Pour la deuxième année de suite, l'économie singapourienne a enregistré un ralentissement de sa croissance en 2023. Après un rebond exceptionnel post-Covid de 8,9% en 2021, la croissance a ralenti à 3,9% en 2022 puis 1,2% en 2023, selon les premières estimations du ministère du Commerce et de l’Industrie. L'économie de Singapour a fait face, l’année dernière, à plusieurs défis, notamment le recul de la production manufacturière, en lien avec la baisse de la demande mondiale dans l’électronique, ainsi qu’une atténuation des effets de la reprise dans le secteur des services. Malgré des pressions inflationnistes persistantes et une situation géopolitique tendue, Singapour a néanmoins dépassé les prévisions de croissance officielles, situées entre 0,5% et 1%. Pour 2024, les autorités anticipent une croissance comprise entre 1% et 3%, selon l’évolution de la conjoncture internationale

I. Une conjoncture mondiale défavorable au commerce de biens en 2023

À l'instar d’autres économies avancées, l'année 2023 a présenté des résultats mitigés pour l'économie de Singapour, fortement tributaire du commerce extérieur pour sa croissance. Cette dépendance commerciale (plus de trois fois le PIB) constitue une vulnérabilité dans un contexte de ralentissement marqué du commerce international. Pour la Banque mondiale, la croissance du commerce global de biens et services en 2023 a été la plus faible en 50 ans (+0,3%), hors périodes de récession. Par ailleurs, les économies avancées ont enregistré une croissance très modérée : en moyenne +1,5%, dont +0,4%, seulement, en zone Euro. La majorité des économies ont souffert des effets de politiques monétaires plus restrictives, entraînant une hausse des taux d'intérêt, tandis que l’épargne accumulée durant la crise tend à s'amenuiser, alors qu'elle stimulait précédemment la demande. Pour finir, la Chine, qui est de loin le 1er partenaire commercial de Singapour, a subi les répercussions d'une crise dans le secteur immobilier, et la confiance des consommateurs peine encore à retrouver son niveau d'avant Covid.

L'année dernière a été marquée par un changement dans les tendances de consommation à l’échelle mondiale, avec le passage d'une demande en biens vers une demande accrue en services. Ce changement de cycle a eu un impact négatif sur les pays asiatiques dépendant de la demande extérieure. Dans l’ASEAN, l'indice PMI manufacturier s’est contracté à trois reprises en fin d'année (septembre, octobre et décembre 2023).

Le secteur des semiconducteurs, important pour l'économie de Singapour (près de 40% de la production industrielle), aurait atteint un point bas dans son cycle. Affecté par l'instabilité macroéconomique et des taux d'intérêt élevés depuis mi-2022, le marché a connu un recul de la demande pour des articles comme les ordinateurs, les smartphones et les composants électroniques. Face à cette situation, les entreprises ont adapté leurs niveaux de stock. Cependant, un sentiment d'optimisme domine parmi certains analystes (Nomura, SIA, DBS), qui estiment que l’essor de l’IA pourrait contribuer à relancer le secteur en 2024.

II. Les difficultés du secteur manufacturier à la source de la faible croissance de Singapour

L’économie singapourienne, comme d'autres économies asiatiques, a été affectée par le recul de la demande externe, avec une contraction de 3,6% du secteur manufacturier (~22% du PIB environ en 2022). Une analyse trimestrielle révèle néanmoins une amélioration progressive de la situation du secteur manufacturier au fil de l'année. Après une baisse de 4,4% (en variation trimestrielle) au T1 2023, elle a diminué de 1,4% au T2, avant de se stabiliser à +0,3% au T3 et de rebondir à +9,0% au T4.

Le secteur de la construction a connu une année positive en 2023, avec une croissance de 7,7%. Sa part dans le PIB est toutefois plus modeste que celle du secteur manufacturier (~3% du PIB). En 2023, la filière a notamment profité de la forte demande de logements, en raison d’un taux d’occupation élevé, se traduisant par un carnet de commandes conséquent dans les projets de construction, aussi bien publics (logements HDB, infrastructures de transport…) que privés (nouveaux condominiums, bâtiments industriels). Le report de certains projets majeurs de 2022 à 2023 et la reprise des chantiers interrompus durant la pandémie, suite aux pénuries de main-d'œuvre importée et aux restrictions sanitaires, ont également contribué à cette dynamique.

