Entre dépendance aux importations et tentatives de diversification énergétique, l’AEOI ambitionne de valoriser ses ressources en hydrocarbures pour son développement économique

Malgré des ressources relativement limitées comparé à la moyenne mondiale, la plupart des pays de la région ont l’ambition d’utiliser l’exploitation des hydrocarbures comme levier de développement. Hormis la production historique (en déclin) du Soudan et Soudan du Sud, les concrétisations récentes de ces ambitions se situent en Tanzanie (gaz) et surtout en Ouganda (pétrole) où TotalEnergies est un acteur majeur d’un projet d’exploitation d’ampleur récemment lancé. Malgré ces ambitions d’exploitation, les pays de la région restent très dépendants des importations de produits finis, ce qui pèse notamment sur leur balance commerciale. Outre le segment amont de l’exploitation, les acteurs français sont bien positionnés sur les segments de la distribution de carburants avec des parts de marchés souvent importantes.

 

Des ambitions d’exploitation des hydrocarbures communes aux pays de la région marquées par la volonté de valoriser les ressources pétrolières et gazières

L’Afrique de l’Est dispose de 0,6% des réserves prouvées mondiales de pétrole, concentrées dans trois pays : le Kenya (750 M barils), l’Ouganda (1,5 Md barils), et le Soudan du Sud (3,5 Mds barils). Les réserves gazières s’élèvent à 62 trillions de pied cube standard (TCF), soit 0,9% des réserves prouvées mondiales. Les pays producteurs d’hydrocarbures dans la région incluent : le Soudan (pétrole brut, gaz), Soudan du Sud (pétrole brut), Tanzanie (gaz) et le Kenya (pétrole brut). Dans le cas du Soudan et du Soudan du Sud, le sous-investissement depuis plusieurs décennies et les problématiques de gouvernance, de corruption et d’instabilité politique ont conduit à une diminution continue de la production depuis 10 ans.

Une dynamique d’exploration des ressources s’est engagée dans de nombreux pays de la zone, renforcée par des découvertes de réserves notables réalisées au cours des dix dernières années. Parmi les découvertes les plus notables : les gisements gaziers au large des côtes tanzaniennes, les réserves de pétrole près du Lac Turkana (Kenya) ou du Lac Albert (Ouganda), qui font d’ailleurs l’objet de projet d’exploitation, en cours de développement. Malgré des opérations d’exploration, aucun gisement notable n’a encore été découvert au Rwanda, au Burundi ou dans les pays de l’Océan Indien. D’autres pays se mettent toutefois en ordre de marche pour attirer les investissements étrangers et investiguer leurs potentiels en hydrocarbures. La Somalie et Maurice ont ainsi récemment renforcé leurs cadres règlementaires pour relancer les activités d’exploration dans leurs eaux territoriales.

Des initiatives de coopération régionale en matière d’infrastructures se mettent en place pour soutenir les volontés d’exportation. A l’instar du Sud-Soudan et de l’Ouganda, certains pays enclavés de la région disposent d’importantes ressources en hydrocarbures destinées à l’exportation et développent des projets d’oléoducs transfrontaliers pour relier les champs de production aux ports d’exportation. Le projet d’East African Crude Oil Pipeline (EACOP) de 1 445 km, développé par TotalEnergies et l’entreprise chinoise CNOOC pour un montant de 3,5 Mds USD, doit ainsi relier le lac Albert en Ouganda au port de Tanga en Tanzanie. Ces projets bénéficient d’une part aux pays producteurs en facilitant les exportations, mais également aux pays tiers, qui bénéficient de recettes fiscales, au titre des frais de transit. Par ses quatre oléoducs qui permettent l’exportation du pétrole brut sud-soudanais via Port Soudan, le Soudan reçoit par exemple environ 1,3 Md USD par an.

