L'économie bleue en AEOI : un secteur stratégique pour le développement économique de la région, mais une protection et une valorisation des ressources inégales selon les pays

Les pays d'Afrique de l'Est et de l'Océan Indien (AEOI) étudiés bénéficient d'une géographie favorable au développement de l'économie bleue, avec des atouts majeurs tels que le littoral somalien, le plus long d'Afrique continentale, et des ports stratégiques, comme Mombasa (Kenya), Dar Es Salam (Tanzanie) et Djibouti. Cependant, la protection et la valorisation de ces ressources marines varient considérablement selon les pays. Si Maurice, les Seychelles, le Kenya et la Tanzanie ont mis en place des stratégies (aires marines protégées, infrastructures portuaires et touristiques adaptées), d’autres pays comme les Comores, Madagascar, la Somalie, le Soudan, ou l’Érythrée peinent à concrétiser leur potentiel en raison de défis persistants en matière de gouvernance, de financement, de capacités techniques et de sécurité. La participation aux négociations internationales, telles que l’UNOC-3, reflète ces disparités : la Tanzanie s’est impliquée dans la préparation du Sommet, tandis que d’autres pays, en proie à des crises internes (Somalie, Soudan, Éthiopie, Érythrée), restent peu mobilisés. Bien que l’ensemble des pays — à l’exception de l’Érythrée — aient adopté des stratégies pour promouvoir l’économie bleue, leur mise en œuvre reste freinée par des défis communs : surexploitation des ressources, faible montée en gamme sur les chaines de valeur, pollution, changement climatique. Le soutien des bailleurs, dont la France, varie selon les pays, et les investissements privés dans le secteur sont freinés par un climat des affaires souvent perfectible. Néanmoins, des opportunités existent pour les entreprises françaises, notamment dans les domaines de la protection marine, du carbone bleu et des infrastructures portuaires et logistiques.

Une région favorable à l'économie bleue, mais une protection des ressources et une participation aux négociations internationales (UNOC-3) inégale

Les pays de la région Afrique de l’Est et de l’Océan Indien (AEOI) étudiés disposent d’un potentiel maritime important pour développer l’économie bleue et en faire un levier stratégique de croissance, mais la valorisation de ces ressources et la protection des écosystèmes marins demeurent très inégales. Parmi les quinze pays de la région, dix bénéficient d’un accès direct à la mer et de zones de pêche importantes, à l’image de la Somalie, qui, avec son littoral de 3 300 km — le plus long d’Afrique continentale — et une ZEE de 850 000 km², figure parmi les plus riches en ressources halieutiques. Les États insulaires comme les Seychelles (1,34 million de km² de ZEE), Maurice (1,28 million de km²), Madagascar (1,1 million de km²) et les Comores (160 000 km², soit 86 fois leur superficie terrestre) disposent de vastes zones maritimes offrant des opportunités économiques importantes dans des secteurs tels que la pêche, le tourisme, l'aquaculture, le transport maritime et les énergies marines. Si certains pays, comme le Kenya (0,59 % de sa ZEE protégée par 6 Aires Marines Protégées (AMP)), Madagascar (0,93 % via 22 AMP), Maurice (13 AMP couvrant 85 % de ses récifs coraliens) et les Seychelles (13 AMP prévues), ont renforcé la protection de leurs écosystèmes marins, d'autres pays en proie à des crises internes comme la Somalie et l’Érythrée n’ont pas encore mis en place de tels parcs marins.  

L’ensemble des pays étudiés, à l'exception de l'Érythrée, ont adopté une stratégie pour promouvoir l'économie bleue, et certains participent activement aux discussions internationales. En ce qui concerne les engagements liés aux priorités de l'UNOC-3, plusieurs pays ont ratifié ou signé des traités majeurs : le Kenya, Djibouti, Seychelles, Madagascar, Maurice, Soudan et Somalie ont ratifié l'Accord sur les mesures de l'État du port (PSMA) pour lutter contre la pêche illégale. Concernant la protection de la biodiversité marine en haute mer (Traité BBNJ), Maurice et les Seychelles l’ont ratifié en 2024, tandis que Djibouti l'a signé en mai 2025. En matière de pollution plastique, le Kenya, Madagascar, les Seychelles, Maurice et Djibouti ont interdit la production de plastiques à usage unique depuis 2017, et le Kenya, Maurice et les Seychelles ont rejoint la High Ambition Coalition to End Plastic Pollution. Depuis la COP 15, le Kenya, Madagascar et Maurice soutiennent l'objectif 30×30 de protéger 30 % des aires maritimes et terrestres d'ici 2030, avec Maurice visant 10 % d'aires marines protégées en 2025, tandis que les Seychelles prévoient de protéger 30 % de leurs eaux territoriales et d'interdire la pêche dans près de la moitié de cette zone. En raison de crises politiques internes, certains pays de la région, comme le Soudan, sont moins actifs dans les négociations internationales, mais participent à des initiatives régionales telles que l'Organisation pour la conservation de l'environnement de la mer Rouge et du golfe d'Aden (avec Djibouti et la Somalie), tandis que l'Érythrée et l'Éthiopie soutiennent la stratégie régionale sur l'économie bleue au sein de l'IGAD.

