Le système de retraite mexicain (en fait formé de plus de 1 000 sous-systèmes distincts) représente un poids croissant pour l’économie mexicaine (les dépenses publiques pour les retraites représentent 3,9% du PIB en 2018, contre 2,7% au début de sexennat d’Enrique Peña Nieto, en 2012). Malgré les réformes de 1997 pour le secteur privé et de 2007 pour le secteur public, ce coût ne cesse d’augmenter et ce, malgré la faiblesse et l’inégalité des prestations : le taux de remplacement au Mexique (29,6%) est le plus faible de l’OCDE ; seuls 31 % des Mexicains cotisent suffisamment pour recevoir une retraite ; 2,5 millions d’individus ne bénéficient d’aucune pension.

Le nouveau Président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a annoncé la mise en place à court terme d’une pension universelle (sur le modèle de ce qu’il avait entrepris pour la ville de Mexico en 2000) et une flexibilisation du régime d’investissement des fonds de retraite (Afores). Il a également fait part de sa volonté d’entreprendre une réforme du système des retraites (dont le contenu reste à préciser) en seconde partie de son mandat.

1. Le système de retraites mexicain : un système complexe et inégal

a) Un système en transition

Le Mexique est passé d’un système de retraite par répartition à un système par comptes individuels en 1997 pour le secteur privé et en 2007 pour le secteur public. Le deuxième système est obligatoire pour les individus entrant sur le marché du travail après la réforme ; pour les autres, le choix leur est donné quant au système qu’ils souhaitent utiliser. Il convient de noter que la majorité a choisi de rester dans le système initial, plus avantageux[1]. Par conséquent et en dépit des réformes, l’ancien système concerne toujours 90% des retraites actuelles.

Ce phénomène entraîne une longue période de transition. Si le nouveau système est essentiellement autofinancé, l’ancien s’appuie sur des transferts intergénérationnels (les cotisations prélevées sur la population active alimentent les pensions de retraite versées au même moment). La génération post-réforme subit ainsi une forte pression : ils cotisent pour eux-mêmes et pour financer le système précédent. La fin de ce système est estimée à 2090 par l’Institut Mexicain de Sécurité Sociale (IMSS).

b) Un système divers et inégal

Il n’existe pas de système de retraite commun, mais plus de 1 000 sous-systèmes, ayant leurs propres taux de cotisation et de remplacement, règles, incitations fiscales, conditions et bénéfices. Cependant, la majorité des retraites sont gérées par 4 institutions : l’IMSS pour le secteur privé, l’Institut de sécurité et services sociaux pour les travailleurs de l’Etat (ISSSTE) pour le secteur public, l’Institut de sécurité sociale pour les forces armées du Mexique (ISSFAM), et le pétrolier mexicain Pemex.

Ce manque d’homogénéisation créé de fortes inégalités. Le taux de cotisation diffère selon les institutions (6,5% pour l’IMSS, 11,3% pour l’ISSTE, 16,7% pour CFE et 23% pour PEMEX) de même que le taux de remplacement et les conditions de départ à la retraite : pour les retraités affiliés à l’IMSS, la pension de retraite est calculée à partir des cinq dernières années de salaire et peut atteindre jusqu’à 25 salaires minimums ; s’agissant de l’ISSSTE, seule la dernière année de salaire est prise en compte et le montant de la retraite est plafonné à 10 salaires minimums. Les employés des entreprises paraétatiques (environ 160 000 retraités) comme PEMEX, CFE (Commission Fédérale de l’Electricité) ou encore LyFC (Luy y Fuerza del Centro, dissoute en 2009) bénéficient de pensions souvent qualifiées « de luxe », respectivement 8,8 ; 6,7 et 11,3 fois plus élevées que celles des salariés affiliés à l’IMSS.

2. Un système financièrement et socialement non viable 

Outre les inégalités créées par les différents systèmes de retraite, des problèmes structurels pèsent sur le système de pension, notamment dans un contexte de vieillissement de la population :

a) L’absence ou la faiblesse des retraites

Tous les individus n’ont pas accès au système de retraite : parmi les 9,5 millions de Mexicains de 65 ans ou plus, seuls 3 millions (soit 31% de la population) cotisent suffisamment pour recevoir une retraite dite « contributive »[2]. La part du travail informel (57% des actifs) et les allers-retours entre économie formelle et informelle génèrent des défauts de contributions conséquents. Selon le FMI, dans le système actuel, 64 % des travailleurs du secteur privé et 27 % du secteur public ne cotiseront pas suffisamment pour recevoir une pension. Les individus de 65 ans les plus pauvres (touchant une retraite inférieure à 56 USD/mois) sont éligibles à un système de retraite non-contributif (Programa de Pensión para Adultos Mayores), qui octroie une pension mensuelle de 30 USD/mois. En dépit de l’existence de ce programme, 2,5 millions de Mexicains ne reçoivent aucun type de pension ; ces derniers bien qu’éligibles ne s’inscriraient pas au programme, notamment à cause du montant faible de la pension versée, des difficultés bureaucratiques, ou de leur d’isolement géographique selon la Commission Nationale du Système d’Epargne pour la Retraite (CONSAR).

