Suivi du secteur bancaire : renforcement réglementaire et évolution de la structure de crédit
Depuis l’exercice 2023/24, le système bancaire indien évolue dans un cadre marqué par des tensions ponctuelles de liquidité et un resserrement prudentiel de la RBI. Ces évolutions s’inscrivent dans la continuité du processus de consolidation du système bancaire, engagé depuis la crise des actifs non performants en 2018 et la restructuration du secteur des Non-Banking Financial Corporation (NBFC) en 2019. Cette note entend apporter des éléments d’analyse sur la compréhension de la structure du système bancaire indien et du rôle différencié de chaque acteur dans le financement de l’économie.
I / Un secteur financier en expansion dans un cadre prudentiel rigoureux mais différencié
Le système bancaire indien est structuré en plusieurs catégories d’institutions, dont certaines relèvent directement du statut de Scheduled Banks défini par le Reserve Bank of India Act. Ces établissements, placés sous la supervision de la RBI, sont soumis à des exigences strictes en matière de capitalisation et de solvabilité. En contrepartie, ils bénéficient d’un accès direct aux facilités de refinancement et d’intervention de la RBI. Au sein des Schedule Banks, les Scheduled Commercial Banks (SCBs) constituent le cœur du système financier et se répartissent en quatre groupes : (i) les banques publiques, détenues à plus de 50% par l’Etat indien, centrales dans la distribution de crédit et représentant 56% des actifs et du crédit en 2024/25 ; (ii) les banques privées, en forte expansion depuis la libéralisation des années 1990, détenant désormais 38% des actifs et 41% du crédit, contre 22% en 2014/15 ; (iii) les banques étrangères, dont la part dans les actifs et crédit reste limitée à 6% ; et (iv) les banques rurales, créées pour soutenir le crédit rural[i].
A ces acteurs s’ajoutent les institutions non inscrites au statut de Scheduled Banks, porteuses d’initiatives dans le domaine de l’inclusion financière. Il s’agit des banques coopératives non inscrites, des All India Financial Institutions (AIFIs), des institutions de microfinance et institutions financières non bancaires (NBFCs)[ii]. Bien qu’elles soient supervisées par la RBI, ces dernières ne disposent pas d’une licence bancaire complète et ne peuvent accepter de dépôts à vue, mais jouent un rôle dans l’inclusion financière et le soutien au crédit dans les segments peu servis par les canaux bancaires traditionnels. Les interactions entre les NBFCs et les SCBs demeurent toutefois limitées, bien que des mécanismes de co-octroi de prêts aient été mis en place dans le cadre du Priority Sector Lending (cf. infra)[iii]. En outre, le système financier indien dans son ensemble représente désormais près de 190% du PIB. Sur le plan structurel, l’évolution du système bancaire indien témoigne du développement de l’intermédiation financière, marqué par l’élargissement des dépôts et par une progression mesurable de l’inclusion financière. L’indice d’inclusion financière élaboré par la RBI, instauré en 2021, montre une amélioration de l’accès aux services bancaires formels, puisqu’il s’élevait à 64,2 en mars 2024 et atteignait 67 à la clôture de l’exercice 2024/25[iv].
Dans ce contexte d’extension du système financier, la robustesse du cadre prudentiel constitue un pilier central. Appliqué par la RBI, aux Scheduled Banks, ce dernier est aligné sur les exigences internationales en matière de fonds propres, de liquidité et de gestion des risques définies par Bâle II et Bâle III. Il s’avère même plus strict sur plusieurs volets, la RBI appliquant des ratios de capital et de levier supérieurs aux normes minimales, ainsi que des obligations additionnelles de liquidité[v]. Cette rigueur renforcée s’explique, entre autres, par la crise des actifs non performants, éclatée au milieu des années 2010, conséquence de plusieurs années de pratiques risquées, de défauts en chaîne et de gouvernance lacunaire. Cet épisode a conduit à l’entrée en vigueur en 2016 de l’Insolvency and Bankruptcy Code[vi] ayant permis le recouvrement de près de 45 Mds USD[vii] au cours des dix dernières années et a contribué à la baisse drastique des actifs non performants dans le bilan des banques. Ainsi, le ratio de NNPA (net non-performing assets) des SCBs s’élevait à 0,5% lors du T4 FY25, tandis que le ratio GNPA (gross non performing assets) est revenu de 7,8% en 2015/16 à 2,3% en mars 2025 selon les données
de la RBI. Toutefois, le durcissement du cadre prudentiel applicable aux SBCs a entrainé un déplacement partiel d’une partie des activités financières vers les NBFCs, où les contraintes prudentielles sont moins fortes, ce que reflète la hausse continue du nombre de NBFCs depuis l’adoption des normes de Bâle III. En effet, les NBFCs relèvent d’un cadre différencié, historiquement moins contraignant, mais progressivement renforcé depuis la faillite d’IL&FS en 2018[viii], et ce afin de réduire les vulnérabilités du secteur et de rapprocher leurs exigences prudentielles de celles applicables aux SCBs. Si cette différenciation réglementaire reflète la diversité des acteurs, elle crée également des incitations à l’arbitrage.
