Les politiques monétaires et de change en AEOI, fortement sensibles aux chocs extérieurs en raison de la taille de leur économie

Vulnérables face aux chocs extérieurs et aux aléas climatiques, les pays de l’AEOI affichaient un taux d’inflation de 12,4 % en moyenne entre 2010 et 2019. Néanmoins, il existe de fortes disparités au sein de la région, avec des taux d’inflation en moyenne annuelle allant de 2,0 % à 96,0 %. Hors Soudan (32,1 %) et Soudan du Sud (96,0 %), qui ont connu des taux d’inflation très élevés sur la décennie passée, la moyenne en AEOI s’est établit à 5,4 % entre 2010 et 2019. La hausse de l’inflation en 2022 dans tous les pays de la région, suite à la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, a mis à l’épreuve la capacité des pays de la région à réagir aux chocs externes. En effet, la hausse des prix internationaux des biens alimentaires, de l’énergie et des engrais s’est traduite par une inflation importée sur laquelle la politique monétaire a peu de prise. Selon le niveau de développement du pays, du marché intérieur et du secteur financier, et selon le régime de change, les autorités monétaires n’ont pas les mêmes mandats et ne disposent pas des mêmes instruments. Dans les pays où la Banque centrale a un objectif de stabilité des prix et de croissance économique, comme dans les pays de la CAE, les autorités peuvent agir sur les taux d’intérêt directeurs, via le canal du taux d’intérêt et du crédit ou du change. Néanmoins, la transmission de la politique monétaire au secteur réel reste contrainte par la petite taille du marché intérieur, la forte informalité de l’emploi et la fragilité du secteur financier. Dans les pays où le change est fixé (Comores, Djibouti, Erythrée, Burundi) ou administré (de façon plus ou moins interventionniste), les Banques centrales doivent injecter des devises dans l’économie pour contrer les fluctuations de leur change. Cependant, dans un contexte de dégradation de la balance commerciale, l’augmentation des prix des biens de premières nécessité importés a mené à des tensions sur les réserves de devises. Ces pays font parfois face à l’émergence d’un marché parallèle des changes.

Une inflation plutôt volatile et sensible aux aléas climatiques

L’inflation de la zone AEOI était en moyenne de 12,4 % sur la période 2010-2019, variant sensiblement entre les pays (96,0 % au Soudan du Sud en moyenne sur la même période, contre 2,0 % aux Comores ou à Djibouti, quand le Kenya enregistrait 7,1 %). L’inflation a aussi largement varié selon les années : en 2010, l’inflation annuelle moyenne était de 5,5 % en moyenne pour les quinze pays de l’AOEI, alors qu’elle atteignant les 11,1 % l’année d’après et les 14,4 % en 2012. En effet, les pays de la zone sont particulièrement sensibles aux chocs externes : les économies de la zone étant majoritairement agricoles, elles se caractérisent par une vulnérabilité accrue aux aléas climatiques affectant les récoltes et aux conflits. En 2020 et 2021, la hausse des prix des matières premières[1] avait commencé suite aux conséquences de la crise sanitaire et aux perturbations sur les chaînes logistiques. En 2021, l’inflation en moyenne annuelle (m.a.) atteignait 7,9 % en moyenne sur les 14 pays de la zone (hors Soudan), contre 6,5 % en 2020. Les pays les plus touchés étant l’Ethiopie (26,8 % en m.a.) et le Soudan du Sud (30,2 % en m.a.). Les Comores et le Rwanda avaient au contraire connu une inflation très faible, avec des taux d’inflation respectifs de -0,2 % et 0,8 % en m.a. en 2021[2], s’expliquant respectivement par un recul de la demande comorienne et par une amélioration des récoltes au Rwanda. Selon le FMI, l’inflation en moyenne annuelle augmenterait en AEOI à 11,0 % (hors Soudan) en 2022, avec une inflation alimentaire pouvant monter jusqu’à 35,1 % en Ethiopie et 32,7 % au Rwanda, pesant sur une situation d’insécurité alimentaire déjà critique dans la région.

Une part importante du panier de consommation consacrée à l’alimentation et l’énergie, rendant les ménages sensibles aux chocs externes et aux aléas climatiques

L’alimentation et l’énergie représentent à elles seules plus de la moitié du panier de consommation des ménages des pays de la région. L’alimentation représente en moyenne 42,2 % du panier de consommation des pays de la région AEOI, pour lesquelles les informations sont disponibles, et l’énergie, 9,1 %. Le poids de l’alimentation dans l’Indice des Prix à la Consommation (IPC) varie assez fortement selon les pays, allant de 15,8 % aux Seychelles à 71,4 % au Soudan du Sud ; et représentant plus de la moitié au Burundi, aux Comores, en Ethiopie, à Madagascar et au Soudan. Les effets de la guerre en Ukraine ont pesé ainsi fortement sur la sécurité alimentaire en AEOI, déjà mise à mal par une sécheresse persistante. Cela a entraîné une forte hausse du prix des céréales – jusqu’à 234 % dans la région de Bay (Somalie) – aggravant l’insécurité alimentaire, elle-même renforcée par l’escalade des conflits dans la région. En novembre 2022, on dénombrait 48 millions de personnes en catégorie IPC 3[3] ou plus dans la région, dont 20,4 millions en Ethiopie.

