Sa souveraineté alimentaire désormais assurée, le Vietnam entend valoriser pleinement son potentiel agricole pour satisfaire ses ambitions en matière de productivité, de qualité et de durabilité (19ème exportateur mondial, engagé dans une stratégie de montée en gamme). Néanmoins, les principaux leviers du développement de l’agriculture vietnamienne, et notamment le recours aux intrants et à une main d’œuvre bon marché, atteignent leurs limites.

A la veille de la fusion, le 1er mars 2025, des ministères de l’Agriculture et de l’Environnement en un ministère de l’Agriculture et de l’Environnement (MAE), le Vice-Premier ministre Trần Hồng Hà affirmait que « la protection de l’environnement doit primer sur toutes les activités économiques et sociales ». Pourtant, en dépit des défis environnementaux et sociaux posés par le modèle agricole actuel, ainsi que des contraintes structurelles, les ambitions de croissance pour 2025 restent élevées : +4 % pour le PIB agricole et +12 % pour les exportations du secteur.

1. Un potentiel agricole considérable…

Le pays a réalisé en 35 ans des progrès spectaculaires et assure désormais sa sécurité alimentaire (au 1er rang des pays à revenu intermédiaire inférieur[i]) tout en étant le 19ème exportateur mondial (et 3ème de l’ASEAN) dans le secteur. Celui-ci représente 12% du PIB et 27% de la population active. Il affiche des niveaux de production élevés tant pour les cultures vivrières (5ème producteur mondial de riz, 4ème de produits de la mer) que pour les cultures d’exportation (1er exportateur mondial de noix de cajou et de poivre, 2ème de café, 4ème de caoutchouc naturel et 5ème de bois et dérivés)[ii]

Le secteur agricole dispose d’une marge de manœuvre importante en matière de productivité. Les réformes engagées à la suite du Doi Moi (1986) ont permis une nette hausse de la productivité, les rendements de riz passant ainsi de 3 à près de 6 tonnes par hectare entre 1990 et 2020. Toutefois, le ralentissement de la croissance agricole depuis les années 2010 (commun à la plupart des pays asiatique) s’explique au Vietnam par une chute de la croissance de la productivité passée de 3,7 % dans les années 2000 à seulement 1,1 % dans les années 2010. La productivité par travailleur reste faible, équivalent à 40 % de celle de la Thaïlande malgré la mise place de politiques publiques visant à accroître la mécanisation[iii] et la formation[iv]. Cela s’explique tout d’abord par la faible surface des exploitations (en moyenne de 0,6 hectares contre 2,3 en Thaïlande), malgré les investissements croissants engagés par des entreprises de taille moyenne à grande[v]. Ensuite, la dépendance aux importations d’intrants agricoles (dont l’alimentation animale) accroît les coûts de production et freine les gains de productivité.

Pour répondre à l’essor de la classe moyenne et renforcer sa compétitivité sur les marchés internationaux, l’agriculture vietnamienne s’engage dans une stratégie de montée en gamme. Le gouvernement soutient cette dynamique à travers plusieurs initiatives, telles que le plan de développement de l’agriculture biologique (2020-2030) [vi], le programme « Une Commune, Un Produit » (OCOP)[vii], ou encore la certification VietGAP des bonnes pratiques agricoles. La croissance de la logistique[viii] et de l’industrie agroalimentaire, encore émergente[ix], illustre aussi cette volonté. Cette offre de qualité pâtit toutefois d’une faible confiance du consommateur vietnamien et l’amélioration de la traçabilité apparaît comme un levier crucial pour la crédibiliser. Par ailleurs, avec 60 Mds€ de produits exportés en 2024, la mise en conformité avec les exigences internationales est essentielle. Bien que le Vietnam soit avancé en matière de respect du règlement européen sur la déforestation (2,6 Mds€ de produits vietnamiens concernés exportés vers l’UE en 2024), sa crédibilité est en jeu sur les produits de la pêche (carton jaune émis par l'UE en 2017[x]) et la sécurité sanitaire (résidus de pesticides[xi]).

