Avec une croissance de 7,1% de son PIB, un taux supérieur aux objectifs officiels et aux prévisions des institutions financières internationales, le Vietnam a été l’économie la plus dynamique de l’ASEAN en 2024.

Avec une croissance de 7,1% de son PIB, un taux supérieur aux objectifs officiels et aux prévisions des institutions financières internationales, le Vietnam a été l’économie la plus dynamique de l’ASEAN en 2024. Cette croissance a été tirée par le dynamisme des exportations et des investissements étrangers. La hausse des recettes a permis de contenir à le déficit budgétaire à 3,6% du PIB et le niveau de la dette publique est faible (37% du PIB). Du fait d’importantes fuites de capitaux, le niveau des réserves de change est bas (2,5 mois d’importations). Très dépendant du marché américain (30% des exportations), le Vietnam pourrait aussi être impacté par un durcissement de la politique commerciale américaine. Enfin, la “nouvelle ère” de croissance à deux chiffres appelée de ses vœux par le nouveau leadership nécessitera d’aller au-delà des réformes initiées jusqu’ici afin de faire émerger des ressorts de croissance intérieurs plus solides et à plus forte valeur ajoutée.

Une économie dynamique et aux fondamentaux solides  

Avec une croissance de 7,1% de son PIB, un taux supérieur aux objectifs officiels et aux prévisions des principales institutions financières internationales, le Vietnam a été l’économie la plus dynamique de l’ASEAN en 2024. Ce taux de croissance fait du Vietnam la quatrième économie de la région avec un PIB estimé à 476,3 Mds USD[i]. Le secteur de l’industrie et de la construction (37,6% du PIB en 2024) a été le principal contributeur de cette croissance (+8,2 %), suivi par le secteur des services (42,4% du PIB en 2024), qui a enregistré une croissance de 7,4 %, et par celui de l’agriculture, de la sylviculture et de la pêche (11,9% du PIB), qui a cru de de 3,3 %. Avec cette performance, rendue possible par une rapide accélération de la croissance au dernier trimestre (+7,55%), le Vietnam a même excédé la cible fixée par les autorités (6,5%) ainsi que les prévisions des principales institutions (la Banque Mondiale et le FMI projetaient 6,1%). Cette performance a toutefois fait l’objet questionnements de la part de certains entreprises ou certains médias, qui évoquent un secteur de la construction toujours en convalescence et une consommation privée (qui aurait augmenté de 9% en 2024 selon les statistiques officielles) encore bridée par la faible progression des revenus réels de la population et un filet de sécurité sociale très perfectible[ii]. L’inflation est demeurée maîtrisée (3,6%).

La hausse des recettes a permis de contenir à le déficit budgétaire à 3,6% du PIB (contre 4,4% en 2023)[iii], malgré la politique budgétaire et monétaire relativement expansionniste poursuivie par les autorités. En dépit des retards rencontrés par certains projets autoroutiers nationaux et des contraintes règlementaires et administratives persistantes, qui contribuent à ralentir la mise en œuvre des projets d'investissement public, le décaissement de l’investissement public s’est amélioré pour atteindre 93,1% de l’objectif fixé par le Premier Ministre (contre 91,4% en 2023) – soit environ 25,1 Mds USD. Parallèlement, la Banque centrale vietnamienne a mené une politique monétaire expansionniste, avec un crédit bancaire en hausse de 15,1 % sur l’année. En augmentation de 14% pour atteindre 79,2 Mds USD (16,6% du PIB), les recettes budgétaires ont permis de couvrir une partie des nouvelles dépenses occasionnées par l’augmentation du salaire minimal (+6%) et du salaire de base des fonctionnaires (+30%) intervenues en juillet 2024, le Vietnam se permettant même de maintenir - pour la troisième fois – à 8% le taux de TVA (contre un taux de droit commun de 10%). Fin 2024, l’accroissement de la dette publique est ainsi demeuré sous contrôle : cette dernière a atteint 37% du PIB (36,4% en 2023), largement en dessous de la limite légale fixée par l’Assemblée nationale (60%). Elle pourrait néanmoins augmenter rapidement au cours des prochaines années, du fait de la relance des grands projets (TGV, nucléaire, routes, infrastructures électriques) impulsée par le nouveau leadership.

