Investissements croisés entre la France et l’ASEAN en 2023
À rebours de l’évolution des flux d’IDE français[i] dans le monde (+32,6 % ; 67,2 Md EUR), les flux à destination de l’ASEAN ont été quasi nuls l’an dernier (208 M EUR contre 6,8 Md EUR). Malgré cette contraction marquée, le stock d’IDE français dans la zone reste à un niveau élevé (28,5 Md EUR ; -1,4 %), dont deux tiers pour Singapour (19,1 Md EUR ; -5,5 %). Ces flux se dirigeaient principalement vers : (i) les services de finance et assurance (73 %), (ii) les activités scientifiques et techniques (14 %), (iii) le transport et le stockage (12 %). Enfin, les flux d'IDE de l'ASEAN vers la France, portés par Singapour (2,9 Md EUR)[ii] ont presque triplé l’an dernier pour atteindre 3,1 Md EUR (+26,9 %), entraînant une augmentation notable du stock, à près de 7,7 Md EUR (+48 %).
1. L’attractivité de l’ASEAN se renforce en 2023, avec des IDE records en flux comme en stocks[iii]
En 2023, les flux d'IDE mondiaux à destination de l'ASEAN ont atteint 226,3 Md USD (+1,2 %), dépassant pour la première fois ceux à destination de la Chine (163,3 Md USD) [iv]; permettant à la zone d’afficher un stock de 3 868,1 Md USD d’IDE (+10,4 %) (cf. Graphiques 1 à 4). Cette croissance des flux vers la zone a été portée par Singapour (159,7 Md USD ; +13,1 %), le Vietnam (18,5 Md USD ; +3,4 %), les Philippines (6,2 Md USD ; +4,6 %), le Cambodge (4,0 Md USD ; +10,6 %), le Laos (1,7 Md USD ; +162,4 %) et le Myanmar (1,5 Md USD ; +22,7 %). On note cependant un ralentissement des flux d’IDE vers trois pays de l’ASEAN-5 en 2023 : l’Indonésie (21,6 Md USD ; -14,8 %), la Malaisie (8,6 Md USD ; -48,9 %) et la Thaïlande (4,5 Md USD ; -59,0 %).
La Cité-Etat capte une part toujours plus importante des flux d’IDE à destination de la zone, à hauteur de 70,6 % en 2023 ; et dispose d’un stock en constante augmentation, atteignant 2 632,3 Md USD (68,1 % du total de l’ASEAN; +13,1 % par rapport à 2022). Grâce à son statut de place financière mondiale, de 2nd port de commerce du monde et accueillant des industries technologiques de pointe, Singapour s’imposait en 2023 comme la troisième destination des flux d’IDE mondiaux après les Etats-Unis (310,9 Md USD) et la Chine (163,3 Md USD). Ces atouts ont permis à la Cité-Etat de consolider son stock total d’IDE pour devenir fin 2023 le 5ème récipiendaire mondial derrière les Etats-Unis, la Chine, le Royaume-Uni et les Pays-Bas (cf. Graphique 5). Singapour concentre ainsi près de 9 fois le stock d’IDE de la Thailande et de l’Indonésie (290,9 et 285,7 Md USD respectivement), 11,5 fois celui du Vietnam (229,0 Md USD), et 13 fois celui de la Malaisie (201,7 Md USD). Cette place reste néanmoins à relativiser tant il est vrai qu’en tant que plateforme régionale, Singapour n’est pas forcément la destination finale des flux d’investissements qui ne font que transiter pour certains, avant d’être redirigés à l’international, sans qu’il ne soit possible de retracer leur destination finale.
