Après avoir fortement chuté pendant la crise, le taux d'utilisation des capacités  de production (TUC) dans l'industrie s'est redressé progressivement. Il reste toutefois au début de 2011 très inférieur à sa moyenne de long terme. Pourtant, malgré cette sous-utilisation des capacités de production existantes, l'investissement des entreprises non financières est reparti dès le 2e trimestre 2010 (et même dès le 4e trimestre 2009 pour l'investissement productif hors BTP).

Ce paradoxe apparent - faiblesse du TUC et dynamisme de l'investissement - n'est pas une spécificité du cycle actuel de reprise. Cette configuration s'est déjà présentée dans le passé, notamment lors de la crise de 1993, même si la crise de 2008-2009 a conduit à une chute bien plus importante du TUC.

Des arguments théoriques et pratiques conduisent à relativiser l'importance du TUC comme indicateur pour prévoir l'investissement. D'une part, le secteur de l'industrie ne représente que 20 à 25 % de l'investissement productif en France et n'est donc pas entièrement représentatif de l'utilisation des capacités dans l'ensemble de l'économie. D'autre part, d'un point de vue théorique, une hausse de l'investissement dans un contexte de faible utilisation des capacités est possible lorsque la demande anticipée est très supérieure à la demande courante. Il peut, dans ce cas, être profitable pour une entreprise d'investir dès aujourd'hui pour lisser les coûts d'ajustement du stock de capital, quitte à sous-utiliser les capacités existantes.

D'autres indicateurs sont sans doute plus pertinents pour la prévision conjoncturelle de l'investissement. En premier lieu, les goulots de production ou le jugement sur les capacités de production dans l'industrie sont sans doute plus représentatifs des tensions sur les capacités que le TUC, qui n'est qu'un indicateur moyen. En second lieu, certains indicateurs ont bien anticipé la reprise de l'investissement : l'indicateur de révision de l'enquête trimestrielle de l'Insee sur les investissements dans l'industrie, l'enquête de conjoncture dans les services avec ses questions spécifiques sur les investissements du secteur des services et, dans une moindre mesure, l'opinion des industriels sur l'activité future dans le commerce de gros. Ces trois sources se sont révélées plus fiables que le TUC pour prévoir la dynamique de court terme de l'investissement sur la période récente.

La reprise de l’investissement depuis la mi-2010 pourrait donc résulter de la perception par beaucoup d’entreprises d’une forte demande anticipée et de leur volonté de lisser les coûts d’ajustement de leur stock de capital.

Trésor-Éco n° 90