S’inscrivant pleinement dans la stratégie portée par le gouvernement national, plusieurs collectivités et industriels japonais se mobilisent pour la création de la « société hydrogène ». Au-delà de l’effet vitrine des Jeux Olympiques de Tokyo, de nombreuses réalisations sont à mettre à l’actif des acteurs japonais – dont les premiers véhicules commerciaux et les unités à usage résidentiel. Malgré un activisme des industriels japonais (lobbying, brevets, normes internationales), le déploiement à grande échelle au Japon reste contraint par une réglementation stricte et coûteuse.

Le Japon mise fortement sur l’hydrogène pour son avenir énergétique, afin de renforcer son indépendance et de réduire ses émissions de CO2. Le gouvernement a ainsi établi une stratégie nationale à 2050, déclinée en feuille de route et soutenue par des financements publics nationaux (voir Politiques publiques nationales pour l’hydrogène au Japon).

Les collectivités locales se mobilisent pour la production locale d’hydrogène

Précurseur avec un projet de ville hydrogène avec l’université de Kyushu dès 2003, la préfecture de Fukuoka est désormais rejointe par d’autres collectivités japonaises. A Tokyo, la métropole propose des subventions aux citoyens et entreprises pour les véhicules à hydrogène, les stations de charge ou les systèmes de production à partir de sources propres et locales. A Kawasaki, la ville aménage sa zone littorale pour en faire un site de démonstration et de promotion des énergies propres, avec notamment plusieurs projets d’hydrogène bas carbone. La ville de Kobe travaille aussi en ce sens, avec par exemple un démonstrateur de production énergétique urbaine à partir d’hydrogène. Certaines villes travaillent par ailleurs sur la production d’hydrogène à partir de ressources locales renouvelables ou de récupération. Au-delà des effets bénéfiques environnementaux, ces initiatives visent à contribuer à l’autosuffisance énergétique locale et à la revitalisation régionale.

Le Village Olympique Tokyo 2020 - ProjetLa métropole de Tokyo comme le gouvernement national projettent d’utiliser les Jeux Olympiques 2020 pour faire la démonstration de la mise en œuvre de la société hydrogène. Ainsi, un pipeline d’approvisionnement en hydrogène est installé dans le village olympique, qui sera par la suite transformé en logements et centre commercial. Tokyo prévoit également de mettre en circulation pendant les Jeux une centaine de bus à hydrogène produits par Toyota. Autre initiative emblématique, est prévue à Fukushima la mise en service d’une centrale de production d’hydrogène renouvelable – plus grand site de ce type au Japon. Plus anecdotique sur le plan de l’intérêt environnemental mais sans doute fortement médiatisée, la flamme olympique sera elle aussi alimentée par de l’hydrogène.

Une offre industrielle en avance sur les véhicules et les unités stationnaires

Bus à hydrogène Sora de ToyotaPlusieurs industriels japonais des secteurs de l’énergie et de l’industrie automobile sont aux premières lignes du développement de la société hydrogène promue par le gouvernement. Dans le domaine de la mobilité, après divers prototypes développés dès les années 1970, le premier modèle commercial a été lancé en 2002 par Toyota et Honda, suivi de la Mirai de Toyota en 2014, de la Clarity de Honda en 2016, et du bus Sora de Toyota en 2018. Afin d’accélérer le déploiement des stations, nécessaire à l’accélération des ventes de véhicules, le consortium JHym (Japan Hydrogen Mobility) a été créé en 2018 par 11 entreprises de l’automobile, de l’énergie et de la finance, toutes japonaises à l’exception d’Air Liquide. Sur les 109 stations en service en 2019, JXTG Energy est le premier opérateur (41 stations). Iwatani, qui produit de l’hydrogène depuis 1958, exploite 28 stations et cherche à doubler son parc en 2020. Les entreprises investissent aussi dans les chaînes internationales d’approvisionnement du Japon en hydrogène, à l’image du développement par KHI du premier navire au monde pour le transport d’hydrogène liquéfié ou des projets menés avec l’Australie et le Brunei.

Du côté résidentiel, le projet ENE.FARM porté par le METI à partir de 2005 avec différents industriels (Panasonic, Toshiba, JXTG…), est commercialisé depuis 2009 avec l’appui de distributeurs d’énergie (Tokyo Gas, Osaka Gas…). ENE.FARM est une unité de production d’électricité et chaleur à partir d’hydrogène, décentralisée à l’échelle du logement. Autre solution stationnaire, H2One commercialisé par Toshiba depuis 2015 est un système autonome composé d’un électrolyseur (pouvant être relié à des panneaux solaires), d’un stockage d’hydrogène, d’une pile à combustible et de batteries. H2One peut être déplacé, par exemple pour un usage sur un site touché par une catastrophe naturelle.