La part des flux d’IDE à destination de l’ASEAN dans le total des flux mondiaux a quant à elle presque doublé en 10 ans (de 9,3 % en 2014 à 17,0 % l’an dernier ; cf. Graphique 2), la zone ayant notamment bénéficié des reconfigurations des chaînes de valeur mondiales (stratégies China+1) dans le contexte de guerre commerciale sino-américaine. Diverses études aboutissent à ce constat : un rapport de McKinsey (septembre 2024), fondé sur les données de fDi Market souligne que les IDE de type « greenfield » (création de nouvelles entités dans un pays hôte) vers la Chine ont chuté de 17 % entre 2019 et 2023, tandis que ceux dirigés vers l'ASEAN ont progressé d'environ 20 % sur la même période. Les données nationales corroborent cette tendance : au Vietnam, le stock d'IDE a été multiplié par 2,5 en dix ans, atteignant 228,9 Md USD en 2023, contre 90,9 Md USD en 2014 et en Malaisie, il a progressé de près de 48,6 %, pour un total de 201,7 Md USD l’an dernier. Enfin, selon une note de la banque Nomura faisant suite à la réélection de Trump, la hausse prévue des droits de douane accentuerait les logiques de diversification des chaînes de valeur en bénéficiant à des pays tels que l’Inde et la Malaisie [v].
2. Des flux d’IDE français quasi nuls dans la zone en 2023, après une année 2022 record
Les flux français à destination de l’ASEAN ont accusé une baisse spectaculaire en 2023 (208 M EUR contre 6,8 Md EUR en 2022), alors qu’au niveau mondial, ils ont connu une croissance de 32 % (67,2 Md EUR) (cf. Graphique 6 ; Tableau 1). Ce recul est d’autant plus marqué que 2022 constituait une année record pour les flux d’IDE français à destination de l’ASEAN (cf. Tableau 3), grâce à des opérations spécifiques ne concernant que Singapour. Toutefois, les entrées nettes d’IDE français enregistrées pour la Thaïlande (231 M EUR), l’Indonésie (116 M EUR), la Malaisie (74 M EUR), le Laos (15 M EUR) et le Cambodge (12 M EUR) permettent de compenser les flux négatifs, répertoriés pour Singapour (-140 M EUR), les Philippines (-64 M EUR), le Myanmar (-9 M EUR) et le Vietnam (-5 M EUR).
En 2023, la répartition sectorielle des flux d’IDE français est majoritairement orientée vers les services de finance et assurance (73 %), les activités scientifiques et techniques (14 %), le transport et le stockage (12 %), mais également vers l’industrie manufacturière (8 %) (cf. Graphique 7)[vi]. Cette répartition est cohérente avec la présence de grands groupes français dans la région, notamment dans :
- La finance (BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, Natixis) ;
- Les transports (Airbus, CMA-CGM, Louis Dreyfus Armateurs) ;
- Le secteur agroalimentaire (Bel, Danone) ;
- Les secteurs pharmaceutiques et de la chimie (Sanofi, Servier, Air Liquide, Novacap, Arkema) ;
- L’énergie (TotalEnergies, Engie, EDF).
Si l’investissement français privilégie l’industrie manufacturière et extractive en Indonésie et en Malaisie, il est plus équilibré entre industries et services à Singapour et en Thaïlande. Aux Philippines, les IDE se concentrent sur la construction (Vinci, Bouygues) tandis que les pays moins développés (Vietnam, Cambodge, Laos) attirent principalement des IDE dans les services, notamment financiers. À noter, la Thaïlande pourrait être le seul pays de l’ASEAN à avoir réceptionné en 2023 des flux d’IDE français dans le cadre d’un projet greenfield : l’inauguration d’une nouvelle usine du groupe Essilor-Luxottica à Rayong, pour un montant de 400 M EUR[vii].
Si le stock total d’IDE français en ASEAN a légèrement diminué en 2023 (-1,4 %), il se maintient néanmoins à un niveau élevé, à 28,5 Md EUR (cf. Tableau 2), et le stock en capitaux propres s’est renforcé (29,2 Md EUR ; +0,3 %). Seuls trois pays de la zone ont vu leur stock d’IDE augmenter l’an dernier : l’Indonésie (3,8 Md EUR ; +29,3 %), la Thaïlande (2,4 Md EUR ; 4,9 %) et la Malaisie (1,0 Md EUR ; +2,6 %) ; tandis que des baisses ont été enregistrées pour le Vietnam (926 M EUR ; -6,4 %), les Philippines (645 M EUR ; -13,8 %), le Cambodge (561 M EUR ; -6,3 %), et le Laos (331 M EUR ; -20,2 %). Malgré une légère baisse, Singapour continue de capter près des deux tiers du stock régional en 2023 (19,1 Md EUR ; -5,5 %) (cf. Tableau 4).
