Entre crises climatiques, systèmes agricoles sous tension et dépendance aux importations, la sécurité alimentaire en AEOI témoigne d’une grande vulnérabilité malgré une forte volonté politique d’amélioration

Malgré des économies largement construites autour de l’agriculture et une amélioration des performances du secteur agricole ces dernières années, la plupart des pays de la région peinent à assurer la sécurité alimentaire de leurs habitants. En cause : des zones parfois très arides, une forte vulnérabilité aux événements climatiques (inondations, sécheresses, cyclones), une instabilité politique dans certains pays et une croissance démographique record (+2,8%/an). La crise COVID-19 aura mis sous tension des systèmes alimentaires déjà fragilisés, observant une forte augmentation du prix des denrées alimentaires sur les 2 dernières années, augmentation qui devrait encore s’accentuer avec le conflit ukrainien. On estime ainsi que plus de 27 millions de personnes seraient actuellement en situation d’insécurité alimentaire aiguë en AEOI soit 6,7 % de la population.

Une forte vulnérabilité climatique qui conduit à un niveau élevé d’insécurité alimentaire.

L’Afrique de l’Est et l’Océan Indien connaissent depuis de nombreuses années des aléas climatiques majeurs mettant en péril la sécurité alimentaire des populations locales. Depuis près de 2 ans, l’Afrique de l’Est est ainsi affectée par une sécheresse historique. Avec des précipitations d’octobre à novembre 2021 50% plus faibles que la moyenne décennale, le Nord du Kenya, le Sud de l’Ethiopie et le Sud-Ouest de la Somalie sont particulièrement touchés et connaissent une 3ème saison des pluies consécutive où le niveau des pluies est particulièrement faible. L’impact sur la production agricole est significatif, le faible enherbement contraint les éleveurs à limiter le chargement dans les pâtures et a fait chuter la production de lait. Cette sécheresse s’inscrit dans un contexte déjà difficile dû aux invasions de criquets pèlerins – qui ont touché une dizaine de pays dans la région – et aux conflits armés dans certaines zones. En conséquence, en octobre 2021, le sorgho et le maïs étaient vendus à des prix 70 à 100% supérieurs à ceux observés sur la même période en 2020, et jusqu’à 60% plus élevés que la moyenne quinquennale. Le climat aride touche également de manière récurrente les pays limitrophes comme le Soudan, l’Erythrée, Djibouti ou encore le Rwanda, ayant pour conséquences de fortes baisses de rendements et des montées des prix similaires. A l’inverse certains pays souffrent d’un surplus d’eau : le Burundi et le Soudan du Sud subissent notamment de plein fouet la montée des eaux sur les rives du lac Tanganyika ou du Nil. Dans l’Océan Indien, de violentes tempêtes – comme la tempête Batsirai qui a détruit en février 2022 jusqu’à 70 % des cultures maraîchères –renforcent la progression de l’insécurité alimentaire dans la région. A Maurice, la tempête Batsirai devrait par exemple renforcer une inflation qui suit déjà une pente ascendante : les prix des denrées alimentaires (hors boissons alcoolisées et tabac) ayant augmenté de 10 % entre décembre 2020 et décembre 2021. On estime que les 48 heures d’alerte cyclonique aurait coûté 3 milliards de roupies à l’économie mauricienne, soit environ 60 MEUR du fait de l’arrêt de nombreuses activités. En raison des dérèglements climatiques, les phénomènes extrêmes de ce type pourraient être amenés à se multiplier et renforcer une insécurité alimentaire sévère dans la région.