Pour ceux qui reçoivent une retraite, le taux de remplacement moyen perçu est faible. Le Mexique est le pays de l’OCDE avec le taux de remplacement net le plus faible. Il est de plus estimé que, sans réforme, les taux de remplacement vont chuter suite à la transition entre les deux systèmes. Aujourd’hui, un retraité mexicain touche en moyenne 347 USD/mois si c’est un homme et 270 USD/mois si c’est une femme.

Ces faibles retraites s’expliquent par le faible taux de contribution, également parmi les plus faibles de l’OCDE. Selon l’OCDE, un taux de contribution de 6,5% (celui de l’IMSS), peut générer, en étant financièrement viable, un taux de remplacement de 26% pour le travailleur moyen. Le taux de pauvreté des personnes âgées du Mexique dépasse ainsi 30%, soit le deuxième taux le plus haut des pays de l’OCDE (derrière la Corée du Sud) et un taux supérieur au taux de pauvreté pour la population totale[3].

 b) Un poids croissant pour les finances publiques 

Les dépenses publiques liées aux retraites représentent un poids très important : près de 50 Mds USD sont consacrés aux retraites dans le budget 2019 présenté par AMLO le 15 décembre dernier (+18,1% par rapport au budget approuvé en 2018), soit près de 17% des dépenses totales du budget. Ce montant, le plus élevé jamais enregistré pour le paiement des retraites, représente 3,9% du PIB – chiffre qui pourrait atteindre 5,5% dans les 15 prochaines années en l’absence de réforme. Ce montant est d’autant plus inquiétant que sa trajectoire d’augmentation est rapide : le paiement des retraites représentait moins de 1% du PIB en 2001.

Le poids des retraites est amené à augmenter compte tenu du vieillissement de la population. Le Mexique a connu une amélioration constante de l'espérance de vie et une très forte baisse des taux de fécondité au cours des dernières années. La population âgée de plus de 65 ans a presque doublé tous les 20 ans, même si sa croissance devrait ralentir après 2030. Elle devrait passer de 3,7 millions en 1990 à 31,5 millions en 2050, soit un taux de croissance annuel moyen de 3,6% contre 1,0% pour la population totale. On assiste en conséquence à une modification du rapport de dépendance démographique des personnes âgées (soit le nombre de plus de 65 ans par rapport au nombre de 15-64 ans, population en âge de travailler) : aujourd’hui, on estime qu’il existe 10,94 personnes âgées pour 100 personnes en âge de travailler ; ce chiffre devrait atteindre 25,73 pour 100 en 2050.

Selon la CONSAR, le coût budgétaire des retraites des principales institutions (IMSS, ISSSTE, PEMEX, CFE) pourrait quadrupler d’ici à 2040. En 2018, 39 Mds USD ont été dédiés au paiement des pensions de ces institutions et ce chiffre pourrait atteindre 148 Mds USD en 2040.

c) Un manque de transparence

Enfin, certains experts, et notamment le think-tank CIEP (Centre de recherches économiques et budgétaires) dénoncent des problèmes importants en matière de transparence et de fiabilité de l’information relative aux systèmes de retraite. Selon ces derniers, une séparation financière et légale plus claire entre le système de sécurité sociale et les institutions de fonds de pension est nécessaire.

Dû à ce manque d’information, il existe des cas de retraites surévaluées, fruits d’ententes illégales entre entreprises et syndicats (bien que la population concernée soit minime), financées en majorité par PEMEX, l’IMSS et la CFE. Selon El Financiero, il s’agirait de l’une des causes principales du déficit de PEMEX.

