Éire Éco - Avril 2018
Macroéconomie
Croissance du PIB – La première estimation du PIB pour 2017 fait état d’une croissance réelle de +7,8% (après +5,1% en 2016), pour un montant nominal de 297 Mds€. L’Irlande se positionne ainsi comme l’économie européenne la plus dynamique pour la quatrième année consécutive. Ces chiffres demeurent cependant toujours affectés par d’importantes distortions causées par l’activité des multinationales, les économistes estimant que la « vraie » croissance se situe autour de 5%. 2017 se caractérise par une forte contraction de la FBCF (-22%), reflétant une moindre localisation de brevets de propriété intellectuelle en Irlande par rapport à 2016, bien que le niveau reste élevé. La contribution du commerce extérieur net à la croissance du PIB est positive (+2,3pp), en raison de la diminution des importations de brevets, de l’augmentation des exportations de services informatiques (+15%), ainsi que d’une augmentation des royalties perçues (liée à l’augmentation massive du stock de brevets en 2015-2016) et d’une diminution des royalties payées. La demande domestique modifiée (corrigée du leasing aéronautique et des importations de brevets pour mieux refleter la situation de l’économie réelle) reste robuste mais ralentit, avec une progression de +3,9% en volume en 2017. L’acquis de croissance pour 2018 s’établit à +5,4%.
Activité économique – Le PMI manufacturier s’établit à 54,1 en mars, en repli pour le troisième mois consécutif. Bien que traduisant toujours une activité en expansion, le PMI manufacturier est à son plus bas niveau depuis octobre 2016. La principale raison résiderait dans les mauvaises conditions climatiques du mois de mars (tempête Emma notamment) qui auraient perturbé les chaînes de production. Les commandes ont néanmoins continué de croître en mars, renforçant les prévisions selon lesquelles ce « creux » n’est que temporaire. Le PMI des services connait lui aussi une nouvelle baisse en mars tout en demeurant robuste, passant de 57,2 à 56,5 – son niveau le plus faible en 4 mois.
Chômage – Le taux de chômage est resté stable en Irlande en mars 2018, à 6,1% (contre 7% en mars 2017) – bien en dessous de la moyenne de la zone euro (8,5%). Malgré un taux stable, le nombre de chômeurs a diminué de -1 900, passant ainsi de 146 300 en février à 144 400 en mars. Alors que l’émigration avait contribué à limiter la montée du chômage durant la crise financière, l’amélioration rapide du marché du travail irlandais ces dernières années attire de nouveau. Selon les estimation les plus récentes, l’immigration nette a atteint +19 800 en avril 2017 (en g.a.), contre +16 200 en 2016. Le taux de chômage des jeunes demeure élevé mais diminue cependant, à 12,5% en mars contre 12,7% le mois précédent.
Immobilier locatif – Selon les derniers chiffres publiés par le Conseil des locations résidentielles irlandais (RTB), les loyers ont affiché une forte hausse en 2017, de +6,4% au quatrième trimestre en g.a cvs. L’instauration, il y a un an, d’un plafonnement des hausses de loyers à 4% par an dans les zones dites « sous pression » n’a eu que peu d’effet sur le marché locatif : l’inflation a ainsi atteint +5,2% à Dublin, +7,5% en banlieue de Dublin, +5,2% à Cork et +8,5% à Galway. Si le plafonnement a pu bénéficier aux locataires existants, les nouveaux locataires semblent avoir été négativement impactés : l’asymétrie d’information entre les nouveaux locataires et les propriétaires permet à ces derniers d’augmenter le loyer bien au-delà de la limite légale car il est difficile pour un nouveau locataire de connaitre le loyer appliqué précédemment. L’absence de recours possibles pour les locataires ainsi que la forte demande relativement à l’offre limitée entretiennent la crise du logement. Par ailleurs, selon Davy Research, le plafonnement de la hausse des loyers aurait deux effets pervers : il réduirait la liquidité du marché locatif (les locataires ayant intérêt à ne pas déménager pour ne pas s’exposer à des augmentations excessives de leur loyer) et inciterait les propriétaires à appliquer des loyers plus élevés lors de la signature d’un bail avec un nouveau locataire.
Ventes au détail – Les ventes au détail étaient en hausse de +2,0% en février en g.a. cvs, malgré une contraction de 3% des ventes automobiles – les consommateurs irlandais profitant de la faiblesse de la livre sterling pour acheter leurs voitures au Royaume-Uni. Hors automobiles, les ventes au détail ont fortement augmenté, de +6,3%. Là encore, la hausse des ventes de détail provient principalement de la dépréciation de la livre sterling par rapport à l’euro qui a bénéficié au pouvoir d’achat des ménages irlandais. Les baisses de prix les plus importantes ont été observées dans les grandes surfaces (-4,4%), sur les produits pharmaceutiques (-4,3%), sur le mobilier et les luminaires (-6,2%) et sur les produits électriques (-12,2%).