II / Un croissance dynamique du crédit, au profit des MPMEs et du crédit à la consommation
Au cours de la dernière décennie, la croissance du crédit a oscillé dans une fourchette comprise entre 9 et 15% et tend désormais à progresser de manière modérée. Selon les dernières données officielles disponibles publiées par la RBI, en août 2025 le crédit enregistrait une croissance de 9,9% en glissement annuel, contre 13,6% l’année dernière à la même période. Parmi les segments les plus dynamiques, les prêts personnels ont enregistré une hausse de 11,8% en g.a., suivis du secteur des services (10,6% en g.a.) et de l’agriculture (7,6% en g.a.) (c.f.annexe 4).
Le segment du crédit aux micros, petites et moyennes entreprises (MPMEs), pilier essentiel de l’économie indienne, représentant 30% du produit intérieur brut indien, a augmenté de 13% en g.a. Sa progression est facilitée depuis 2020 par une meilleure inclusion financière[ix] et le renforcement du Priority Sector Lending[x] dont les objectifs ont été élargis en 2025. Cette réglementation impose aux banques commerciales de consacrer aux secteurs prioritaires une part minimale de leurs financements à des conditions plus favorables, dont les MSMEs, longtemps dépendantes du financement informel.
En matière de crédit alloué aux infrastructures, bien que l’encours bancaire soit élevé, de l’ordre de 150 Mds USD[xi], la croissance du crédit en la matière reste quasi nulle (+0 à 1%) eu égard à la nature des actifs jugés risqués, complexes et mobilisant les fonds propres à long terme. Ainsi, les obligations et financements alternatifs (National Bank for Financing Infrastructure & Development (NaBFID))[xii], les cofinancements multilatéraux, les fonds d’infrastructure privés, sont devenus les canaux principaux du décaissement des capitaux en matière d’infrastructures.
Si l’on se penche sur l’analyse de la dette des ménages, celle-ci relève que les prêts non liés au logement, principalement destinés à la consommation, représentaient désormais 55 % de cette dette en mars 2025, et 25,7 % du revenu disponible en mars 2024[xiii]. En lien avec l’augmentation conjointe de l’accès aux paiements digitaux, l’utilisation des cartes de crédit (c.f. note sur le secteur des NBFCs) et la hausse des revenus disponibles, cette catégorie de prêts a augmenté de manière constante au fil des années, dépassant la croissance des prêts au logement ainsi que celle des prêts octroyés à l’agriculture et aux entreprises. Bien que le niveau d’endettement des ménages demeure contenu (c.f. annexe 5), cette augmentation du recours au crédit à des fins de consommation soulève des préoccupations en matière de soutenabilité, cette dette ne créant pas d’actifs générateurs de revenus, souvent faiblement garantie et octroyée à des profils d’emprunteurs considérés à risque (notamment avec une dette déjà existante). Fin 2024, la dette totale des ménages s’élevait à 41,9 % du produit intérieur brut, contre 60,1% en Chine à la même période, et 36,6% au Brésil (c.f. annexe 5), néanmoins avec un PIB par habitant de 2 700 USD[xiv], les ménages indiens restent particulièrement exposés à un risque d’insolvabilité.
En conséquence, afin de pallier les pratiques à risque des NBFCs et de certaines banques commerciales[xv], principales initiatrices de cette montée du crédit à la consommation, et le glissement du nombre croissant de prêts signalés en NNPA, la RBI s’est vue contrainte de resserrer la réglementation afin d’enrayer tous risques financiers potentiels. Parmi ces mesures[xvi] figurait l’instauration en 2023 de pondérations de risques sur les prêts des NBFCs, afin de limiter leur exposition excessive, dispositif levé en avril 2025 dans le contexte de l’assouplissement progressif de la politique monétaire et de la volonté explicite de relancer la progression du crédit dans le cadre de l’objectif de croissance du gouvernement.
Pour finir, il convient de souligner que les canaux de financement se diversifient davantage, avec la hausse de la participation des particuliers au marché des capitaux avec plus de 120 millions d’investisseurs enregistrés en septembre 2025 à la National Stock Exchange (NSE). Les investisseurs répertoriés au sein des fonds communs de placement ont plus que doublé en cinq ans dépassant les 56 millions en octobre 2025. Le marché obligataire des entreprises connaît également un essor notable avec un montant record de 124,8 Mds USD atteint en 2024, (+9 % en g.a.)[xvii] et 121 Mds USD en 2025.
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