Extrait de l'Editorial :

«Je me suis armé contre la justice. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c’est à vous que mon trésor a été confié ». Certes on n’y citait pas Rimbaud, mais en constatant l’inévitable suspension d’activité de l’Organe d’appel, faute de renouvellement de ses membres, nombre d’ambassadeurs adoptait au Conseil général de l’OMC des accents lugubres et parfois lyriques. En écho, la presse internationale jouait avec l’image des funérailles, pour évoquer le sort d’un mécanisme dont la chute préluderait à celle de l’organisation tout entière.

Acte de décès de l’Organe d’appel, vraiment? Pour une majorité de membres, il était la clé de voute de l’OMC. Car en garantissant l’application contraignante des règles, il fondait la valeur même de la négociation : à quoi bon négocier des disciplines, si leur mise en œuvre n’est pas assurée en cas de dispute? Pour les Etats-Unis, à eux-seuls responsables de son blocage, c’est au contraire l’hypertrophie développée par l’Organe d’appel qui aurait tué la fonction de négociation : à quoi bon rechercher des accords si l’on peut obtenir plus facilement ce que l’on veut par arrêt de l’arbitre?

La vérité se situe quelque part entre les deux. Durant près de 25 ans le règlement des différends de l’OMC a remarquablement fonctionné, alors que ses négociations restaient pour l’essentiel au point mort. Sous le GATT par contre, les négociations prospéraient en l’absence d’Organe d’appel: autant pour la soi-disant «clé de voute». Inversement, les garanties qu’apporte un arbitre indépendant, le double degré d’examen des conflits, la mise en œuvre quasi automatique de ses recommandations fondent la crédibilité d’un système multilatéral destiné à substituer le droit à la force : au fond, n’est-ce pas cette substitution que récuse l’administration Trump? 

Les Etats-Unis l’ont annoncé: aucune restauration de l’organe d’appel ne sera possible sans parvenir au préalable à une compréhension commune des causes de ce qu’ils identifient comme sa dérive, judiciaire et jurisprudentielle. Comment et sur quelle durée, organiser une telle discussion du «pourquoi» en est-on arrivé là? C’est une tâche que le DG de l’OMC, M. Azevêdo, a annoncé vouloir entreprendre. En attendant, plusieurs pays veulent colmater la brèche contentieuse en établissant un mécanisme d’appel temporaire, sur une base conventionnelle, à partir de propositions formulées par l’UE, mais aussi le Brésil et l’Australie.