Le rapprochement avec la Chine engagé par l'administration du Président Duterte intègre des attentes de participation d'entreprises chinoises à l'ambitieux programme de développements des infrastructures. Force est de constater qu'à ce stade, les visites bilatérales de délégations économiques et commerciales successives à Pékin et Manille depuis près de deux ans n'ont abouti à aucun accord formel d'engagement financier de la part des autorités chinoises. Les Philippines restent pour Pékin un pays en marge de son initiative des routes de la soie. La perspective, d'une participation d'entreprises chinoises dans des projets d'infrastructures majeurs ne s’est à ce jour pas matérialisée.

     1.   Le gouvernement philippin prévoit d’augmenter ses emprunts à l’étranger pour financer ses projets d’infrastructures

Le manque d’investissement dans les infrastructures a été identifié comme l’un des principaux freins à la croissance des Philippines, bien que l'économie soit parmi l’une des plus dynamiques d'Asie du Sud-Est, avec une croissance moyenne de 6,3% au cours des six dernières années. En 2017-2018, les Philippines se classaient 97ème sur 137 pays en termes d'infrastructures selon le Global Competitiveness Index du World Economic Forum, bien après la Malaisie (22ème), la Thaïlande (43ème) et l'Indonésie (52ème).

Pour inaugurer ce qu'il appelle «l'âge d'or des infrastructures», le gouvernement philippin prévoit de dépenser dans les programmes d’infrastructures l'équivalent de 6,1% du produit intérieur brut (PIB) en 2018, contre 5,6% en 2017 et une moyenne de moins de 3% de 2010 à 2016. Les dépenses publiques d'infrastructures  devraient  s’accélérer pour atteindre environ 7,4% d'ici 2022 dans le cadre du programme BBB («Build Build Build »), qui couvre 160 à 180 Mds USD de projets jusqu'en 2022 - principalement des routes, des projets ferroviaires et de transport urbain, des ponts, des aéroports et des ports maritimes. Le gouvernement prévoit de financer ces projets grâce à une combinaison de financements publics, de partenariats public-privé (PPP) et d'aide publique au développement.

D’après les dernières données publiées par le Trésor philippin, le ratio dette publique/PIB s’est maintenu à 42,1% fin 2017, inchangé par rapport à 2016. Le gouvernement prévoit d’augmenter la part des emprunts extérieurs en 2018 de 20% à 26% (tout en conservant un ratio de 80-20 en faveur des emprunts domestiques entre 2019 et 2022). La dette extérieure a d’ailleurs augmenté de 2,6% en 2017 à 42 Mds USD, en partie dû à la dépréciation du peso l’an dernier.

Les autorités philippines ont levé 1,46 Md RMB (230 M USD) lors de la première émission « panda » en Asie du Sud-Est, effectuée le 20 mars sur le marché obligataire chinois. Présentant une maturité de 3 ans et un coupon de 5,00% – de 35 points de base supérieur au taux de référence des bons à 3 ans de la China Development Bank – cette émission, sursouscrite plus de six fois, a rencontré un vif intérêt auprès des investisseurs non-résidents (offshore), qui représentent 87,7% du montant total. Certains critiques, tels que le magazine Forbes en mai 2017, suggèrent que l’augmentation des emprunts philippins à la Chine pourraient assujettir le pays à de lourdes dettes et le rendre possiblement vulnérable aux pressions chinoises sur la mer de Chine méridionale. La crise de la dette liée aux dépenses en infrastructures qui a frappé l'économie dans les années 1980 est un rappel des dangers occasionnés par d’importants emprunts à l’étranger.

 

    2.   Malgré une politique de rapprochement avec la Chine depuis 2016, les Philippines se trouvent en marge du programme « Belt Road Initiative » (BRI)

Malgré les tensions liées aux revendications contestées de la Chine en mer de Chine Méridionale, le Président Duterte a mis en place une politique de rapprochement avec la Chine depuis son élection en juin 2016. Cela s’est matérialisé deux visites du Président philippin en Chine depuis 2016 (octobre 2016 et mai 2017 pour le forum OBOR) et par plusieurs visites ministérielles à Pékin. Le ministre du Commerce chinois et le vice-Premier ministre ont également fait le déplacement à Manille en mars 2017. Après cinq années d’interruption, les autorités des deux pays ont convenu de reprendre les activités du Comité mixte Philippines – Chine sur la coopération économique et commerciale (JCETC). Un programme de développement économique et commercial sur six ans (2017-2022) a également été signé en mars 2017. Pékin a également levé l'embargo imposé sur les produits agricoles philippins et assoupli les restrictions imposées aux pêcheurs philippins dans les zones de pêche contestées de la mer de Chine méridionale.