En matière de durabilité, les ambitions vietnamiennes sont concentrées sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur, responsable de 19 % des émissions nationales. Des objectifs ambitieux sont ainsi fixés, notamment en matière d’agriculture circulaire[xii], de développement de l’agroécologie, de couvert forestier et de méthodes d’irrigation[xiii]. La riziculture, à elle seule responsable de plus de la moitié des émissions agricoles, fait l’objet d’initiatives ciblées, en particulier dans le delta du Mékong, affecté par la salinisation des sols. Fin 2023, le Vietnam a ainsi adopté un plan visant à développer un million d’hectares de riz de haute qualité et bas carbone d’ici 2030, notamment en généralisant l’adoption de l’irrigation alternée.

2. … mais un modèle qui atteint ses limites

Alors que la croissance agricole au Vietnam s’est fondée sur un recours massif aux intrants, notamment aux engrais chimiques, dont la consommation annuelle a été multipliée par onze en l’espace de quatre décennies[xiv], cette trajectoire n’est plus soutenable. En 2022, le pays se classait au 2ème rang mondial des consommateurs de pesticides rapporté à la surface cultivée. Cette situation résulte principalement de l’absence de règlementation et de contrôle, d’un déficit en matière de formation et d’encadrement technique des agriculteurs et d’une demande limitée par la méfiance envers la certification de l’offre domestique (cf. supra). Les conséquences sont nombreuses : dégradation des sols et des eaux, accroissement des risques pour la santé publique, recul de la productivité agricole et obstacles à l’export. Plus généralement, l’épuisement des ressources naturelles et la vulnérabilité du Vietnam aux effets du changement climatique[xv] rendent indispensable une adaptation des pratiques agricoles.[xvi]

Caractérisée par de faibles revenus et des conditions de travail pénibles, la main d’œuvre agricole peine à se renouveler, freinant la transformation des systèmes de production agricole. Alors que les jeunes sont plus enclins à adopter l’innovation, les inscriptions universitaires dans la filière agricole chutent[xvii] et aucune aide nationale à l’installation n’existe. Cette désaffection est étroitement liée à l’état du monde rural, où le revenu moyen par habitant reste inférieur de près de 50 % à celui des zones urbaines. Le MAE a hérité du portefeuille de réduction de la pauvreté du ministère du Travail. Toutefois, le développement rural reste faiblement financé et dépend encore largement de l’aide internationale.

Des risques endogènes compromettent également à moyen et long terme la durabilité et la compétitivité de l’agriculture vietnamienne. Le secteur de l’élevage constitue une source importante de risques zoonotiques en raison de plusieurs facteurs structurels tels que la prédominance des petites exploitations et des marchés humides[xviii] et la porosité des interfaces avec la faune sauvage. Cette vulnérabilité, accentuée par un usage intensif et peu contrôlé d’antibiotiques[xix] engendre à la fois des coûts de production supplémentaires et des obstacles commerciaux dont est conscient le pays qui a été l’un des premiers de la région à adopter une approche multi-sectorielle Une Seule Santé dès 2003[xx]. Par ailleurs, malgré la révision et la simplification des procédures liées à l’importation et la mise sur le marché des médicaments vétérinaires, pesticides et engrais en 2024[xxi], le manque de sécurité juridique demeure un frein à l’innovation et l’investissement. Les filières végétales pâtissent particulièrement de la complexité des démarches pour l’enregistrement d’intrants ou l’autorisation de nouvelles substances.



[ii] FAO, USDA, TDM

[iii] La mécanisation fait l’objet d’une planification spécifique aux objectifs ambitieux (Décision n°124/2012/QD-TTg). Le décret n°57/2018/ND-CP permet des subventions aux investissements dans les engins agricoles.

[iv] Le ministère de l’Agriculture a pour objectif la formation professionnelle de 1,5 M d’employés du secteur rural, dont 70% d’ouvriers agricoles à horizon 2030.

[v] En particulier, des entreprises étrangères intégrées (traitant de la génétique jusqu’à la commercialisation) développent des systèmes à grande échelle dans le secteur de l’élevage.

[vi] Décision n°885/2020/QD-TTg

[vii] Le programme OCOP (décision n°490/2018/QD-TTg) vise à soutenir la production de biens et services traditionnels à forte valeur ajoutée, par des PME, coopératives et exploitations familiales, avec un objectif de création de 500 structures. Il est financé à hauteur d’environ 1,7 Md€.