Investissement et compétitivité
Commerce extérieur – La balance commerciale irlandaise reste début 2018 sur sa lancée de 2017, avec des exportations atteignant plus de 12,3 Mds€ en janvier (+15,7% par rapport à décembre 2017) – un record historique. Parallèlement, les exportations ont diminué de -1,7%, à 6,8 Mds€. L’Irlande a ainsi affiché un excédent record de +5,5 Mds€ en janvier (cvs). Le Brexit ne semble pas avoir eu d’impact significatif jusqu’ici, bien qu’il demeure la principale menace pesant sur les exportateurs irlandais, notamment dans le secteur agro-alimentaire. Si le Royaume-Uni ne représente « que » 16 à 17% des exportations totales irlandaises, 30% des emplois en Irlande se trouvent dans des secteurs dépendant fortement de ces exportations.
Secteur financier
Registre central des crédits – Le 20 mars 2018, l’Irlande s’est finalement dotée d’un registre central des crédits (CCR), sous la supervision de sa banque centrale (CBI). La création d’un tel registre a été requise par le FMI dans le cadre de son plan d’assistance financière de 2010 – la première phase devait être opérationnelle en 2016 mais a été reportée à plusieurs reprises. Depuis le 30 juin 2017, le registre collecte auprès de plus de 300 créditeurs des informations personnelles et de crédits sur les emprunteurs pour les prêts d’un montant minimum de 500€. Cependant, du fait d’une faille législative, les produits ménagers tels que les télévisions ou les canapés ne sont pas pris en compte dans le registre ; le Ministre des finances, Paschal Donohoe, a cependant assuré qu’un amendement serait apporté dans un « futur proche » pour y remédier. Dans une seconde phase qui devrait être intervenir en septembre 2018, les prêteurs seront tenus d’obtenir auprès du CCR des rapports de solvabilité avant d’approuver des prêts supérieurs à 2000€ pour les particuliers. En mars 2019, cette obligation sera étendue aux prêts aux entreprises. L’instauration d’un registre central des crédits est essentielle à la stabilité financière en ce qu’il permettra enfin aux prêteurs d’évaluer le niveau d’endettement de leurs clients potentiels.
Crédits aux PME – Selon un récent sondage publié par le Ministère des finances irlandais, les PME irlandaises profitent des bonne conditions économiques du pays : 68% rapportent avoir enregistré des profits sur les 6 premiers mois de 2017, 49% rapportent un chiffre d’affaire en augmentation et 31% indiquent avoir l’intention d’embaucher dans les prochains mois – les résultats les plus solides depuis 2011 et meilleurs que la moyenne européenne. Cependant, leur demande de crédit demeure faible : seules 23% des PME irlandaises ont sollicité un crédit bancaire sur la période et 20% prévoient d’en solliciter un dans les prochains mois – moins que la moyenne européenne. Selon Davy Research, les PME irlandaises n’auraient pas besoin de crédit pour financer leur expansion et préfèreraient s’autofinancer. Néanmoins, les données de la CBI sur les deux premiers mois de 2018 font état d’une croissance positive de l’encours de crédits aux SNF, pour la première fois depuis 2009, ce qui pourrait indiquer la fin de leur processus de désendettement. Depuis juin 2008, les SNF irlandaises ont réalisé des ajustements colossaux, l’encours de crédit étant passé de 171 Mds€ à 41 Mds€ en décembre 2017.
Fonds vautours – La polémique autour de la vente de prêts hypothécaires à des fonds privés (vautours) continue en Irlande. La banque Permanent TSB (PTSB) – détenue à 75% par l’Etat irlandais – avait annoncé en février son intention de vendre environ 20 000 prêts immobiliers (4 Mds€) à ces fonds. Cette annonce fait notamment suite à des pressions de la part de la Banque centrale européenne (BCE) pour que PTSB réduise son taux de prêt non performant (PNP), dont le ratio rapporté à son encours de prêt total est l’un des plus élevés de la zone euro (26%). PTSB se retrouve ainsi coincée avec d’un côté la pression des régulateurs pour qu’elle réduise son taux de PNP et, de l’autre, l’opposition publique à la saisie des collatéraux ainsi qu’à la cession des prêts à des parties tierces. Ces réactions ont poussé les banques Bank of Ireland et AIB à prendre leurs distances avec cette stratégie d’assainissement. Dans ce contexte, l’opposition (Fianna Fail) a déposé un projet de loi, actuellement étudié par le parlement, exigeant que les fonds d’investissement se portant acquéreurs de prêts hypothécaires fassent l’objet d’une régulation directe. La position délicate du gouvernement minoritaire qui dépend du soutien de l’opposition a poussé le ministre des Finances, Pascal Donohoe, à accepter avec réticence de soutenir le projet de loi et à revoir le code de conduite sur les arriérés hypothécaires (CCMA) – tout en se faisant l’écho des réserves émises par la BCE quant à l’adoption d’une réforme hâtive qui pourrait avoir des conséquences négatives inattendues.