Cependant, les Philippines ne se trouvant pas géographiquement sur une des deux nouvelles routes de la soie (terrestre et maritime), elle ne fait pas partie des territoires prioritaires d’intervention des autorités chinoises. Aucun financement chinois ou aucune promesse de financement pour des projets d’infrastructures aux Philippines ne fait partie de l’initiative BRI. Le gouvernement philippin cherche tout de même à être inclus dans l’initiative, comme peut le démontrer la visite du Président Duterte au forum OBOR en mai 2017 où le Président et ses responsables économiques ont cherché à présenter les "zones de convergence" entre le programme socio-économique en 10 points de son administration et l'initiative "Belt and Road Initiative" du président chinois Xi Jinping.

 

      3.   Les promesses de financements chinois prennent du temps à se matérialiser

Lors de la visite d'Etat en Chine du président Rodrigo Duterte en octobre 2016, les autorités chinoises s’étaient engagées sur plus de 15 Mds USD d'investissements aux Philippines (financements hors BRI). Début 2017, lors de la visite du ministre des Finances philippin en Chine, le ministre du Commerce chinois a indiqué que la Chine coopérerait sur une liste initiale de plus de 30 projets aux Philippines d’une valeur de 3,7 Mds USD. Or, plus d’un an après, aucun financement chinois n’a été accordé et aucun projet n’a été lancé.

L’attention initiale portée aux annonces des autorités chinoises de financement de grands projets d’infrastructures aux Philippines est retombée depuis quelques mois puisqu’il existe très peu d’avancement. Le gouvernement philippin reste cependant optimiste et espère signer trois accords de financement avec les autorités chinoises en 2018 pour :

  • un projet d’irrigation de la rivière Chico (72 M USD)
  • un projet de barrage à Kaliwa (235 M USD)
  • un projet de chemin de fer entre Calamba et Bicol, dans le sud de l’île de Luzon (PNR South Long Haul) (2,9 Mds USD)

De plus, un second lot de prêts chinois d’une valeur estimée de 4 Mds USD est en cours de discussion entre les deux gouvernements. Ces financements couvriraient notamment un projet d’autoroute à Davao (425 M USD) et la ligne ferroviaire Subic-Clark (948 M USD) au nord de Manille. Ce dernier projet fait d’ailleurs partie des projets qui vont être étudiés et potentiellement approuvés par le prochain Conseil du ministère du Plan (NEDA, National Economic and Development Authority).

La Chine serait également prête à offrir près de 150 M USD de dons aux Philippines. Deux projets de ponts (Binondo-Intramuros et Estrella-Pantaleon) sur la rivière Pasig dans l’agglomération de Manille devraient être financés par des dons chinois (100 M USD), ainsi que deux centres de désintoxication et de réhabilitation de toxicomanes à Mindanao (23 M USD) et de l’aide à la reconstruction pour la ville de Marawi (26 M USD).

 

     4.   Une lutte d’influence à l’œuvre entre la Chine et le Japon

Malgré l’attrait évident des autorités philippines pour les financements chinois, les conditions de prêt de la Chine sont loin d’être aussi intéressantes que celle offertes par le Japon, partenaire historique des Philippines en termes de financements de projets d’infrastructures (taux d’intérêt de la JICA entre 0,2% et 0,75% contre  2% à 3% pour la Chine).

Le gouvernement philippin motive son intérêt pour des financements chinois par le fait que les Japonais n’ont pas la capacité de financer tous les projets majeurs du programme ‘Build, Build Build’ (un total de 160 à 180 Mds USD entre 2017 et 2022). De plus, les autorités philippines reprochent aux Japonais la lenteur de leurs procédures et estiment qu’ils ne sont pas en mesure de répondre à la totalité des besoins de financement  du programme  d’infrastructures. Avec la montée en puissance des promesses de financements chinois aux Philippines ces deux dernières années, les autorités japonaises semblent accélérer leurs procédures d’instruction des projets.