Si les questions environnementales (engagement climat ou protections d’aires naturelles) et sociales (expropriations et compensations) sont souvent opposées de la part d’ONG aux projets d’exploitations, comme dans le cas du projet Ougandais, aucun gouvernement de la région n’a renoncé à exploiter ces potentielles réserves d’hydrocarbures. Au contraire, l’exploitation de ces ressources est présentée comme un moyen d’accélérer le développement économique et de sécuriser des ressources pour le budget de l’Etat. Dans les faits, la concrétisation des projets d’exploitation est souvent ralentie pour des questions (non exclusives entre elles) de gouvernance et d’instabilité politique (dominantes au Sud-Soudan ou Somalie par exemple), de longues négociations sur le partage des profits et risques entre Etats et entreprises (Ouganda, Tanzanie) ou de coûts d’investissement trop élevés pour justifier un modèle économique (Kenya ou Ethiopie). La récente remontée des cours internationaux du pétrole pourrait changer la donne sur ce dernier point et relancer certains projets.

Dans l’attente de la concrétisation des projets d’exploitation, la région importe la grande majorité de sa consommation en hydrocarbures…

 Les pays de la zone demeurent très dépendants des importations de produits finis pétroliers et gaziers pour répondre aux demandes nationales. Cette dépendance aux importations est renforcée par l’absence de capacité de raffinage du pétrole brut dans la région hormis des capacités (insuffisantes) au Soudan et un projet restant encore incertain en Ouganda. Le volume des importations, qui s’élevait, pour la région, à 26,3 MT en 2019, tiré par la croissance démographique et économique, a augmenté dans la grande majorité des pays, représentant une hausse pour la région de 51% depuis 2010. Le diesel et l’essence, principalement utilisés dans les secteurs du transport, sont les principaux produits importés. La dépendance aux importations et l’impact sur la balance commerciale et les réserves de devises n’est pas négligeable pour les pays de la région, qui dédient entre 0,9 % (Somalie) et 20,8% (Tanzanie) du montant de leurs importations à ces produits.

Les pays côtiers de la région jouent un rôle essentiel dans l’importation et la distribution de ces produits vers les pays enclavés, dépendants des importations. La majorité des importations transitent par les ports de Mombasa au Kenya, Dar es Salam, Tanga ou Mwanza en Tanzanie, Djibouti, ou Port Soudan. Ces quatre pays ambitionnent, parfois de manière concurrente, de s’affirmer comme plateformes régionales d’importation et de redistribution de produits pétroliers, et développent à cet effet, des infrastructures interrégionales. Le projet de construction de la ligne ferroviaire de 1700 km à écartement standard (SGR) qui reliera la Tanzanie au Burundi, au Rwanda et à la République démocratique du Congo et à l’Ouganda en est un exemple, tout comme le projet de prolongement de l’oléoduc transportant des produits raffinés au-delà d’Eldoret au Kenya vers l’Ouganda et le Rwanda.

La logistique de transport des produits pétroliers depuis les ports côtiers jusqu’aux pays enclavés, a un coût, qui se répercute in fine sur les consommateurs finaux. Le rôle des autorités régulatrices apparaît ainsi fondamental dans le prix des carburants au détail. Ainsi les pays de la région disposent tous d’un système de prix régulés maximum, avec un prix calculé (et théoriquement régulièrement révisé) pour tenir compte : des coûts d’importations des produits sur les marchés mondiaux, des coûts de transports et distributeurs, des taxes et des marges des distributeurs. Les segments de l’importation, du stockage et de la distribution restent à la fois concurrentiels (marges souvent faibles) et encadrés (marges réglementées). Les différences de prix au détail des carburants entre pays, de 0,57 €/L en Ethiopie pour l’essence à 1,53 €/L,  à Djibouti s’expliquent ainsi par les niveaux de taxes et dans une moindre mesure par les coûts logistiques (notamment pour les pays enclavés ou insulaires).

