Avec une population croissante (94 M d’habitants en 2017 et plus de 150 M d’ici 2050) et une consommation totale qui avoisine actuellement les 80 mds m³ par an, la ressource en eau est l’un des défis de l’économie égyptienne, qui dépend à 70 % du Nil pour son approvisionnement. Selon la FAO, le pays devrait atteindre le seuil du stress hydrique absolu (moins de 500 m³/hab./an) d’ici 2030. Le Président Sissi en a fait l’une des priorités de son second mandat : la stratégie nationale 2017-2030-2037 a été présentée en octobre 2018 à l’occasion de la 1ère « Cairo Water Week ».

Les ressources en eau de l’Egypte dépendent à plus de 70% du Nil, partagé avec 11 pays . L’accord sur le partage des eaux du Nil, signé en 1959 entre l’Egypte et le Soudan (mais non reconnu par les pays amont) attribue à l’Égypte un quota annuel de 55,5 mds m³ (soit 75% du débit annuel ). Ce quota est dépassé dans les usages depuis de nombreuses années en raison de la sous-consommation du Soudan, et ce sont en réalité près de 65 mds m³/an qui alimentent le barrage d’Assouan.

C’est dans ce contexte que l’Éthiopie a entamé en 2011 la construction du gigantesque barrage « de la Renaissance » sur le Nil Bleu (affluent d’où proviennent 70% des volumes d’eau qui arrivent en Egypte) et d’une centrale hydroélectrique d’une capacité de 6,45 GW. Le remplissage doit débuter en 2019 pour une période d’environ sept ans, selon les dernières discussions tripartites entre l’Ethiopie, le Soudan et l’Egypte. La capacité du bassin de rétention de 74 mds m³ devrait retenir jusqu’à 10 mds m³ par an sur le quota égyptien pendant le temps de remplissage. Les trois pays se sont engagés à résoudre leurs différends de façon pacifique en vertu de l’accord de Khartoum du 23 mars 2015 mais les tensions subsistent, principalement sur la question non-réglée du délai de remplissage, que l’Egypte voudrait voir étendu à onze années.

Trois ministères sont responsables de la gestion des ressources en eau : le ministère de l’Eau et de l’Irrigation, le ministère de l’Agriculture, et le ministère de l’Habitat et des Communautés urbaines (pour le volet assainissement). La régulation du secteur est assurée par l’Agence égyptienne de régulation de l’eau (EWRA), placée sous la tutelle du ministère de l’Habitat. Au sein de ce même ministère, la Holding Company for Water and Wastewater (HCWW) regroupe les 25 filiales qui sont en charge de l’exploitation et de la maintenance des infrastructures pour l’eau et l’assainissement à l’échelle des gouvernorats (sauf pour le Caire et Alexandrie où il existe une société filiale pour chaque domaine).

La planification et la réalisation d’infrastructures est effectuée par deux agences exécutives : l’Autorité de construction pour l’eau potable et l’assainissement (CAPW) dans les gouvernorats du Caire et d’Alexandrie, et l’Organisation nationale pour l’eau potable et le drainage sanitaire (NOPWASD) dans les autres gouvernorats.

Le ministère de l’Eau et de l’Irrigation a établi en 2005 des estimations des quantités d’eau qui pourraient être accessibles :

  • 1 milliard de m³ par an pourraient être récupérés de la collecte des eaux de pluies et des crues subites ;
  • La réutilisation des eaux de drainage pourrait être augmentée de 4,7 à 9 mds m³/an ;
  • L’extraction des nappes phréatiques profondes (aquifère nubien ) pourrait être augmentée 0,57 à 3,5 mds m³/an ;
  • L’extraction des eaux souterraines peu profondes dans le delta et la vallée du Nil pourrait augmenter de 4,8 à 7,5 mds m³/an ;
  • La réutilisation des eaux usées traitées pourrait augmenter de 0,7 à 2 mds m³/an ;
  • Le dessalement de l’eau de mer n’était à l’époque pas chiffré dans les objectifs mais néanmoins évoqué.

