui, mais», « à condition que le système se réforme pour mieux fonctionner», tout en élimant les capacités contraignantes du système de règlement des différends... Le reste du monde répond lui de manière unanime: le recul du système n’est pas une option. Mais aussitôt les avis divergent sur la manière d’améliorer son efficacité pour l’avenir. La forme et la direction que prendra ce débat à Buenos-Aires représente la plus importante inconnue de la conférence.