En tant que plus grand Etat archipel du monde et situé sur les grandes routes commerciales maritimes l’Indonésie possède tous les atouts pour être une puissance maritime, ce qui est l’un des objectif du Président Joko Widodo. Le secteur doit toutefois faire face à de nombreux défis, en particulier la mise à niveau des infrastructures et la protection des richesses environnementales. Actuellement, la gestion non durable des ressources et la pollution menacent directement les secteurs de la pêche et du tourisme. La coopération institutionnelle entre la France et l’Indonésie dans le secteur maritime est dense mais nos entreprises peinent encore à tirer parti de l’ensemble des opportunités offertes.

Indonésie maritime

 

La volonté politique de reconstruire une forte identité maritime

Située à la croisée des océans Indien et Pacifique, l’Indonésie occupe un emplacement maritime stratégique, 40% du trafic maritime mondial traversant ses eaux. L’environnement géopolitique régional est relativement stable, l’Indonésie n’ayant pas de contentieux territorial mais des désaccords quant à l’utilisation de la zone économique autour de l’archipel de Natuna. Les actes de piraterie restent fréquents, particulièrement dans le détroit de Malacca et la mer des Célèbes. Ainsi, avec une zone économique exclusive (ZEE) de plus de 6 millions de kilomètre carrés (6ème mondiale), 108 000 km de côtes et 17 000 îles, l’Indonésie dispose d’indéniables atouts pour être une puissance maritime.

La contribution à l’économie de l’ensemble du secteur était estimée à 280 Mds USD en 2013[1], soit près de 30% du PIB. Dès son élection en 2014, le président Joko Widodo a annoncé vouloir refaire[2] de l’Indonésie un Axe Maritime Global. Sa stratégie repose sur 5 piliers : (1) reconstruire l’identité maritime nationale, (2) rétablir la souveraineté sur l’exploitation des produits de la mer, (3) développer les infrastructures de transport pour favoriser le commerce et le tourisme, (4) éradiquer les sources de conflits telles la pêche illégale, la piraterie, les disputes territoriales et la pollution et enfin (5) renforcer la marine nationale.

 

Des opportunités pour les secteurs du transport, de la pêche et du tourisme

 Le transport maritime est un secteur clé pour développer le commerce international et réduire les inégalités inter-îles mais il est freiné par le manque d’infrastructures, en particulier dans l’est du pays. L’Indonésie n’a aucun port en eau profonde et seul Tanjung Priok (Jakarta) peut recevoir des bateaux de plus de 8000 TEU (les ultra-larges container ships, de plus en plus utilisé pour le fret international). Afin que ses ports ne soient pas progressivement exclus des routes internationales, l’Indonésie doit poursuivre le développement des infrastructures portuaires (ajouts et rénovations). Pour cela, le gouvernement a défini un National Port Master Plan. Sur la période 2015-2019, il a accompagné le développement d’une centaine de ports, notamment la modernisation du port du Jakarta (nouveau terminal conteneur en 2016, réduction de l’immobilisation des bateaux à quai de 7 à 3 jours, simplification des procédures administratives). Un programme de subvention pour le transport maritime (Sea Toll) a également été mis en place pour favoriser le développement des lignes domestiques et améliorer la connectivité des régions reculées et l’accès aux produits de base pour l’ensemble de la population. La faible attractivité aux yeux du secteur privé reste un important frein aux investissements dans le secteur portuaire. Des réformes et des projets d’infrastructures sont néanmoins en cours, soutenus par les bailleurs internationaux (prêt de politique publique BM-AFD-KfW de 900 M USD) et investisseurs étrangers (entreprises japonaises-JICA sur la construction du port en eau profonde de Patimban, Java Ouest).

 

Le secteur de la pêche emploie plus de 7 M d’indonésiens, contribue à 2,6% du PIB en 2018, et a fourni en moyenne 6,1 M tonnes de poisson par an entre 2013 et 2017 (2e producteur après la Chine). La croissance du secteur est menacée par la gestion non-durable des stocks (surexploitation de 50% des stocks, manque de données de recensement). Afin de limiter la surpêche, le gouvernement a lancé en 2014 une campagne massive de lutte contre la pêche illégale étrangère, réduisant celle-ci de 90% (539 vaisseaux coulés comme signal de dissuasion). En revanche, la surpêche opérée par les pêcheurs locaux a augmenté (expansion de la flotte domestique avec 2515 nouveaux bateaux pour créer de l’emploi dans les régions isolées). L’amélioration de la gestion des pêcheries générerait 3,3 Mds USD de recettes annuelles supplémentaires d’ici 10 ans par rapport à un scenario de maintien des pratiques actuelles, mais les lobbies restent puissants et freinent les réformes. L’aquaculture marine (dominée par les crevettes qui ont généré des exportations de 1,7 Md USD) et la culture des algues (la production nationale correspond à 35% de la production mondiale) sont aussi des filières en forte croissance.

