Le modèle de marché du travail japonais se distingue de celui des autres pays par l'importance qu'il accorde à l'emploi, qu'il tente de garantir à vie, tandis que les salaires sont au contraire très flexibles. Ceci a notamment provoqué l'émergence d'un système original de syndicats d'entreprise, et conduit à rendre la variable de taux de chômage peu pertinente. En général, un licenciement, plus qu'ailleurs, provoque en effet dans une telle organisation une sortie de la population active.

Ce modèle d'emploi a vie n'a toutefois été conçu que pour une unique catégorie d'employés : les core workers (salariés masculins considérés comme permanents par leur entreprise). Il a donc subi une remise en cause importante avec le développement du travail temporaire depuis le milieu des années 1990. Pour le moment, sa mutation est toutefois incomplète : tandis que seuls les core workers bénéficient encore d'un emploi à vie garanti, tous les salariés en paient le prix via la flexibilité des salaires, indexés sur celui des core workers, et au total le taux de marge des entreprises est en augmentation continue depuis le milieu des années 1990.

Dans ce contexte, la récession débutée en 2008 pourrait avoir un impact extrêmement négatif sur les salariés : l'emploi s'ajusterait plus fortement encore que lors des précédentes récessions en raison du nombre important d'employés précaires, tandis que les salaires subiraient un ajustement important. Une telle baisse de la masse salariale aussi forte, voire plus forte, que celle de la valeur de la production pourrait alors intervenir et, si elle devait se confirmer, cela pourrait accentuer le déséquilibre du modèle de croissance japonais. Elle donnerait une importance encore plus grande à l'investissement et aux exportations, au détriment de la demande intérieure. La question de la soutenabilité de ce modèle de croissance ne serait alors que plus vive.

Trésor-Éco n° 65