3. Le nouveau Gouvernement souhaite s’attaquer au problème des retraites en commençant par la mise en place d’une retraite universelle et la diversification des investissements des fonds de pension.

a) Pension universelle et flexibilisation du régime d’investissement des fonds de pension

La première mesure prise par le nouveau Président est la mise en place d’une retraite universelle, sur le modèle de celle mise en place dans la ville de Mexico lorsqu’il en était gouverneur. Celle-ci viendra remplacer les programmes actuels et doublera le montant des aides ; elle sera versée sans conditions de revenus. Les retraités toucheront désormais une pension de 1 200 pesos mensuels, soit le double de la pension actuelle (580 pesos) ; l’âge minimum pour l’accès à cette aide est en revanche relevé à 68 ans (contre 65 actuellement), à l’exception des peuples indigènes qui pourront toujours en bénéficier dès 65 ans – mesure appliquée dès le 1er janvier 2019[4]. Le budget approuvé pour 2019 prévoit une augmentation de 150% des ressources dédiées à ces aides, passant de 2 Mds USD à 5 Mds USD – ce qui devrait permettre à 6,5 M de retraités mexicains de recevoir cette pension ; les ressources budgétées ne permettent en revanche pas de verser cette pension à 8 millions de bénéficiaires, comme initialement annoncé par le Président. Cette mesure a globalement suscité des réactions positives, bien que certaines critiques demeurent quant à l’effet d’aubaine lié au caractère universel de la prestation : même les plus riches pourront en bénéficier.

Après l’initiative législative demeurée sans suite de nationaliser les fonds de retraites (Afores) présentée par le Parti des Travailleurs en novembre dernier,  le Gouvernement a annoncé en janvier une réforme du régime d’investissement des Afores, avec le double objectif de flexibiliser et diversifier les investissements des Afores, et dans le même temps, de façon potentiellement contradictoire, d’inciter ces derniers à investir davantage dans les projets dits « d’infrastructure productive ». L’objectif est de permettre aux Afores de diversifier leurs investissements (alors que ces derniers investissent pour l’instant 50% de leurs ressources en moyenne en titres de dette publique), et d’améliorer leur rendement (négatif en 2018, à -0,34%), grâce à un accès à une gamme élargie de produits financiers. Les détails et les modalités de ce changement de régime restent encore à préciser.

b) Une réforme plus profonde annoncée pour la seconde moitié du mandat

Le Gouvernement a par ailleurs annoncé vouloir réformer le système de retraite plus en profondeur dans la seconde partie de son mandat. Le contenu de cette réforme n’a pas encore été explicité mais plusieurs mesures ont été avancées, comme une possible augmentation de l’âge de la retraite, une hausse des contributions ou encore la mise en place de mécanismes pour encourager l’épargne volontaire.

La plupart des experts s’accorde pour recommander une augmentation du taux de contribution. Il s’agit notamment de l’une des recommandations du FMI, qui précise cependant que celle-ci doit être réalisée de façon graduelle et de manière à ne pas représenter un frein à l’entrée dans le secteur formel. L’institut Mexicain des Cadres Financiers (IMEF) recommande une augmentation du taux de cotisation de 6,5% à 13,5%.

L’IMEF et l’OCDE ont proposé une homogénéisation du système de retraite. Dans le plan de l’IMEF, cette homogénéisation passerait par la création d’un Institut National des Retraites (INP), organisme indépendant et autonome. Enfin, une augmentation générale de l’âge de la retraite est également évoquée.

Le système de retraite actuel, complexe et inégal, fait face à des problèmes structurels : il pèse de plus en plus sur les finances publiques du pays, alors même que les prestations sont faibles et que le pays fait face à une forte pauvreté des personnes âgées, dans un contexte de vieillissement de la population. Face à ce constat, de nombreux experts (FMI, OCDE mais aussi institutions mexicaines) préconisent une réforme du système actuel, notamment pour augmenter les taux de contributions et par conséquent, les taux de remplacement des retraites. Si le gouvernement a manifesté une volonté de mettre en place une réforme en seconde partie de mandat, le contenu de celle-ci n’est pas encore connu en détails. Seules deux mesures ont déjà été annoncées : l’instauration d’une retraite universelle pour tous les plus de 68 ans et une réforme du régime d’investissement des Afores.

 



[1] Entre 2003 et 2014, moins d’1% des travailleurs ont choisi le système par comptes individuels.

[2] Pension de retraite accordée en contreparte de cotisations. Elle s’oppose aux pensions dites « non-contributives », généralement faibles en montant et réservées aux populations les plus pauvres.

[3] Ici, le taux de pauvreté est calculé comme la part de la population ayant des revenus inférieurs à la moitié du salaire médian. Ce taux est autour de 17% pour la population totale.

[4] L’aide sera cependant maintenue pour les retraités entre 65 et 68 ans qui bénéficient déjà du programme.