Les pays de la région ont structuré la gouvernance de l'économie bleue à travers divers ministères et agences, mais ces structures souffrent souvent d'un manque de coordination, de capacités limitées et de ressources financières pour mettre en œuvre efficacement leur stratégie. Le Kenya a créé un ministère dédié en 2022, tandis que la Tanzanie répartit les responsabilités entre plusieurs ministères. Djibouti coordonne le secteur via le ministère de l'Environnement, l'Éthiopie dispose d'un département spécifique au sein du ministère des Transports, et la Somalie a un ministère de la Pêche et de l'Économie bleue, soutenu par l'IGAD et l'agence suédoise de développement (SIDA). Aux Comores, l'économie bleue est partagée entre plusieurs ministères, mais manque de ressources financières, tandis que Madagascar a créé un ministère dédié en 2021. Les Seychelles gèrent ce secteur via le ministère des Pêcheries et de l'Économie bleue, et l'Érythrée supervise le domaine par son ministère des Ressources Marines.

Alors que l’économie bleue représente un potentiel de développement majeur pour la région AEOI, celui-ci demeure inégalement exploité selon les pays. C’est d’abord le cas du secteur de la pêche. À Maurice, aux Seychelles et à Madagascar, il est structuré autour de filières industrielles (conserve, transformation, aquaculture) et génère une part significative de l’activité économique (1/5 des emplois aux Seychelles et 7 % du PIB à Madagascar). À l’inverse, dans des pays comme le Kenya et la Tanzanie, la pêche reste majoritairement artisanale, même si elle représente une source d’emploi considérable (1,2 million au Kenya). Dans d’autres pays comme la Somalie, le Soudan ou l’Érythrée, la pêche est sous-valorisée, faute d’investissements et de mécanismes de gestion durable (1 % des réserves halieutiques durables exploitées en Somalie). Second pilier structurant, le secteur portuaire joue un rôle stratégique dans l’intégration logistique et commerciale des pays au reste du Monde. Les ports de Mombasa (Kenya) et de Dar es Salaam (Tanzanie) constituent les principaux hubs maritimes régionaux, tandis que les pays insulaires de l’océan Indien sont fortement dépendants de leur port principal (à Maurice, Port-Louis concentre 99,5 % des échanges internationaux). Le groupe français CMA CGM s’impose également comme un acteur majeur de la région, à la fois dans les hubs et les autres ports secondaires (16 % des parts de marché à Madagascar, plus de 20% au Kenya). Le tourisme, est une ressource clé pour certains pays, mais demeure marginal ou absent dans d’autres. Maurice, les Seychelles, la Tanzanie (Zanzibar), Madagascar et, dans une moindre mesure, le Kenya, ont fait du tourisme balnéaire un atout stratégique de développement (1/3 du PIB aux Seychelles). En revanche, plusieurs pays de la région peinent à faire émerger une économie touristique, comme en Somalie, au Soudan ou aux Comores.

Un environnement marin et lacustre menacé par la pollution, la surexploitation des ressources et le changement climatique

Les pays de la région font face à des défis communs freinant le développement de l’économie bleue, notamment la surexploitation des ressources maritimes, la pollution (plastique et industrielle), ainsi que les impacts du changement climatique. La pêche illégale, comme en Somalie, au Kenya, en Tanzanie, à Madagascar et à Djibouti, reste un obstacle majeur, aggravée par le manque de capacités institutionnelles et techniques pour contrôler les ressources maritimes. La pollution marine, principalement plastique, touche des pays comme le Kenya, la Tanzanie, Maurice, Madagascar, où les infrastructures de gestion des déchets sont très insuffisantes. Certaines activités économiques, comme le transport maritime, l'expansion portuaire, le tourisme et l’agriculture intensive, notamment les exploitations horticoles au Kenya et en Ethiopie, dégradent les milieux naturels côtiers et lacustres, entraînant de la pollution, une déforestation des mangroves, une prolifération de plantes invasives, ainsi qu'une détérioration durable de la qualité de l'eau et des coraux. En Ethiopie, Le lac Haramaya a totalement disparu, tandis qu’à Maurice le naufrage du MV Wakashio en 2020, avec 1 000 tonnes de fioul lourd déversées, a constitué la pire marée noire du pays, affectant durablement mangroves et récifs. Aussi, les efforts de conservation sont limités par un manque de données fiables et des politiques publiques fragmentées, comme en Éthiopie et en Tanzanie. Le changement climatique intensifie les menaces sur les ressources marines, exacerbant les risques d’érosion côtière et de blanchiment des coraux. A Maurice, le recul du trait de côte aurait déjà atteint jusqu’à 20 mètres à certains endroits.