Le secteur des services, pilier de l'économie (~71% du PIB en 2022), a continué de croître en 2023, enregistrant une hausse de 2,3%, bien que moins vigoureuse qu'en 2022 (+4,8%). Cette croissance a notamment été soutenue par les secteurs de l'hôtellerie, de la restauration et des services aux entreprises, qui ont enregistré une hausse de 4,6%. Les domaines de l'informatique, de la finance et du commerce de gros, de détail et du transport ont également contribué à cette tendance. Enfin, les secteurs liés au tourisme ont bénéficié d'une reprise du trafic de passagers, se rapprochant des niveaux pré-Covid (~90% des niveaux de 2019 au T3 2023).

III. Un coût de la vie toujours au cœur des préoccupations malgré une légère désinflation

Entre janvier et novembre 2023, Singapour a enregistré une inflation moyenne de 4,9%, en léger recul par rapport au plus haut atteint en 2022 (+6,1%). Cette baisse est attribuée principalement à la diminution des cours mondiaux des matières premières et des biens intermédiaires et finis au cours de l'année. De plus, la stabilité du dollar singapourien a joué un rôle crucial dans la maîtrise des coûts des biens importés. L'Autorité monétaire de Singapour (MAS) a en effet maintenu une politique monétaire stable en 2023, après avoir resserré sa politique à cinq reprises entre octobre 2021 et octobre 2022. Pour mémoire, la MAS utilise un cadre de politique monétaire unique qui repose sur le taux de change plutôt que sur le taux d’intérêt, en contrôlant le taux de change effectif nominal (S$NEER) du dollar singapourien par rapport aux devises des principaux partenaires commerciaux.

Bien que l'inflation ait diminué en 2023, elle est restée relativement élevée et devrait se situer entre 2,5% et 3,5% en 2024, selon les prévisions de la MAS, sur fond d'augmentation d'un point de la taxe sur la consommation (GST) au 1er janvier 2024. Il est important de noter que l'Indice des Prix à la Consommation (IPC), reflétant le panier de consommation moyen des Singapouriens, ne reflète pas pleinement l'augmentation du coût de la vie, particulièrement notable dans le secteur de l'immobilier (hausse de 30% à 50% des prix et des loyers depuis début 2020). Cette situation a placé Singapour en tête des villes les plus chères du monde selon Mercer et The Economist l'année dernière. En réponse à cette pression inflationniste et à la hausse graduelle de la GST (de 7% en 2022 à 9% en 2024), le gouvernement a mis en place des mesures dans ses budgets de 2022 et 2023, notamment l'émission de bons d’achat, afin de compenser l'impact sur le pouvoir d’achat des citoyens.

IV. Espoir d’une amélioration de la croissance en 2024 avec le retour de la demande en électronique

Selon le ministère singapourien du Commerce et de l’Industrie, la croissance des pays développés devrait ralentir au 1er semestre 2024, avant de s’améliorer au 2nd semestre, bénéficiant au commerce extérieur.  Cette évolution, associée à la normalisation des niveaux de stocks, devrait stimuler le redressement de l'activité manufacturière. Ces conditions devraient avoir un impact positif sur les perspectives économiques de Singapour, en particulier dans l'électronique et le commerce de gros. Dans le secteur des services, une reprise à des niveaux égaux ou supérieurs à ceux d'avant crise est attendue, notamment dans les domaines du transport aérien, de l'hôtellerie, et des secteurs liés au tourisme (restauration, commerce de détail).

En tenant compte de ces différents facteurs, les autorités de Singapour anticipent une croissance économique située entre 1% et 3% pour l'année 2024. Ces projections sont corroborées par des analyses du secteur privé. La banque singapourienne DBS, dans une note de mi-janvier, prévoit une « année de renouvellement » pour Singapour avec une croissance estimée à 2,2%. La banque japonaise Nomura se montre plus optimiste, avec une prévision de croissance de 2,8%. Enfin, un sondage mené fin novembre par l'Autorité monétaire de Singapour (MAS) auprès de 25 analystes suggère une croissance de 2,3%.