La zone économique du Canal de Suez
L’Autorité Générale pour la Zone Economique du Canal de Suez, ou SC Zone, a été établie par le décret présidentiel 330/2015 du 09/08/2015, quatre jours après l’inauguration du doublement partiel du canal de Suez (72 km sur 193). Comme ce chantier, elle fait partie des mégaprojets décidés par le président Sissi pour relancer le développement économique de l’Egypte. L’objectif ambitieux affiché par les autorités est de concentrer 30% de l’activité économique de l’Egypte, de générer 100 Mds $ / an de recettes annuelles pour l’Etat, de créer 1 million d’emplois nouveaux, d’accueillir deux millions de nouveaux résidents pour devenir une des sept plus grandes zones économiques mondiales à l’horizon 2035.
Une localisation stratégique et des procédures simplifiées
La SCZ doit compléter l’activité de l’Autorité du Canal de Suez (SCA) afin que le Canal ne soit plus uniquement une zone de transit mais une zone d’activité économique en concurrence avec des acteurs bien établis (Jebel Ali aux Emirats Arabes Unis, Tanger-Med au Maroc) ainsi qu’avec de nouveaux projets (King Abdullah Economic City en Arabie Saoudite). L’attrait principal de la SC Zone est sa localisation, sur un axe maritime qui joint trois continents et voit passer chaque année près de 10% du commerce mondial de marchandises (18.000 navires par an en moyenne). En vertu des accords de libre-échange signés par l’Egypte, elle offre un accès préférentiel à près de 1,8 Md de clients en Europe (accord d’association), en Asie (accord de libre-échange bilatéral avec la Turquie), dans le monde arabe (GAFTA et accords d’Agadir) et en Afrique (accord de fusion du COMESA, EAC et SADC signé en juin 2015).
Afin de faciliter l’arrivée d’investisseurs étrangers, il est prévu que l’essentiel des procédures soient réalisées auprès du guichet unique de la SCZ (attribution de licences et terrains, résolution des conflits). La SCZ dispose également de prérogatives pour négocier en direct les exemptions de taxes et impositions, ainsi que les garanties sur les prix de l’énergie pour les projets majeurs. Afin de simplifier et clarifier la réglementation applicable dans la SCZ, la BERD doit lancer début 2019 le programme d’appui Regulatory Experts - Support for the Development of the Suez Canal Economic Zone in Egypt.
Deux zones industrielles et portuaires au cœur du projet : East Port-Saïd et Aïn Sokhna
East Port Said est un port en eau profonde à l’embouchure méditerranéenne du canal. Le site n’abrite actuellement qu’un terminal-conteneur opéré par Maersk (1500 porte-conteneurs par an) mais les infrastructures portuaires doivent être complétées par un deuxième terminal-conteneur, un terminal roulier (RoRo) et un terminal vraquier pour lesquels des signatures sont attendues en 2019 et 2020. Le port doit accompagner le développement de l’activité du projet de zone industrielle de 75 km².
Cette zone industrielle doit être principalement portée par la zone industrielle russe (RIZ) pour lequel un accord a été signé le 23 mai 2018 par les ministres de l’Industrie et du Commerce russe et égyptien. Il prévoit l’établissement d’une zone industrielle et résidentielle de 525 hectares avec un bail de 50 ans pour un investissement russe initial de 190 M USD pour la première phase (2019-2032) qui s’étendra sur une centaine d’hectares. Les investisseurs russes avec qui des négociations auraient été lancées opèrent dans le secteur de l’automobile, le matériel ferroviaire, le matériel agricole, la pharmaceutique et le numérique.
Au sud du Canal, la zone intégrée d’Ain Sokhna, bien plus vaste avec 210 km² dédiés doit accueillir des industries légères, moyennes et lourdes, des activités de services au transport maritime et à l’industrie navale ainsi que des projets immobiliers touristiques. Le port, exploité par l’émirati DP World, doit notamment être doté d’un deuxième terminal-conteneur, dont la construction par CHEC (China Harbour Engineering Company) a débuté en mai 2018.
Le développement de la zone d’Aïn Sokhna s’appuie sur le projet préexistant de zone industrielle chinoise de TEDA (Tianjin Economic-Technological Development Area), établie en 2012 et inscrite depuis dans la stratégie des Nouvelles Routes de la Soie. En 2017, près de 70 sociétés y étaient installées. On y trouve des acteurs de l’industrie de machinerie (comme le groupe Jaingsu Shepherd), des producteurs d’appareils électriques (West Power Company), une usine de fibres de verre (Jushi), ou encore des entreprises du secteur pétrolier (Sichuan Honghua). Les produits manufacturés dans la zone économique spéciale de TEDA sont majoritairement destinés à l'exportation.
L’autre projet phare de la zone d’Aïn Sokhna est celui du complexe pétrochimique Tahrir Petrochemicals Complex (11 Mds USD), premier projet pétrochimique privé d’Egypte, pour lequel un accord préliminaire a été signé en juin 2018 entre les sociétés Carbon Holdings (Egypte) et Bechtel (Etats-Unis). Ce projet doit représenter à terme un quart des exportations égyptiennes de produits pétrochimiques pour une production annuelle de 4 Mt. D’autres investisseurs locaux seraient également en discussion avec la SCZ pour le développement de la métallurgie (Egyptian Steel) et la production de matériel électrique (El Sewedy).
Des zones de développement économique et résidentiel complémentaires
En complément de ces deux zones, deux zones industrielles spécialisées, West Qantara (agroalimentaire) et East Ismaïlia (TIC et services commerciaux) sont également programmées. Quatre ports doivent également être modernisés afin de se spécialiser : West Port Saïd (activités de transbordement), Adabiya (terminaux vraquiers), Al Tor (terminaux vraquiers) et Al Arish (pêche et industries lourdes). Enfin, le projet plusieurs fois repoussé de création d’un port sec dans la ville de 10th of Ramadan (nord-est du Caire mais intégré à la SCZ) doit permettre de créer un pivot logistique entre le nord du Canal de Suez – nord Sinaï et la zone du grand Caire.
Le peuplement de la zone, s’il s’appuie sur les villes existantes sur la rive occidentale, Port Saïd (600 000 hab), Ismaïlia (750 000 hab), Suez (500 000 hab) et Ain Sokhna (45 000 hab), doit également passer par la construction de deux villes nouvelles sur la rive orientale du Canal, East Port Saïd et New Ismaïlia (1 M d’habitants chacune à l’horizon 2030). La construction de logements et de bâtiments administratifs a déjà débuté à New Ismaïlia.
Le défi du développement des infrastructures de base
L’aménagement du territoire de la SCZ reste un enjeu majeur de son développement, notamment pour la rive orientale. La construction de réseaux routiers, ferroviaires, électriques et d’approvisionnement en eau est nécessaire et programmé pour permettre l’avènement d’un écosystème d’affaires en dehors des grandes zones autonomes (RIZ, TEDA, Tahrir Petrochemicals). La priorité a été accordée dans un premier temps au franchissement du Canal avec l’ouverture de quatre tunnels routiers prévue pour 2019 dans les zones de Port-Saïd et d’Ismaïlia, en complément du pont routier d’Al Qantara, actuellement unique moyen de franchissement en dehors de la navigation.