Début 2022, on estime ainsi que 27,1 millions d’habitants de la zone AEOI étaient en situation d’insécurité alimentaire aigüe (Phase IPC3 ou plus) soit 6,7 % de la population. Toutefois, ce chiffre est certainement sous-estimé du fait de certaines zones rendues inaccessibles par les conflits armés. Les dernières prévisions de la FAO, antérieures à la crise ukrainienne, laissaient déjà penser que ce chiffre pouvait augmenter d’ici à la fin de l’année 2022. La forte dépendance des pays de la région aux importations de blé et d’engrais en provenance d’Ukraine et de Russie devrait nécessairement augmenter encore un peu plus ces estimations. Le principal défi réside aujourd’hui dans l’amélioration des rendements et la durabilité des systèmes agricoles et alimentaires pour faire face à la forte croissance démographique de la région (+2,8 % par an). A titre d’exemple, en 10 ans la production de céréales au Kenya a augmenté de 13,6 % alors que la population a augmenté de 28,6 % : de telles disparités conduisent à rendre les pays de plus en plus dépendants aux importations de certaines denrées alimentaires.

De nombreuses politiques publiques mises en place pour favoriser la sécurité et l’autonomie alimentaire.

Si les gouvernements ont pour la plupart priorisé le sujet de la sécurité alimentaire dans leurs interventions, leur mise en œuvre peut prendre différentes formes. Certains pays ont notamment mis en place des plans de transformation agricole pour améliorer la productivité de leurs systèmes de production : c’est le cas notamment du Kenya à travers le Big Four Agenda et l’Agriculture Sector Transformation and Growth Strategy, de Maurice à travers les Sustainable Diversified Agri-food Sector Strategies, de la Tanzanie à travers Vision Tanzanie 2025. En Somalie ou au Soudan, la lutte contre l’insécurité alimentaire a par contre depuis longtemps été externalisée aux organisations humanitaires – essentiellement internationales – comme le Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies (PAM ou WFP – World Food Programme). Au Soudan, le PAM a notamment préfinancé en 2020 et 2021, l’achat de 200 000 tonnes de blé pour le compte des autorités soudanaises. De même, pour les besoins internes au PAM au Soudan, l’organisation internationale procède à l’achat local de 100 à 300 000 tonnes de sorgho par an.

La crise Covid-19 a mis à l’épreuve les différents systèmes alimentaires de la région et la capacité des populations locales à accéder à certaines denrées alimentaires, compte tenu des difficultés rencontrées à l’importation, notamment sur les plans logistique et de l’augmentation des coûts de transport (frets maritime, aérien et terrestre) et de la limitation des déplacements au sein même des pays pendant de nombreux mois. Certains pays ont mis en place des filets sociaux et des plans de soutien à la population, d’autres ont bénéficié de soutiens financiers internationaux qui ont permis de répondre en urgence à la crise. A l’occasion de l’UN – Food Systems Summit (FSS) qui s’est tenu en septembre 2021, de nombreux pays ont rappelé l’importance de définir de véritables stratégies pour transformer les systèmes alimentaires, renforcer l’autonomie alimentaire des pays et enrayer l’insécurité alimentaire qui touche de nombreuses régions. Le conflit en Ukraine devrait accentuer l’impact de la dépendance aux importations, par une augmentation notable du coût de certaines denrées alimentaires (comme le blé) et des matières premières (comme les engrais).

Une dualité des agricultures : entre grand export et dépendance aux imports de commodités

Les Self Sufficency Ratio (SSR) des principaux pays de la zone font apparaître une forte homogénéité dans les capacités à fournir ou ne pas fournir certaines denrées alimentaires à leur population. On constate des SSR entre 80 % et 100 % pour les tubercules, les céréales, et les fruits et légumes. De même pour les produits d’origine animale. Ces taux ne reflètent néanmoins pas une forte dépendance aux importations pour certains types de céréales comme le blé et le riz, qui figurent parmi les principaux postes d’importation de produits agricoles en AEOI (8,2MT pour le blé et 3,4 MT pour le riz). Ces taux pour les produits d’origine animale traduisent par ailleurs davantage un alignement de la consommation locale sur la production locale que la couverture de besoins réels. Pour ce qui concerne les huiles végétales et les sucres raffinés, les SSR sont quant à eux inférieurs à 50 % et nécessitent d’être fortement compensés par des importations. Les huiles végétales – principalement l’huile de palme – et le sucre représentent ainsi d’autres postes importants à l’import (2,5 MT pour les huiles végétales et 4,1 MT pour le sucre).