Affaires européennes
Taxe européenne sur le numérique – Lors du Conseil européen du 22 mars dernier, les chefs d’Etat et de gouvernements ont débattu de la proposition de la Commission européenne visant à instaurer une « taxe sur le numérique » : taxe provisoire (dans l’attente d’un consensus international sur l’imposition des entreprises multinationales actuellement débattu à l’OCDE) de 3% sur les revenus des « entreprises du numérique » générant un chiffre d’affaire annuel de plus de 750m€ et un revenu taxable d’au moins 50m€ dans l’UE (revenus provenant de frais d’utilisation de certaines plateformes numériques, de la ventes de données personnelles, de la publicité…). Selon la Commission, ces multinationales du numériques s’acquitteraient dans l’UE d’un impôt sur les sociétés de 9% en moyenne pour des revenus de plusieurs milliards d’euros, alors que les entreprises « traditionnelles » s’acquittent d’un impôt moyen de 21% pour des revenus souvent beaucoup plus faibles. Si cette proposition est soutenue par de nombreux Etats membres, notamment la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni (pays dans lesquels ces multinationales génèrent la grande majorité de leur profits européens mais ne paient que peu ou pas d’impôts), elle fait l’objet d’une forte opposition de la part de plusieurs pays, dont l’Irlande. Ce dernier accueille en effet un nombre important de sièges de multinationales – profitant d’un des impôts sur les sociétés les plus faibles d’Europe (12,5%), d’une main d’œuvre qualifiée et anglophone, ainsi que de niches fiscales (pour la R&D et brevets intellectuels notamment) et de la possibilité d’établir des montages fiscaux à des fins d’optimisation – lui permettant de collecter des revenus fiscaux assis sur des ventes réalisées dans les autres pays européens. Selon Davy Research, la proposition de la Commission constituerait une « menace » pour le modèle fiscal du pays car elle pourrait faire perdre entre 1,2 et 2 Mds€ au Trésor irlandais et réduirait l’attractivité de l’Irlande aux yeux des multinationales du numérique pour y localiser leurs brevets de propriété intellectuelle. L’Irlande est en effet très dépendante des investissements étrangers et cette tendance s’accentue : l’impôt sur les sociétés représente 16% des revenus du pays, deux fois plus qu’en 2014. Mais pour l’heure, faute de soutien politique suffisant lors du conseil européen de mars, la délibération sur cette proposition a été reportée au conseil de juin 2018.
Avenir de l’UEM - Début mars, l’Irlande a co-signé avec 7 Etats membres (Danemark, Estonie, Finlande, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas et Suède) une déclaration commune sur l’avenir de l’Union économique et monétaire (UEM), première traduction du travail entamé par l’Irlande, le Danemark et les Pays-Bas pour constituer un front des « petits pays libéraux » afin de compenser le départ du Royaume-Uni de l’UE. Historiquement, le RU s’est souvent positionné comme le chef de file des pays défendant une vision inter-gouvernementaliste et libérale de l’Europe : le départ de ce dernier marque ainsi la perte d’un allié de poids pour les pays partageants des vues similaires. Cette « nouvelle ligue Hanséatique » défend ainsi un agenda libre-échangiste ambitieux et une intégration européenne limitée, préférant que davantage de prérogatives soient maintenues au niveau national. Leurs principales demandes sont que l’avenir de l’UEM soit débattu en format « inclusif » (à 27, c’est-à-dire en y incluant les Etats non-membres de la zone euro), que l’UE se concentre sur l’achèvement de l’Union bancaire, le lancement de l’Union des marchés de capitaux, l’approfondissement du marché unique et la transformation du Mécanisme européen de stabilité en un Fonds européen de stabilité – dont le contrôle serait assuré par les Etats membres et non pas par la Commission ou le Parlement européen.
Evolution des indicateurs macroéconomiques
Tableau mensuel
Tableau annuel