La semaine dernière, Spinneys, la chaîne émirienne de supermarchés créée en 1924 à Alexandrie, a annoncé son introduction en bourse. Son actionnaire de référence, Al Seer Group LLC, a l'intention de céder une participation de 25 % dans sa société Spinneys 1961 Holdings plc, soit 900 millions d'actions.
L'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont su maintenir une dynamique favorable aux introductions en bourse au cours des dernières années. Mais quelques transactions emblématiques ont polarisé le marché. En 2023, on a assisté au sein du CCEAG à un total de 47 introductions en bourse qui ont permis de lever 10,7 milliards de dollars. Cinq sociétés ont contribué à hauteur de 58 % au montant total des fonds levés, principalement dans les secteurs de l'énergie et de la logistique. Signe d’un maintien de la confiance des investisseurs, 11 des 19 introductions en bourse du quatrième trimestre 2023 avaient enregistré une hausse du prix de l'action le premier jour.
L’Arabie saoudite a pris la tête du marché du CCEAG avec 37 introductions en bourse, dont 29 sur la bourse Tadawul Nomustock et les huit autres sur la bourse Tadawul. A Oman, la Oman Investment Authority se prépare à introduire en bourse des actifs stratégiques étatiques afin de renforcer son marché des capitaux. La stratégie annoncée prévoit plusieurs dizaines de cotations au cours des cinq prochaines années afin de solidifier son statut de marché émergent.
En 2024, ce sont près de 29 entreprises de divers secteurs qui ont annoncé leur intention de s'introduire en bourse, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis étant en tête en termes de volumes attendus. Dans cet horizon boursier, l’IPO de Spinneys est d'autant plus remarquable qu'il s'agit seulement de la deuxième offre d'une holding familiale privée sur le marché, une rareté qui a attiré l'attention des investisseurs institutionnels et particuliers. Jusqu’ici, les IPO aux Emirats arabes unis ont été quasiment exclusivement dominées par des entreprises publiques. L'année dernière, Al Ansari Financial Services PJSC s'est introduite en bourse à Dubaï, lors de l'une des premières IPO d'une société privée aux EAU. Investcorp Capital Plc a fait de même à Abu Dhabi en novembre.
L’entrée de Spinneys et l’IPO annoncée par Lulu Group présagent-elles d’une ouverture croissante de la cote aux entreprises familiales ? La réaction du marché est scrutée avec attention puisqu’il s’agit de tester l'appétit des investisseurs pour une typologie d’entreprises qui cherchent à développer leurs activités dans la région et planifier leur futur.
Surtout, c’est la maturité, la profondeur et l’attractivité des marchés financiers qui s'en trouveraient renforcées. Ancrages essentiels de l’écosystème privé régional, les entreprises familiales des Émirats arabes unis représentent plus de 90 % des entreprises du pays. Elles emploient plus de 70 % de la main-d'œuvre du secteur privé du pays, selon les chiffres du ministère de l'économie. De surcroît, dans l’ensemble des pays du CCEAG, les entreprises familiales contribuent à environ 80 % du PIB du secteur non pétrolier de la région. Pour être compétitifs parmi les marchés émergents, les économies du CCEAG devront disposer de marchés de capitaux plus profonds, ce qui nécessitera d'accroître la présence de ces entreprises familiales.
Les études empiriques montrent une surperformance des entreprises familiales de 3 % par an en moyenne, sur la base des données depuis 2006 (Amérique, Europe et Asie pacifique). Plusieurs caractéristiques expliqueraient cette observation. Les entreprises familiales privilégient notamment une culture entrepreneuriale se traduisant en pratique par un développement de meilleure qualité. Cet écart de performance est d'autant plus marqué sur le segment small & mid caps. En outre, elles feraient preuve d’une gestion prudente de leurs ressources financières, avec un effet de levier financier plus faible (un ratio dette nette/EBITDA inférieur de 25 % en moyenne au fil du temps). Elles nourrissent ainsi une approche combinant prudence et innovation, en prenant en compte la transmission du capital à la génération suivante.
Si l’introduction en bourse présente des avantages pour ces entreprises familiales, permettant parfois de résoudre des questions de transmission, elle nécessite néanmoins un profond changement culturel en raison du jeu de contraintes qu’elle impose en matière de gouvernance et de transparence. Toutes n’emprunteront donc pas ce chemin vers la cote, notamment celles qui sont attachées à leur modèle congloméral traditionnel, modèle mal valorisé par les marchés.
Luidgy Gabriel Belair, Attaché macroéconomique et financier
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