En 2024, le Vietnam a dégagé un excédent courant de 3% du PIB en 2024, contre 5,8% en 2023 (FMI), grâce, notamment, à une forte augmentation (15,4%) des exportations en 2024 (406 Mds USD, en croissance de 14,3%). Avec 38% des importations vietnamiennes réalisées depuis la Chine et 30% des exportations du pays dirigées vers les Etats-Unis, le pays est néanmoins particulièrement vulnérable aux tensions géopolitiques. En revanche, malgré le dynamisme des IDE qui se sont élevés à 38,2 Mds USD (en – légère – baisse, de 3%, par rapport à 2023, pic historique)[iv], le compte financier devrait être déficitaire (-8,1 Mds USD au T3 2024). Cela est notamment dû au remboursement de dette et intérêt de la dette. Enfin, les « erreurs et omissions » demeurent très élevées (16,9 Mds USD au T3 2024) du fait des fuites de capitaux, dans un contexte de dépréciation du VND par rapport à l’USD, et du fait d’opportunités d’investissements limitées dans le pays[v]. Selon le FMI, les réserves de change du pays ont ainsi baissé pour atteindre 84 Mds USD, soit 2,5 mois d’importations fin 2024. Ce faible niveau des réserves semble toutefois gérable dans la mesure où les échanges commerciaux du Vietnam sont stimulés par le commerce de transformation, en conséquence de quoi une baisse des exportations du pays entraine mécaniquement une baisse de ses importations.

Une « nouvelle ère » de développement particulièrement ambitieuse

Pour 2025, le pays s’est fixé un objectif de croissance du PIB d’au moins 8%, et ambitionne un taux de croissance supérieur à 10% entre 2026 et 2045. En février 2025, l’Assemblée Nationale a en effet validé la révision à la hausse des objectifs de croissance : un taux de croissance compris entre 8 et 10% est désormais ambitionné (contre 7-7,5% initialement), pour une cible d’inflation relevée à 4,5-5% (4,5% initialement). Ces objectifs surpassent les prévisions de principales institutions financières (la Banque Mondiale projette 6,5% et le FMI, 6,1%). Afin de les atteindre, les autorités semblent prêtes à soutenir l’économie par des interventions plus directes. Elles prévoient de débourser 36 Mds USD d’investissements publics (7% du PIB) en 2025, soit 5 Mds USD de plus que le montant initialement validé, fin 2024. Plus de 80% de ces investissements publics seront destinés à l’amélioration des infrastructures routières et électrique (génération et distribution). Le déficit budgétaire pourra s’élever jusqu’à 4-4,5% du PIB (il est estimé à 3,6% du PIB en 2024). Pour les vingt années suivantes, le pays ambitionne par ailleurs d’atteindre un taux de croissance annuel de son PIB de 10% afin d’atteindre le statut de pays à revenu élevé d’ici 2045 (PIB par habitant supérieur à 14 000 USD, selon les seuils actuels de la Banque Mondiale), centenaire de la déclaration d’indépendance du pays. Un tel taux de croissance du PIB serait sans précédent dans l’histoire moderne du pays.

Sous la houlette du nouveau leadership, le Vietnam a initié en 2024 certaines réformes structurelles attendues de longue date et nécessaires à la réalisation de telles ambitions. La bureaucratie vietnamienne, identifiée comme un frein à la croissance (elle serait génératrice de dépenses courantes excessives, d’indécision, de délais, d’opportunités de corruption, etc.), fait depuis décembre 2024 l’objet d’une vaste réforme visant à réduire le nombre de ministères et commissions du Parti afin de réduire le personnel (-20%) et optimiser la prise de décision. Alors que la productivité globale des facteurs a évolué de manière négatives au cours des vingt dernières années selon le FMI[vi], les autorités vietnamiennes ont aussi commencé à prendre quelques mesures concrètes afin d’encourager l’innovation[vii]. D’autres mesures seront toutefois nécessaires pour favoriser les transferts de technologies depuis les entreprises étrangères vers le tissu industriel local, tout en renforçant les capacités d’innovation indigènes du pays. A ce titre, si des stratégies ont été publiées afin d’améliorer la formation des ressources humaines dans certains secteurs à forte valeur ajoutée (semi-conducteurs, notamment), peu de mesures concrètes peuvent être recensées à ce jour. Enfin, une réforme des marchés financiers et du système bancaire continue à apparaître indispensable pour optimiser l’allocation du capital vers les projets les plus productifs, notamment ceux portés par le secteur privé (dont l’endettement – supérieur à la moyenne des pays de la région – obère les capacités d’investissements).  