World Bank IEQ pêche Indonésie 

Source : World Bank Indonesia Economic Quarterly, June 2019

 

Les 3,6 millions de km² de riches écosystèmes marins du pays, dont 20 M ha d’aires marines protégées (AMP), constituent de considérables puits de carbone et réservoirs de biodiversité[3]. Ce patrimoine naturel est générateur de revenus grâce au tourisme (3,1 Md USD par an pour le tourisme de récifs) en forte croissance (le nombre de touristes étrangers a triplé en 10 ans). Ce patrimoine naturel est également utile à l’atténuation des impacts du changement climatique, les mangroves par exemple participent à la réduction des émissions de GES et de l’érosion côtière) et des tsunamis.

Ces richesses naturelles et leurs bénéfices économiques sont toutefois directement mis en péril par les activités humaines et le réchauffement climatique (3 à 7% des écosystèmes disparaissent chaque année). En effet, l’Indonésie se classe deuxième émetteur mondial de déchets plastiques dans les océans derrière la Chine, avec des émissions estimées entre 500 000 et 1,3 million de tonnes par an. La majorité des mangroves du territoire sont endommagées et la moitié est en situation critique. Enfin, l’industrie (ex : pollution chimique par les industries textiles), l’extraction (ex : pollution des rivières par les mines d’or et de charbon à Kalimantan et en Papouasie, fuites de pétrole à Balikpapan en 2018 et de gaz dans la mer de Java en 2019) et la construction contribuent parfois à la dégradation de l’environnement marin faute de réglementation et de supervision. Conscientes des enjeux, les autorités ont récemment accru leurs efforts de conservation de l’environnement.

Indonésie fonds sous-marins tortue
Tortue de mer, fonds sous marins indonésiens

 

Une coopération franco-indonésienne à développer

La coopération institutionnelle entre la France et l’Indonésie dans le secteur maritime est déjà dense car la France dispose d’une expertise reconnue internationalement (deuxième plus grande ZEE, 20% des eaux couvertes par une AMP, éco-tourisme) dont peut bénéficier l’Indonésie. L’AFD a financé un projet de gestion durable des ressources halieutiques et de lutte contre la pêche illégale (INDESO, 2013-2017), réalisé par CLS Argos. Elle a aussi octroyé deux prêts de politique publique à l’Indonésie en 2017 et 2018 pour son programme de réforme sectorielle du transport maritime et logistique. Ce prêt s’est accompagné d’un programme d’assistance technique avec le Grand Port Maritime du Havre comportant des voyages d’étude au Havre et des formations portuaires à Jakarta. Le BMKG, l’agence de météorologie indonésienne, travaille avec le Trésor et l’AFD pour moderniser ses systèmes de prévision de météorologie marine. Ces investissements bénéficient directement à de nombreux secteurs liés au maritime : le transport, la pêche, l’agriculture, l’industrie pétrolière et gazière et le tourisme. L’AFD soutient aussi le LIPI afin de renforcer les compétences et les équipements de recherches pour une gestion durable des ressources naturelles en milieu marin.

Les entreprises françaises sont présentes dans le secteur maritime mais leur empreinte demeure limitée en regard du potentiel offert par le pays. L’activité de fret des transporteurs CMA-CGM et LDA, connaît une forte croissance. CMA-CGM est par ailleurs la seule compagnie à avoir établi une ligne desservie par un ultra-large container ship (la JAX : Java American Express) et a inauguré le 30 septembre 2019 un nouveau centre logistique à Jakarta pour renforcer ses activités. Pour les ports, Gaussin Manugistique a fourni les équipements de manutention électrique et contribué au plan de développement du port de Surabaya. Les entreprises françaises accompagnent aussi les efforts de l’Indonésie dans la lutte contre les déchets : Danone Aqua, leader de l’eau en bouteille, est très impliquée dans le recyclage des déchets plastiques, avec l’objectif d’ici 2025 de renforcer la collecte des déchets et d’utiliser 50% de plastique recyclé dans ses bouteilles. Veolia Indonesia, est actuellement en phase de construction d’une usine de recyclage qui pourra traiter jusqu’à 25 000 tonnes de bouteilles par an près de Surabaya (mise en service prévue début 2020). D’autres activités liées au secteur maritime sont encore peu développées en Indonésie, comme les énergies renouvelables marines (le potentiel du pays est estimé à 61 GW) ou la sécurité et la communication maritime (accidents de bateaux réguliers : au moins 34 décès dans le naufrage d’un ferry en  juillet 2018, 30 disparus dans le naufrage d’un bateau de pêche en août 2019), et offrent d’importantes opportunités pour nos entreprises.

 

Indonésie bateau traditionnel

Bateau traditionnel indonésien à Bali



[1] Incluant les secteurs suivant : construction et industries (35 et 26%), pêche et aquaculture (11%), ressources minérales et hydrocarbure (16%), tourisme maritime (10%), transport (1%) et défense (<1%).

[2] Les anciens royaumes Sriwijaya (8-12ème siècle) et Majapahit (13-15ème siècle) étaient des puissances maritimes.

[3] Les eaux indonésiennes couvrent la majorité du Triangle de Corail où se trouvent 76% des espèces de corail et 37% des espèces de poissons de récifs, tandis que les mangroves atténuent les impacts du changement climatique et des tsunamis.