3. L’attractivité grandissante de la France pour les pays de l’ASEAN
Les flux de l’ASEAN à destination de la France ont connu une forte croissance en 2023 (3,1 Md EUR ; +26,9 %), permettant une consolidation du stock (7,7 Md EUR ; +48 %). Singapour catalyse cette croissance des IDE sud-est asiatiques en France, ayant multiplié par 6 ses flux d’IDE vers l’Hexagone en 2023 (2,9 Md EUR), notamment grâce à l’acquisition de Worldwide Fligths Services par le singapourien SATS pour 1,3 Md EUR. Les opérations enregistrées l’an dernier ont ainsi permis un doublement du stock d’IDE singapouriens en France (4,3 Md EUR), soit 56,5 % du stock total d’IDE de l’ASEAN détenu en France fin 2023[viii]. Selon Business France, les employeurs originaires de l’ASEAN en France opèrent principalement dans l’hôtellerie (Dorchester Collection, Ascott International), l’agroalimentaire (Thai Union Group), l’immobilier (Capitaland), la logistique (PSA International) et la chimie (PTT), mais également des entreprises innovantes dans la robotique et l’industrie du futur (Eureka robotics, Unabiz).
ANNEXES
Source : CNUCED
Source : CNUCED
Source : CNUCED
Flux monde en 2023 = 1 331,8 Md USD
Source : CNUCED
Stock monde en 2023 = 49 130,8 Md USD
Source : CNUCED
Source : Banque de France
Source : CNUCED
[i] Les flux répertoriés par la Banque de France sont mesurés selon le principe directionnel étendu. Cette méthode présente les opérations et positions en fonction du centre de décision économique : les créances (en capital ou sous forme de prêts) entre sociétés appartenant à un même groupe international ne sont pas classées en fonction du sens de la créance mais d’après la résidence de la maison mère ou de la tête de groupe. Voir : « Focus : Les investissements directs | Banque de France (banque-france.fr) », Banque de France, 2024.
[ii] Grâce à l’acquisition de Worldwide Fligths Services par le singapourien SATS pour 1,3 Md EUR. Voir : « Présence française à Singapour et investissements croisés en 2023 | Direction générale du Trésor », Service économique régional de Singapour, 2024.
[iii] Les données d’IDE de la Banque de France sont susceptibles de varier d’une année sur l’autre pour des raisons méthodologiques ou de comptabilisation de nouvelles opérations.
[iv] Il existe pour la Chine continentale deux sources principales concernant les flux d’IDE entrants : (i) l’Administration nationale des changes (SAFE), reprenant l’évolution de l’actif des filiales étrangères en Chine, ce qui inclut les profits réinvestis ainsi que les cessions d’actifs (43 Md USD en 2023 ; -80 %) ; (ii) le ministère chinois du Commerce (MOFCOM), qui mesure exclusivement les nouveaux projets d’investissement des entreprises étrangères en Chine (163,3 Md USD en 2023 ; -8 %). Ces données concernent la Chine continentale et excluent donc Hong Kong et Macao.
[v] Voir : « 08112024 Nomura Economic Monthly - The Trump curveball for Asia.pdf », Nomura, novembre 2024.
[vi] Les flux enregistrés par les agences statistiques de l’ASEAN peuvent différer des flux calculés par la Banque de France en raison de divergences méthodologiques et selon la prise en compte de l’origine immédiate ou ultime des investissements. Ainsi, l’ASEAN affiche des flux d’IDE totaux en provenance de France de 2,7 Md USD en 2023 (soit 2,1 Md EUR, montant exprimé en euros au taux de change moyen de 2023 fourni par la Banque centrale européenne ; 1 EUR = 1,0813 USD), contre 208 M EUR pour la Banque de France.
[vii] Voir : « World’s biggest eyewear company opens new plant in Rayong », The Nation, octobre 2023.
[viii] Les données relatives aux stocks d’IDE détenus en France par le Brunei, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, le Myanmar, les Philippines et le Vietnam pour l’année 2023 sont pour l’heure soumises au secret statistique.