Ces systèmes de régulation n’empêchent pas les pays de la région de subir de plein fouet l’augmentation récente des prix sur les cours internationaux. Certains pays, notamment ceux où les prix étaient déjà relativement élevés, comme le Kenya ou Madagascar, ont fait le choix politique de limiter ces hausses en mettant en place des mécanismes de stabilisation (taxes « flottantes » ou équivalent de subvention budgétaire). Ces mécanismes restent néanmoins très couteux pour les finances publiques et peuvent être supportés dans la réalité par les distributeurs (Madagascar). D’autres pays, où les prix étaient très faibles jusqu’à récemment, notamment l’Ethiopie et le Soudan, ont ainsi vu leurs prix à la pompe au détail nettement augmenter au cours des derniers mois, une évolution renforcée par la diminution de subventions aux carburants. Ces diminutions des subventions sont liées à la dégradation des finances publiques et sont souvent incluses dans des programmes du FMI et de la Banque mondiale (s’agissant également de subventions aux énergies fossiles dont l’élimination est promue dans les engagements climat internationaux). Elles peuvent néanmoins avoir des conséquences sociales importantes via une augmentation du coût de la vie, directe pour les consommateurs de carburants et indirecte via une répercussion sur le prix de nombreux produits de première nécessité.

 

… et tente timidement de diversifier sa consommation énergétique

Afin de remédier à la dépendance aux importations de produits pétroliers, certains pays se sont engagés dans l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies de diversification du mix énergétique vers des sources d’énergies plus propres. Si des projets de centrales GNL sont actuellement en cours de réalisation en Tanzanie, Kenya, Seychelles ou à l’étude (Maurice, Seychelles) – il s’agit de stratégies de diversification énergétique seulement partielles. Le GNL demeure en effet une énergie fossile, bien que moins émettrice que le pétrole brut ou le charbon, ou la biomasse non soutenable (surtout quand elle permet de limiter la déforestation), mais dont la consommation pourrait contrevenir aux objectifs climatiques des pays et dont l’importation pèse toujours sur les balances commerciales.

Toujours dans l’objectif de limiter la dépendance aux produits pétroliers, dont l’utilisation est principalement concentrée dans le secteur du transport, certains pays, dont le Kenya et le Burundi, ont élaboré des plans de développement des biocarburants ou de biogaz. Toutefois, ces plans et stratégies peinent à se concrétiser sur des actions opérationnelles et financées, dans le cas des biocarburants ces ambitions peuvent également se heurter aux besoins de sécurité alimentaire (de façon directe ou indirecte via l’utilisation de terres arables).

 

Les entreprises françaises sont principalement positionnées sur le marché de la distribution

Au sein de la zone AEOI, les entreprises françaises – notamment TotalEnergies et Rubis – sont majoritairement impliquées dans le secteur de la distribution. Ces deux entreprises sont respectivement impliquées dans une majorité des pays de la zone. Rubis notamment a récemment renforcé sa présence par l’acquisition de distributeurs locaux au Kenya, au Rwanda, Burundi ou en Ouganda. Ces deux entreprises ont souvent des parts de marchés importantes, TotalEnergies est ainsi le deuxième distributeur au Kenya ou en Tanzanie, tandis que Rubis est premier au Rwanda et à Djibouti et deuxième à Madagascar.

TotalEnergies est également un acteur du secteur amont (exploration et production) par son implication en Ouganda et au Kenya. L’acquisition progressive des parts de Tullow Oil dans le projet de production pétrolière du lac Albert (projet Tilenga), et l’oléoduc EACOP, a permis à l’entreprise de se positionner aux côtés du partenaire chinois CNOOC, sur les segments de la production et d’exploitation de l’oléoduc. De même, en 2017, l’acquisition de Maersk a permis à TotalEnergies d’obtenir 25% des parts du consortium d’exploitation composé de Tullow Oil et du canadien Africa Oil pour l’exploitation d’un gisement du Basin de Turkana , évalué à 44,1 Mds USD (120 000/j à partir de 2022).

Avec le renforcement des activités d’exploration et une volonté, partagée par une majorité de pays, d’exploiter les gisements d’hydrocarbures et de renforcer la résilience et l’efficacité de leurs systèmes de distribution, de nouvelles opportunités sur les segments amont et aval de la chaine de valeur notamment peuvent émerger pour les entreprises françaises comme développeurs, fournisseurs ou consultants. Des opportunités à plus petite échelle peuvent également exister pour des solutions innovantes, d’optimisations des flux logistiques, de numérisation, de traitement des effluents ou de production de carburants alternatifs.