En outre, bien que représentant une part plus faible du panier de consommation, l’énergie varie tout aussi fortement selon les pays : elle pèse le plus dans le panier de consommation des ménages aux Comores (10,7 %) et le moins au Soudan (2,6 %) – exportateur de la production provenant du Soudan du Sud. Si certains pays bénéficient d’un mix énergétique qui s’appuie fortement sur les énergies renouvelables pour leur électricité (Tanzanie, Ethiopie, Kenya[4]), la consommation de produits pétroliers reste importante. En 2022, elle représentait 23 % de la consommation finale d’énergie du Kenya, principalement pour le transport (3,2 M de tonnes) et l’industrie (0,7 M de tonnes). La consommation de produits pétroliers en Ethiopie et en Tanzanie était d’environ 10 %. Les pays de la zone dépendent quasi intégralement des importations d’hydrocarbures, soit parce que les gisements sont insuffisants pour faire face aux besoins, soit parce que les pays ne disposent pas assez de capacités de raffinage (Soudan du Sud, seul exportateur de pétrole)[5]. Par conséquent, ils subissent la volatilité des prix du baril, d’autant plus forte avec la crise énergétique depuis 2021 et accentuée par la guerre en Ukraine.

Aussi, l’inflation des sous-composantes alimentation et énergie[6] a très fortement augmenté depuis 2021, et d’autant plus avec la guerre en Ukraine. L’inflation alimentaire est particulièrement élevée en Ethiopie (30,7 % en g.a. en octobre), au Rwanda (39,7 % en g.a. en octobre), au Burundi (26,3 % en g.a. en septembre), en Ouganda (22,2 % en g.a. en octobre), et au Kenya (15,8 % en g.a. en octobre). Quant à l’inflation énergétique, elle a augmenté dans l’ensemble des pays, et a été très forte aux Comores (+31 % en g.a.) et en Ethiopie (20,2 %). De plus, cette inflation alimentaire et énergétique a commencé à se transmettre à l’inflation domestique et à l’inflation sous-jacente par des effets de second tour. Depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine, le taux d’inflation sous-jacente a fortement augmenté, atteignant 14,4 % en g.a. au Rwanda en octobre, ou 8,9 % en Ouganda, contre respectivement 2,6 % et 2,1 % en g.a. en octobre 2021.

Alors que les Banques centrales doivent arbitrer entre croissance et stabilité des prix mais aussi effet sur l’endettement public, l’efficacité de la politique monétaire reste limitée

Les pays de l’AEOI sont hétérogènes du point de vue des institutions monétaires et du mandat qu’elles défendent. Six sur les quinze pays de la région ont une Banque centrale[7] qui cible un objectif d’inflation, souvent autour de 5,0 %. Depuis l’instauration de cette cible, on observe un retour de l’inflation dans la fourchette ciblée, et une certaine stabilité des prix, outre évènement exceptionnel, comme des aléas climatiques extrêmes affectant les récoltes, des conflits internes ou des chocs extérieurs. Le Soudan, l’Ethiopie et le Soudan du Sud se distinguent par des taux d’inflation très élevés sur la décennie.

En général, les Banques centrales agissent sur les taux d’intérêts directeurs, principal instrument de politique monétaire, afin d’ancrer les anticipations des agents, via les canaux du taux d’intérêt et du crédit. La transmission de la politique monétaire est cependant entravée par la faiblesse du marché intérieur et l’omniprésence de l’informalité, ainsi que par la fragilité du secteur financier.

Face au contexte mondial de forte inflation, les Banques centrales de la région – hors Seychelles - ont aussi dû réagir, afin de faire revenir l’inflation à leur cible, d’éviter les effets de second tour, et dans une moindre mesure la dépréciation du taux de change qui accentue l’inflation importée. Les Banques centrales kenyane, ougandaise, rwandaise et mauricienne[8] ont ainsi porté leur taux respectivement à 8,25 %, 10,0 %, 6,5 % et 4,0 %. Ce durcissement monétaire relève d’un arbitrage en faveur du maintien de la stabilité des prix, et pourrait porter préjudice à la croissance, à l’accès au crédit, et au rebond économique que connaissent les pays de la région post-crise Covid-19. Malgré ce resserrement monétaire, les effets de la hausse des prix des matières premières devraient persister, et l’inflation devrait continuer d’augmenter. Selon le FMI, l’inflation à fin 2022 atteindrait 12,6 % en moyenne (hors Soudan – 129,5 %) en AEOI, contre 7,5 % en 2021 et 5,8 % sur la période 2010-2019[9]. En moyenne annuelle en AEOI (hors Soudan), l’inflation atteindrait 11,0 % en 2022 et retomberait à 8,8 % en 2023, un taux encore élevé et bien supérieur aux cibles d’inflation des autorités monétaires de la région.

