La majeure partie des pays d’AEOI enregistrent des déficits courants structurels en raison notamment d’un fort différentiel de valeur ajoutée entre leurs exportations et leurs importations. Pour assurer l’équilibre de leur balance des paiements, ces derniers sont grandement dépendants des transferts internationaux et plus particulièrement des envois de fonds de la diaspora qui ont observé une croissance significative sur la dernière décennie (+95 %). Conscient du rôle crucial joué par ces derniers dans le développement de leur économie (lutte contre la pauvreté, financement du secteur privé, source de réserve, stabilisation du cycle économique, développement du capital humain, etc.), de nombreux pays ont mis en œuvre des stratégies politiques visant à accroitre les remittances.

Des déficits courants causés par un différentiel de valeur ajoutée dans les produits échangés et une dépendance aux matières premières importées

A l’exception de Djibouti, de l’Erythrée et du Soudan du Sud, les pays d’AEOI enregistrent des déficits courants structurels. Sur la période 2010 - 2019, le déficit courant de la région AEOI a avoisiné -4,9 % du PIB. Sur cette période, les Seychelles et le Burundi ont enregistré les déficits courants les plus élevés de la zone, respectivement -16,0 % et -13,9 % de leur PIB en moyenne, tandis que l’Erythrée et Djibouti dégageaient des excédents respectifs de 12,3 % et 7,4 %.

Les déficits courants de la région s’expliquent principalement par des déséquilibres de leur balance commerciale. Les pays de l’AEOI tendent à exporter des matières premières brutes (denrées agricoles, pétrole), les rendant, d’une part, dépendants de la volatilité des prix internationaux, et d’autre part, importateurs nets de produits à plus forte valeur ajoutée (cf Lettres mensuelles de juin 2021 et septembre 2022). Des vulnérabilités exacerbées par la récente dégradation de la conjoncture économique mondiale, imputable à la crise sanitaire et à la guerre en Ukraine. En 2020, les déficits courants des pays de la zone se sont creusés à -6,0 % du PIB en moyenne, sans amélioration prévue en 2023 selon le FMI (-6,1 %). Concernant la balance des services agrégée des pays de l’AEOI, cette dernière est structurellement excédentaire (1,9 Mds USD en moyenne sur la décennie 2010) tirée à la hausse par le tourisme. En raison de la fermeture des frontières pendant la crise sanitaire et la perturbation des chaînes de valeur, le solde commercial des services est néanmoins passé en territoire déficitaire en 2020 (-2,4 Mds USD, contre +3,7 Mds USD en 2019). Une dégradation significative qui se résorbe progressivement à mesure que le tourisme international reprend des couleurs (-1,6 Mds USD en 2021). Au déficit de la balance commerciale s’ajoute le déficit de la balance des revenus primaires[1], s’établissant à -3,9 Mds USD en moyenne chaque année entre 2010 et 2019.

Pour atténuer l’impact de leur solde commercial et de revenus primaires structurellement déficitaires, les pays de la région peuvent compter sur leur balance des revenus secondaires, et plus particulièrement les dons institutionnels et les envois de fonds de leur diaspora. Entre 2010 et 2019, les gouvernements et ménages de l’AEOI recevaient respectivement 4,42 Mds USD de dons et 4,37 Msd USD de remittances en moyenne chaque année.

Les envois de fonds de la diaspora, pilier des économies est-africaines

Les envois de fonds de la diaspora - ou remittances - reçus par les pays de la région AEOI ont augmenté de manière significative au cours de la dernière décennie, passant de 4,4 Mds USD en 2010 à 8,6 Mds USD en 2020. Sur le plan géographique, au niveau régional, la majeure partie de ces remittances sont envoyées depuis les Etats-Unis (33 %), le Royaume-Uni (8,8 %) et la France (5,7 %)[2].