Un soutien des bailleurs dont la France, inégal selon les pays et des défis demeurent pour concrétiser les ambitions d’investissements privés dans le secteur

Les bailleurs internationaux, notamment la France via l'AFD et l'Union européenne, soutiennent l'économie bleue dans certains pays de la région, avec des projets axés sur la gestion durable des ressources maritimes et la modernisation des infrastructures portuaires. Par exemple, au Kenya, en Tanzanie et à Madagascar, l'AFD finance le projet régional NoCaMo pour améliorer la gestion des aires marines protégées, tandis qu'Expertise France participe au programme SWIOP de l'UE pour la gestion côtière durable. En Tanzanie, l'AFD soutient le reboisement des mangroves et la BEI intervient dans la gestion des déchets plastiques. Aux Comores, depuis 2024, l’AFD, la Banque mondiale et d’autres partenaires cofinancent la rénovation des infrastructures portuaires, tout en appuyant la pêche artisanale et la protection des zones côtières. À Madagascar, l’AFD finance des projets de gestion des aires marines protégées et la JICA co-finance l'extension du port de Tamatave pour en faire un hub régional. Maurice bénéficie des projets régionaux de l'UE, comme Safe Seas Africa et Ecofish, pour la sécurité maritime et la lutte contre la pêche illégale. Les Seychelles ont été pionnières en émettant une obligation bleue souveraine en 2018 (15 MUSD), soutenue par la Banque mondiale, pour financer des projets halieutiques durables. L’archipel a aussi élaboré une feuille de route pour les opportunités de carbone bleu, visant à cartographier les herbiers marins et analyser les stocks de carbone via des images satellites. En outre, un Debt-for-Climate-Adaptation Swap avec l'ONG The Nature Conservancy a permis à l'archipel de lever 21,6 MUSD pour accélérer la protection des écosystèmes marins. Depuis 2017, une trentaine de projets ont déjà été financés pour 1,5 MUSD par le Blue Grant Fund, bénéficiant à plusieurs AMP. Cependant, l'engagement des bailleurs reste limité dans d’autres pays de la région. À Djibouti, les bailleurs privilégient l'assainissement, avec des investissements de l'UE et de l'AFD pour réhabiliter et étendre les infrastructures, tandis qu'en Éthiopie, les interventions se concentrent sur quelques études de faisabilité et un projet sur la biodiversité lacustre. Au Soudan, les projets sont modestes, comme le soutien du PNUD à la pêche, et en Érythrée, bien que la BAD et le FIDA envisagent des projets d'aquaculture et de pêche, ceux-ci demeurent embryonnaires.

Le secteur de l'économie bleue dans la région présente des opportunités ciblées pour les entreprises françaises, notamment dans les domaines de la protection de la biodiversité marine et du développement des infrastructures portuaires, mais il reste freiné par des défis réglementaires et une concurrence internationale croissante, surtout dans les secteurs logistique et portuaire. Des entreprises telles que Créocéan, Egis, BRLi, Resolve et APIS Solutions sont déjà impliquées au Kenya et à Madagascar dans des projets financés par des bailleurs pour la gestion des ressources marines et des déchets. Au Kenya, Hummingbirds codéveloppe un projet de carbone bleu en lien avec la préservation des mangroves. Le secteur portuaire présente des opportunités dans la région, mais une concurrence émirienne, chinoise, turque et européenne importante existe. Aux Seychelles, les sociétés françaises 4SH et Infoport ont fourni un système de gestion portuaire (PVMIS) financé par l’UE. Au Kenya, la perspective d’une mise en concession (partielle) du port de Mombasa pourrait intéresser des acteurs internationaux, mais est en suspens du fait de la sensibilité sociale et politique du sujet et d’un litige judiciaire en cours.