Alors que les pays de la zone AEOI sont majoritairement exportateurs de produits agricoles (café, thé, horticulture, épices, poissons), le montant total des importations de produits agricoles, agroalimentaires, forestiers et d’agrofournitures s’est élevé en 2020 à 16 234,9 MUSD dont 88,2 % en provenance de pays tiers (i.e. hors AEOI). Celles-ci ont augmenté de +46,5 % (+5 154,2 MUSD) en 10 ans et représentent aujourd’hui 22,2 % de la valeur de toutes les importations des pays de la zone. Au niveau régional, la valeur des échanges agricoles, agroalimentaires, forestiers et d’agrofournitures (somme des imports) intra-AEOI s’est élevée à 1 916,1 MUSD en 2020 (11,2 % des échanges « agricoles »). A l’inverse du grand export (i.e. hors de la zone AEOI), les produits échangés sont des produits liés à l’alimentation de base des populations comme les légumes, le riz, le sucre, les préparations alimentaires, le maïs et les produits laitiers.

Productions agricoles et habitudes alimentaires au sein de la région AEOI

En AEOI, les surfaces agricoles représentent 314 Mha (contre 166 Mha en UE), dont plus de 132 Mha de terres cultivées, le reste étant principalement valorisé sous la forme de pâturages. Les principales productions destinées à l’alimentation des populations locales sont : les céréales – qui représentent 133,9 MT en 2020 et 51,4 % des terres cultivées (67,8 Mha), parmi eux le maïs (24,4 MT), le riz (16,1 MT), le sorgho (10,1 MT) et le blé (6,8 MT) –, les tubercules – comme le manioc (19,9 MT pour 3,3 Mha) ou les pommes de terre (6,3 MT et 0,6 Mha) –, les légumineuses (12,9 MT pour 12,3 Mha) – majoritairement des haricots et des pois –, des fruits et légumes (91,5 MT pour 13,7 Mha) – principalement des bananes (10,0 MT pour 0,9 Mha), des bananes plantains (9,2 MT pour 2,2 Mha) et des patates douces (11,9 MT pour 1,5 Mha). A l’inverse, certaines productions sont des cultures de rente destinées à l’export et une entrée principale de devises comme la canne à sucre (28,9 MT), le thé (0,7 MT), le café (1,1 MT), la vanille et les épices. L’élevage est très présent dans la région et permet d’assurer la subsistance de populations souvent nomades et de valoriser des fourrages « grossiers » dans des terres arides : il constitue un apport de protéines et de lipides non négligeable. Le cheptel en AEOI représente près de 200 millions de bovins (plus de 2 fois le cheptel européen), 151 millions d’ovins et 194 millions de caprins. Dans les zones plus désertiques, l’élevage de chameaux est à souligner. La production annuelle de lait représente quant à elle un total estimé à 50,5 MT.

Au niveau des habitudes alimentaires, il convient de noter que ces dernières sont variables en fonction des pays considérés. On remarque une prédominance des céréales pour le Soudan, l’Ethiopie, le Kenya, et Madagascar, avec des particularités en fonction des pays : maïs/blé au Kenya, teff/maïs/blé en Ethiopie, sorgho/blé/millet au Soudan, riz à Madagascar. A l’inverse, la Tanzanie, l’Ouganda et le Rwanda sont davantage consommateurs de tubercules (manioc, pommes de terre, patates douces) avec des variabilités en fonction des pays. Ces disparités se retrouvent dans les spécialités culinaires propres à chaque pays.

En moyenne, en 2019, la situation alimentaire en AEOI permettait un apport disponible de 2310 kcal/hab/jour (3531 kcal/hab/jour en France). Les apports protéiques étaient de 61,5 g/hab/jour basés à 82 % sur des produits d’origine végétale (109,6 g/hab/jour et 41 % en France) et les apports lipidiques de 41,0 g/hab/jour basés à 73 % sur des produits d’origine végétale (151,4 g/hab/jour et 42 % en France). Ces chiffres témoignent de régimes alimentaires essentiellement composés de produits végétaux, en deçà des apports caloriques moyens au niveau mondial mais dans la moyenne africaine.