Editorial : Purgatoire ? Depuis Buenos-Aires un certain décalage s’est instauré entre deux lignes de perception de l’OMC. En forçant le trait, on pourrait dire que les pessimistes y voient un système du passé déjà à l’agonie, les autres, sans doute plus nombreux, une architecture en cours de transition.

Les premiers anatomisent les fonctions vitales de l’organisation. L’élaboration de règles pour le commerce mondial ? L’OMC n’y parviendrait plus : programme de Doha enlisé, discussions perdant pied avec la numérisation de l’économie, clivage idéologique «nord-sud» aux accents surannés… La mise en œuvre des disciplines ? Chacun sait qu’elles sont mal respectées, particulièrement les obligations de notification et de transparence en matière de subventions : américains et européens le dénoncent, non sans raison. Règlement des différends ? C’était ce qui marchait le mieux, mais la fin n’approche-t-elle pas puisque les Etats-Unis semblent avoir juré la mort de l’organe d’appel ?

Les seconds lisent le contraire dans les entrailles ainsi ouvertes. Certes, on ne parvient plus à adopter de règles par consensus multilatéral, mais on va désormais pouvoir le faire sur la base de coalition de volontaires («plurilatérales») : c’est ainsi que l’organisation va retrouver son efficacité ! La chose n’est d’ailleurs pas si nouvelle et, puisque l’on parle du passé, le cycle de Tokyo (1973-1979) s’était fondé sur la même approche ; même l’accord multilatéral sur la facilitation des échanges, conclu à Bali en 1994, laisse en réalité beaucoup de marge à l’engagement volontaire des membres. S’agissant de l’application des accords, l’OMC réalise au quotidien un travail remarquable et la plupart du temps inaperçu, comme par exemple dans son obscur comité sur les obstacles techniques au commerce. Mais il est vrai qu’il faut améliorer la situation : commençons par des objectifs concrets, comme par exemple remettre à jour les bases de travail en matière de subventions, en particulier pour l’agriculture. Enfin, ce sont tous les membres, sauf un, qui veulent préserver le règlement des différends, lequel ne se résume pas à son organe d’appel : plusieurs solutions existent potentiellement pour en assurer la pérennité, malgré la position américaine.

Le verre fut-il à moitié vide ou à moitié plein les deux camps reconnaissent qu’il faut en changer le liquide. De vieux mythes ont fait long feu. Le libre-échange à l’échelle mondiale ? Une fable colportée par les économistes des années 1990 : en réalité, depuis sa création à la fin du cycle d’Uruguay, l’OMC n’a jamais conclu d’accord multilatéral de libéralisation (l’accord sur les technologies de l’information est plurilatéral). Sa mission statutaire n’a jamais été le «free-trade» mais de favoriser, par le commerce, l’élévation des niveaux de vie, le plein emploi et le développement durable. La preuve par Buenos-Aires : la seule négociation multilatérale encore active porte sur la réforme des subventions à la pêche qui nuisent à la conservation des océans. Le commerce pour le développement ? Certes, mais l’approche à «taille unique» d’un traitement spécial et différencié conçu comme exception systématique aux règles générales ne répond plus à la diversité économique des «pays du Sud». Ce sont d’ailleurs des pays comme la Chine, l’Argentine et le Brésil qui plaident aujourd’hui avec vigueur pour des règles de facilitation de l’investissement. Une vaste majorité de PED, y compris certains pays africains, a décidé de s’engager dans la négociation sur le commerce électronique. On veut parler services,  PMEs…

 Plutôt sain en soi, le débat sur l’avenir de l’organisation ne fait que commencer. A travers lui, l’OMC hissera la voile pour naviguer vers des eaux meilleures. A ses membres de lui fournir la boussole.