[viii] Après avoir conduit entre 2019 et 2023 sur financement FASEP une étude de faisabilité pour un marché de gros à Hanoï avec Vingroup, la Semmaris aimerait obtenir un accord de licence pour exporter sa marque et son savoir-faire. L’appel d’offre n’a toutefois pas encore été lancé par le Comité populaire de Hanoï.

[ix] Si l’industrie laitière, dominée par des acteurs d’envergure mondiale, Vinamilk et Th Group, est la plus mature, les industries de certaines filières, dont les fruits, sont encore à bâtir.

[x] Le carton jaune émis par l'UE en 2017, en raison de l’insuffisance des mesures contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN), est toujours en vigueur. Selon la Banque Mondiale, le Vietnam pourrait perdre environ 480 M$ par an s'il échoue dans sa lutte contre la pêche illégale.

[xi] 117 notifications de non-conformité ont été émises par le système d’alerte européen (RASFF) à l’encontre des produits agricoles vietnamiens en 2024 (+ 65% par rapport à 2023), dont la majorité pour dépassement des seuils de résidus de pesticides, contre 60 pour la Thaïlande.

[xii] Le plan sur le développement scientifique, les applications et les transferts de technologies pour promouvoir l’économie circulaire dans l’agriculture d’ici 2030 a été publié en juin 2024 (décision n° 540/QD-TTg).

[xiii] Les objectifs assignés au secteur agricole par la stratégie nationale de croissance verte pour la période 2021-2030, avec une vision à l'horizon 2050 (décision n° 1658/QD-TTg) sont le maintien d’un taux de couverture forestière de 42 % d’ici 2030, et l’application de méthodes d’irrigation avancées et économes en eau sur 30 % des terres sèches irriguées d’ici 2030. L’agroécologie est explicitement mentionnée dans la stratégie.

[xiv] La consommation annuelle d’engrais chimiques au Vietnam est passée de 270 000 tonnes en 1982 à 3 M de tonnes en 2022 (FAO). Les niveaux de phosphore observés dans les sols vietnamiens sont 11 fois supérieurs à la moyenne de l’OCDE (OCDE).

[xv] Le Vietnam figure parmi les pays non insulaires les plus vulnérables aux catas­trophes naturelles et aux effets du changement climatique. D’après la Banque mondiale, 40 % du delta du Mekong et 11 % du delta du Fleuve rouge pourraient disparaître d’ici 2050.

[xvi] A titre d’exemple, l’appauvrissement des ressources halieutiques et les enjeux liés à la pêche INN ont conduit les autorités vietnamiennes à intensifier le développement de l’aquaculture, dont la production a enregistré une croissance de 31 % entre 2018 et 2023.

[xvii] Les inscriptions dans la filière agricole ont chuté de 30 % entre les périodes 2022-2015 et 2016-2020.

[xviii] Plus de 50% des ventes de viande ont lieu sur des marchés humides selon la FAO (2023).

[xix] Une étude menée par le One Health Poultry Hub a révélé qu’environ 8,6 % des échantillons de volaille au Vietnam dépassaient les limites maximales de résidus d’antibiotiques, soit 86 fois plus qu’en UE. Le plan national de prévention et de lutte contre l’antibiorésistance pour la période 2021-2030 (Décision n°3609/QD-BNN-TY) prévoit de renforcer la formation et la surveillance.

[xxi] Décision n°514/QĐ-BNN-VP

[xxii] Le nouveau MAE devrait pouvoir adopter plus aisément des approches systémiques telles que le nexus alimentation-environnement-santé. Dans ce cadre, les partenariats Une Seule Santé et Transformation des Systèmes Alimentaires (qui bénéficie d’un fort appui des instituts agricoles rassemblés au sein de l’Académie vietnamienne des sciences agricoles – VAAS) pourraient jouer un rôle structurant dans l’élaboration de politiques publiques intégrées.  

[xxiii] Un financement FASEP a été obtenu en avril 2025 par CLS pour développer des balises adaptées à la pêche artisanale.

[xxiv] Le projet PREACTS, lancé en 2025 et mené par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) doit participer au renforcement de la prévention des zoonoses.  

[xxv] Une étude de marché parue en 2025 et menée par Business France en partenariat avec le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire présente les circuits de distribution et les opportunités du marché vietnamien pour l’offre française dans le secteur agricole et agroalimentaire.