Les gouvernements, dont les marges de manœuvres ont été réduites par la crise sanitaire, vont se retrouver sous pression, contraints par une nécessité de répondre à la précarité provoquée par l’inflation, alors même que l’inflation importée contribue à augmenter les dépenses publiques et que le resserrement monétaire renchérit d’autant plus coût de l’emprunt public.

Les autorités interviennent sur le change, manœuvrant entre taux de change parallèle et pressions sur les réserves

Les spécificités des régimes de change varient au sein de l’AOEI : le franc comorien est arrimé à l’euro, le franc djiboutien et le nafka érythréen sont fixés par rapport au USD, la Somalie a une économie dollarisée de facto, le Soudan du Sud a adopté un régime flottant en 2015 mais fait toujours face à un taux de change parallèle important, le Soudan a également libéralisé officiellement le taux de change, mais contrôle la parité du SDG vis-à-vis du USD, et le birr éthiopien, fortement administré, tend à être surévalué avec un écart par rapport au taux parallèle qui se creuse. Par conséquent, les réponses apportées par les autorités monétaires sont différentes, et de nombreux pays ont engagé une réforme de leur régime de change, avec l’aide du FMI et d’autres bailleurs, pour tendre vers une libéralisation de leur change. Cependant, le risque de dépréciation suite à cette libéralisation, et donc d’inflation importée, rend cette décision risquée dans un contexte déjà inflationniste. Pour les pays possédant un régime de change flottant, le niveau d’interventions varie, et les autorités gardent un rôle de régulateur quand le change est administré, comme au Kenya, au Rwanda, en Tanzanie, et au Soudan du Sud. En injectant ou retirant des devises dans leur économie elles peuvent lisser la volatilité du change.

Les pays sont sensibles aux mouvements de capitaux et à la volatilité des prix internationaux de commodités, qui exercent des pressions sur leur change. Suite au resserrement monétaire de la Fed, les afflux de capitaux vers les Etats-Unis ont entraîné une dépréciation relative, bien que contenue, des monnaies de la région (exception faite de la roupie Seychelloise, qui s’est appréciée face au USD), ainsi qu’une hausse des premia entre les taux de change parallèle et officiel, pour les pays connaissant un dédoublement de leur marché des changes.

La hausse des prix internationaux des matières premières, notamment du pétrole, dont dépendent la plupart des économies de la région, mais aussi des engrais et autres produits alimentaires de base, a contribué à dégrader leur situation extérieure des pays et ainsi à épuiser leurs réserves de change, limitant ainsi la marge de manœuvre des banques centrales.



[1] En 2020, le prix du Brent était de 42,3 USD/baril en moyenne, et près de deux fois plus cher en 2021, atteignant 70,4 USD/baril. Le prix du gaz naturel était de 2,0 USD/mmbtu en moyenne en 2020, alors qu’il a atteint 3,9 USD/mmbtu en moyenne en 2021.
[2] Sources : FMI, WEO Octobre 2022. La Banque centrale des Comores estimait l’inflation en moyenne annuelle en 2021 à 0,1 %.
[3] La classification IPC (Integrated Food Security Phase Classification) définit la sévérité et l’ampleur de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition dans les pays. A partir de la catégorie 3, la situation alimentaire est considérée comme en crise (cf LM mars 2022).
[4] Au Kenya, 80 % de l’énergie est produite avec des sources d’énergies renouvelables, dont 43 % provenant de la géothermie et 32 % de l’hydroélectricité en 2019.
[5] Lors de la partition du Soudan, le Soudan du Sud a hérité de la majorité des réserves pétrolières confirmées, estimées à 3,5 milliards de barils (contre 1,5 milliard de barils pour le Soudan). A l’inverse, le Soudan importe le pétrole sud-soudanais et dispose de deux raffineries, mais dont les capacités ne permettent pas de couvrir les besoins nationaux (cf LM Février 2022)
[6] Ou à défaut, la sous-composante ‘Logement, eau, électricité, gaz et autres carburants’.
[7] Ce sont les pays les plus développés de la région : Kenya, Rwanda, Tanzanie, Ouganda, Seychelles, Maurice.
[8] La Banque centrale tanzanienne n’a pas remonté ses taux directeurs, mais a commencé à réduire la quantité de liquidités injectées dans l’économie.
[9] Hors Soudan du Sud pour la période 2015-2017.