Les envois de fonds de la diaspora sont d’une importance capitale pour les pays de la région. En premier lieu, ils ont un impact significatif sur l’incidence de la pauvreté et la sécurité alimentaire. A titre d’illustration, en Somalie, la proportion de ménages bénéficiaires de remittances et vivant sous le seuil de pauvreté est de 58 %, contre 71 % pour les ménages non-bénéficiaires. Ensuite, de par leur caractère anticyclique, ils offrent un filet de protection sociale aux bénéficiaires et contribuent à stabiliser le cycle économique[3]. Les envois de fonds de la diaspora ont, par exemple, augmenté dans la plupart des pays de la région pendant la crise de Covid-19, notamment au Rwanda (+7,7 % entre 2019 et 2020), au Kenya (+9,5 %), en Somalie (+10,1 %) et à Madagascar (+21,5 %). Les envois de fonds sont d’autant plus importants qu’ils se révèlent être une source de devises plus stable et durable que d'autres apports de capitaux, tels que les IDEs, la dette publique ou l'aide publique au développement. Les remittances sont aussi un moyen de financement de l’économie. Nombre de pays de la région étant caractérisés par des systèmes bancaires peu développés et des marchés des capitaux balbutiants voire inexistants, les transferts de fonds de la diaspora s’inscrivent comme un vecteur important de financement du secteur privé. Outre le capital physique, ces remittances contribuent au développement du capital humain. Si elles sont en premier lieu utilisées pour assurer la subsistance des ménages bénéficiaires, une part notable est généralement allouée aux dépenses d’éducation. Ces envois de fonds de la diaspora sont aussi susceptibles d’améliorer l’inclusion financière des pays bénéficiaires. Ces flux de revenus contribuent en effet à augmenter la demande de services financiers dans les institutions financières pour stocker de manière sécurisée ces derniers. Aussi, les remittances contribuent à augmenter la solvabilité des ménages et la probabilité pour ces derniers d'obtenir des prêts auprès d'institutions financières. Enfin, ils sont une source de réserves importante. En 2021, les remittances nettes reçues en AEOI se sont élevées à 11,2 Mds USD. Un montant comparable aux dotations des bailleurs multilatéraux (15 Mds USD) et bien supérieur aux flux nets d’IDEs (6,4 Mds USD).

La révolution numérique et l’essor des services de mobile money ont joué un rôle clé dans le développement des envois de fonds en AEOI, et ce pour trois raisons : (i) les services de mobile banking offrent des frais de transfert inférieurs à ceux des acteurs traditionnels et font baisser les coûts de ces derniers en faisant marcher la concurrence ; (ii) ils ne nécessitent pas de compte bancaire ; (iii) les bénéficiaires n’ont pas besoin de se déplacer à un guichet pour récupérer la somme envoyée. Si ce point peut paraître anecdotique, une étude du Guardian de 2015[4] réalisée au Burundi dévoilait qu’il n’était pas rare que les populations soient contraintes de dépenser plus de 20 USD en frais de transport pour retirer 100 USD. Les services de mobile money représentent donc un gain financier significatif pour les ménages des zones rurales isolées. Sans surprise, les pays qui bénéficiaient d’une forte couverture de la téléphonie mobile à l’émergence des services de mobile money ont bénéficié d’une augmentation significative des envois de fonds de la diaspora.

Une part importante des remittances sont transférées de manière informelle[5]. Concernant les pays de l’AEOI, plusieurs facteurs expliquent cette prédominance. Premièrement, l’existence de taux de change parallèles dans plusieurs pays de la zone, notamment au Soudan, en Erythrée, en Ethiopie et au Burundi. Sachant que les transferts formels en devises étrangères sont généralement convertis en devise locale au taux de change officiel, la tentation pour la diaspora d’envoyer des fonds de manière informelle et de les faire ensuite convertir au taux de change parallèle est grande, en raison du gain de pouvoir d’achat local ainsi conféré au destinataire. Deuxièmement, le coût important des transferts formels. En 2021, d’après les estimations de la Banque mondiale, le coût moyen des transferts en AEOI est de 8,6 %, nettement supérieur à la moyenne mondiale (6,7 %), à l’objectif fixé par les pays du G8 (5 %) et l'objectif recommandé par les Objectifs de développement durable (3 %). Ce coût élevé a un impact significatif sur le volume de remittances envoyés. Dans un rapport de 2016, la Banque mondiale estimait qu’une réduction des frais de 2 à 5 % pourrait augmenter les flux de transferts de 50 à 70 %. Des disparités importantes existent entre les pays de la région. Tandis que l’Ouganda (10,2 %) et le Rwanda (9,9 %) affichent les coûts de transfert des plus élevés, les Comores (4,6 %) et l’Ethiopie (6,7 %) affichent les coûts les plus faibles. Troisièmement, le statut d'immigration des membres de la diaspora. Les migrants en situation irrégulière dans leur pays d’accueil ne sont pas en mesure d'envoyer de l'argent par les canaux formels pour la simple raison qu’ils ne disposent pas d'identification officielle, indispensable à l’accès aux services financiers formels. A titre d’exemple, la plupart des membres de la diaspora éthiopienne résidant au Moyen-Orient ou en Afrique sont contraints de procéder à des transferts informels en raison de leur statut d’immigration. Cette prédominance des envois informels présente un coût important pour les pays concernés puisqu’elle prive les autorités d’une rentrée de devises considérable et d’éventuelles recettes fiscales.