Ces estimations sont datées et les progrès technologiques, les évolutions démographiques et le changement climatique les invalident déjà en partie, mais elles donnent un ordre de grandeur des pistes explorées par le gouvernement pour pallier à la crise hydrique. La stratégie 2017-2030-2037 présentée lors de la Cairo Water Week reprend d’ailleurs en grande partie ces pistes. A ce jour, peu d’avancées ont été constatées concernant la collecte des eaux de pluie et la réutilisation des eaux de drainage ou des eaux usées. Il en est de même pour la limitation des pertes en eau dues aux défaillances des réseaux (estimées au minimum à 35% du volume total sur le réseau du Grand Caire). La rénovation des réseaux de distribution est également un enjeu de santé publique : selon l’ECESR (Egyptian Center for Economic and Social Rights), environ 95% de la population égyptienne accède à de l’eau non suffisamment traitée.

 

Le dessalement : un objectif de plus d’1 M de m³ d’eau potable produite par jour d’ici 2037

En Egypte, le dessalement a été initialement porté par des acteurs privés et des autorités locales (gouvernorats) , principalement sous la forme d’unités de dessalement par osmose inverse (filtrage) dans les zones touristiques côtières isolées et les bases militaires. Les fournisseurs de solutions d’osmose inverse, de cogénération (utilisation commune de la chaleur des centrales thermiques pour la production d’électricité et le dessalement) et stations dédiées (distillation) sont positionnés sur le marché depuis le début des années 2010, notamment Acciona (Espagne), SWCC (Arabie Saoudite) et les japonais de BHK. Orascom et Arab Contractors sont les principaux acteurs locaux de la construction des usines de dessalement.

Les progrès technologiques, qui ont fortement réduit le coût des unités de dessalement (le prix des équipements principaux aurait été divisé par 10 en vingt ans), et le coût de l’énergie fortement subventionné ont poussé le gouvernement à investir dans le dessalement à grande échelle. L’objectif de production d’eau potable par dessalement présenté par HCWW en 2015 était ainsi de plus d’1 M m³ par jour à l’horizon 2037. En 2018, les capacités de dessalement sont de 235 600 m³/j, soit moins de 0,1% de la consommation quotidienne d’eau (environ 250 M m³/j). Si l’ensemble des projets annoncés sont réalisés, ce chiffre devrait s’élever à 473 000 m³/j, bien qu’aucune date ne soit donnée pour le passage de ce cap.

 

Mise à niveau des STEP (stations d’épuration) et recyclage des eaux usées

Le constat suivant a été fait en 2011 par les autorités égyptiennes : sur les 7 mds m³ d’eau potable produits par an en Egypte pour la consommation domestique, environ 3,7 mds m³ d’eaux usées collectées en sortie n’étaient pas traitées mais relâchées directement dans le réseau de drainage. Près de 2,4 mds de m³ bénéficiaient d’un traitement secondaire , 0,9 md m³ d’un traitement primaire et 68 M m³ d’un traitement tertiaire . Des 3,3 mds m³ traités, seuls 0,3 md m³ étaient recyclés dans l’agriculture ou l’industrie alors que le reste était relâché dans le réseau national de drainage, soit un usage sous-optimal des ressources qui s’explique en partie par la qualité insuffisante des eaux usées même après traitement. C’est sur cette base que la stratégie de mise à niveau des STEP a été élaborée. Au vu du coût élevé d’une mise à niveau générale (environ 19 mds € sur vingt ans), l’arbitrage final a décidé la mise à niveau des stations de traitement primaire vers un dispositif de traitement secondaire d’ici 2030 pour atteindre les 11 mds m³ traités, soit la quasi-totalité des eaux usées produites. Poursuivre la mise à niveau vers un réseau de traitement tertiaire permettrait de rediriger vers l’agriculture l’eau habituellement relâchée dans le réseau de drainage et de se conformer aux standards européens pour les importations agricoles.

Plusieurs projets de stations d’épuration emblématiques ont été réalisés dans le cadre de cette stratégie : au Caire, les capacités de la station de Gabal El Asfar ont été étendues à 2,5 M m³/j. Il s’agit désormais de la plus grande station d’épuration du continent africain (3ème à l’échelle mondiale). Une 3ème phase de travaux est envisagée pour porter la capacité totale à 3,5 M m³/j. Enfin, sur financements de l’AFD, d’autres projets sont engagés comme la construction d’une unité de traitement des boues dans la station d’Alexandrie Est (95,8 M€). Cette unité devrait permettre de réduire la quantité de boues produites, d’assurer une autonomie partielle en énergie de la station d’épuration (110 000 à 160 000kWh/jour soit 60 à 70% des besoins en électricité) et d’améliorer le taux de siccité (la part de matières sèches incinérables) des boues produites (80%) afin de permettre leur vente en combustible pour les fours industriels (cimenteries principalement).