En complément de ces développements industriels, les entreprises japonaises s’engagent pour le lobbying international en faveur de la société hydrogène. Elles sont ainsi très bien représentées au sein de l’Hydrogen Council lancé en 2017 et initialement co-présidé par Toyota et Air Liquide. L’Hydrogen Council organise régulièrement des évènements internationaux de haut niveau visant à mobiliser les gouvernements et investisseurs pour l’accélération de la transition hydrogène, comme lors du World Economic Forum (Davos, 2019) ou du sommet Choose France (Versailles, 2020). Le Japon est également très présent dans les groupes de travail pour la création de normes internationales et se place au premier rang mondial en nombre de brevets déposés dans le domaine de l’hydrogène.

Malgré ces initiatives, le déploiement commercial et les projets à grande échelle d’hydrogène au Japon restent contraints par des coûts élevés, liés en partie à des réglementations très strictes. Les coûts de construction et de fonctionnement des stations de recharge à hydrogène sont ainsi jusqu’à quatre fois plus élevés au Japon qu’en Europe et aux Etats-Unis et peuvent rendre difficile leur amortissement. Cette rigueur réglementaire s’explique partiellement par la volonté du gouvernement de prévenir les dommages qui pourraient être causés par les catastrophes naturelles, mais d’autres règles s’expliquent plus difficilement, comme celle imposant la présence d’un opérateur sur place pendant les heures d’ouverture des stations de charge, alors qu’en Europe et aux Etats-Unis ce service est automatisé et contrôlé à distance. Dans le cadre de sa stratégie fondamentale pour l’hydrogène adoptée en 2017, le gouvernement japonais vise à simplifier ces réglementations afin de faire baisser les coûts de déploiement et d’exploitation de l’hydrogène.

Exemples de projets de démonstration en cours
  • Lancé en avril 2018, KHI et Obayashi réalisent un projet de démonstration du système de cogénération urbaine d’hydrogène à Kobé. Il s’agit d’un projet de fourniture d’électricité et de chaleur à partir d’une turbine alimentée à 100% par de l’hydrogène. L’électricité et la chaleur sont livrées dans différentes installations publiques (hôpital, centre sportif, salle d’exposition et centre d’assainissement). Il s’agit du premier projet mondial de cogénération en électricité et chaleur 100% hydrogène en zone urbaine.
  • La NEDO (New Energy and Industrial Technology Development Organization) réalise une démonstration de Power to Gaz (P2G) au sein du Fukushima Hydrogen Energy Research Field (FH2R), avec la participation de Toshiba Energy Systems, Tohoku Power Company et Iwatani. D’une capacité de production par électrolyse de 10 MW, ce projet vise à contribuer au déploiement de l’hydrogène propre, produit à partir de sources renouvelables. Le projet porte en particulier sur la réduction des coûts, l’optimisation du système d’électrolyse, l’amélioration de l’efficacité et la capacité du système à stocker de l’énergie. Mené jusqu’à l’été 2020, ce projet fournira de l’hydrogène pour les JO 2020 à Tokyo.
  • En vue de diversifier les ressources énergétiques du pays, deux projets de démonstration soutenus par la NEDO sont également en cours dans le domaine de l’établissement d’une chaîne d’approvisionnement internationale en hydrogène, produit à partir d’énergie non utilisée à l’étranger. L’un est une démonstration de production d’hydrogène à partir de lignite non utilisée en Australie, puis du transport de cet hydrogène par navire, après liquéfaction. Porté par l’association HySTRA (Iwatani, KHI, Shell Japan, J-Power, Marubeni, JXTG Energy, K Line) en partenariat avec l’Australie, ce projet vise notamment des applications commerciales autour de 2030. Dans ce cadre le premier navire au monde pour le transport d’hydrogène liquéfié, développé par KHI, devrait être opérationnel à l’automne 2020.
  • L’autre démonstration en cours sur l’approvisionnement international est portée par l’association AHEAD avec l’aide de la NEDO. Il porte sur le transport d’hydrogène produit à Brunei à partir d’une technologie d’hydratation organique. Dans ce cadre, la première livraison d’hydrogène produit à Brunei est arrivée au Japon en décembre 2019.
Exemples de projets de démonstration en cours