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Les capacités de l’économie vietnamienne à suivre l’ambitieuse trajectoire qu’elle s’est fixée pourrait être fragilisée par le contexte international : (1) la politique commerciale de l’administration Trump et l’entrée en vigueur de certains règlements européens pourraient, à court terme, limiter les débouchés de l’appareil exportateur vietnamien ; (2) les politiques industrielles d’un nombre croissant de pays développés visant à rapatrier sur leur sol les industries les plus stratégiques pourrait, en outre, contraindre la capacité du Vietnam à attirer des IDE à forte valeur ajoutée (et les transferts de technologies susceptibles d’en découler). Dans ce contexte, plus que jamais, le Vietnam a besoin de trouver des relais de croissance intérieurs et d’augmenter sa productivité. Alors que la population en âge de travailler a déjà commencé à décroître, la croissance potentielle du Vietnam devrait prochainement atteindre un plafond si des réformes susceptibles d’améliorer significativement la productivité globale des facteurs (progrès en matière d’éducation supérieure ; meilleur accès au financement des PME et des entreprises productives en général ; politique industrielle plus ciblée) ne sont pas prises rapidement.

 



[i] Derrière l’Indonésie (1 400 Mds USD), Singapour (547 Mds USD) et la Thaïlande (527 Mds USD), et juste devant les Philippines (461 Mds USD). D’après les projections du FMI, le Vietnam pourrait devenir la troisième économie de l’ASEAN (derrière l’Indonésie et les Philippines, et devant Singapour) dès 2029.

[ii] La croissance du revenu moyen demeure en effet limitée (2,5% en g.a. en date de juin 2024 selon la Banque Mondiale). Bien que les ventes au détail aient officiellement enregistré une hausse de 9 % pour atteindre 252 Md USD, le Nikkei relève que la hausse des prix de l’électricité et du carburant pousse les consommateurs à réduire leurs dépenses et certains acteurs du secteur affirment avoir observé un ralentissement. Highlands Coffee, la plus grande chaîne de café du Vietnam gérée par le groupe philippin Jollibee Foods a vu son chiffre d’affaires sur les cafés existant baisser de 2,5 % en g.a. au T3/2024 (il restait néanmoins en hausse de 4,6% sur l’ensemble de l’année). Sur la même période, Sabeco, le premier producteur de bière du Vietnam n’a enregistré qu’une croissance de 3 % de son chiffre d’affaires.

[iii] Il s’agit d’une estimation initiale.

[iv] Les investissements étrangers effectivement décaissés ont atteint 25,4 Mds USD – un record. Si la Corée du sud demeure en stock, le premier investisseur étrangers au Vietnam (92 Mds USD), en 2024, les flux entrants ont principalement émané de Chine (14,8 Mds USD, Hong Kong inclus).

[v] Cette situation a notamment généré une forte demande d’or comme réserve de valeur. Une large partie de cet or a été introduit au Vietnam de manière « informelle », conduisant à des sorties de capitaux tout aussi informelles, inscrites dans les « erreurs et omissions » de la balance courante.

[vi] Selon le FMI, le facteur travail a contribué à la croissance (2,6 points de croissance) alors que l’évolution de la productivité a été négative (-0,2) sur la période 2000-2019.

[vii] Parmi ces mesures : facilitation de l’entrée sur le territoire des scientifiques étrangers de haut niveau, instauration du droit à l’erreur dans la recherche scientifique, mise en place de subventions pour les grandes entreprises innovantes (investment support fund).