Le soutien de la diaspora aux économies de la région AEOI ne se limite pas aux remittances. Si ces dernières sont en effet privilégiées dans les pays à la gouvernance fragile, pour la simple raison que ces fonds sont envoyés directement aux ménages sans possibilité d’être gaspillés par les gouvernements, des pays comme le Rwanda et la Tanzanie sont parvenus à capter et flécher les fonds de la diaspora pour le développement économique local par le biais de fonds d’investissement et d’instruments financiers (Diaspora bonds). Autre modèle de contribution plus contestable, l’Erythrée, qui prélève une « Diaspora tax » auprès de ses ressortissants à l’étranger. Une contribution forcée, collectée avec des méthodes relevant de l’intimidation et du chantage, qui participe néanmoins de manière significative à la survie du modèle économique local.

Conscient de l’importance des contributions de la diaspora, de nombreux pays ont mis en œuvre des stratégies politiques visant à accroitre ces dernières. C’est notamment le cas du Kenya qui, outre la création d’un ministère de la Diaspora, mise sur des investissements importants dans le capital humain afin d’augmenter le nombre de Kenyans qualifiés travaillant à l’étranger et ainsi les envois de fonds de ces derniers à leur pays d’origine. Cette stratégie induit néanmoins une fuite des cerveaux vers l’étranger qui pourrait s’avérer préjudiciable pour le développement économique du pays à long terme.

 


[1] La balance des revenus recense les transactions effectuées entre résidents et non-résidents concernant la rémunération des facteurs de production (travail, capital...).

[2] Estimation du SER de Nairobi sur la base des dernières informations disponibles : Kenya (2021), Ethiopie (2020), Ouganda (2020), Djibouti (2018), Burundi (2017), Rwanda (2016), Madagascar (2012), Somalie (2011).

[3] Si les bénéfices sont nombreux, l’impact des remittances sur la croissance des pays bénéficiaires est sujet à débat parmi la communauté scientifique. Ces derniers peuvent en effet générer une hausse de la demande sur les biens échangeables, supérieure à la capacité de production locale, qui entrainerait une hausse des importations et des pressions inflationnistes domestiques. L’appréciation du taux de change réel – découlant de (i) l’appréciation du change nominal, consécutive à la hausse des envois de devises de la diaspora et leur conversion en monnaie locale, et (ii) les pressions inflationnistes découlant de la surchauffe de la capacité de production locale – réduirait alors la compétitivité des industries nationales sur les marchés étrangers par des exportations plus coûteuses dégradant de facto la balance courante et la croissance économique (OCDE, 2006). En somme, l’impact des remittances sur la croissance dépend de la structure des économies bénéficiaires et de la manière dont elles sont utilisées par les ménages. D’après une étude publiée en 2020, entre 2000 et 2014, les remittances en AEOI sembleraient néanmoins avoir eu un effet positif sur la croissance économique des pays de la région.

[5] En 2003, au niveau mondial, la Banque mondiale estimait que les transferts informels représentaient entre 35 % et 250 % des flux enregistrés.