Les PME canadiennes jouent un rôle majeur dans l’économie du pays, employant 85% des salariés (niveau le plus élevé des pays du G7) et assurant plus de la moitié du PIB canadien et 43% des exportations. Elles connaissent toutefois depuis de nombreuses années un plafond de verre, de multiples facteurs (accès au financement, profondeur du marché intérieur, compétiteurs américains, attrait des talents) entravant leur croissance, alors que la crise actuelle de l’entreprenariat (-100 000 entrepreneurs entre 2000 et 2022) devrait accentuer cette dynamique. Une situation que le gouvernement fédéral essaye d'enrayer.

 

Les PME, pilier fragile de l'économie canadienne

 

Les PME canadiennes se singularisent par une part prépondérante dans l’emploi des salariés du pays. Selon Statistique Canada, il y avait 1,2 million de PME au Canada en 2021, représentant 99,8% du total des entreprises ; parmi elles, 98,1% des entreprises canadiennes sont considérées comme des « petites entreprises », employant moins de 100 personnes, et 1,7% sont définies comme des « entreprises moyennes », employant entre 100 et 500 personnes. Plus marquant, les PME canadiennes employaient 13,7 millions de personnes en 2022, soit 85% des salariés du secteur privé et public (hors chômeurs et autoentrepreneurs) : il s’agit du niveau le plus élevé des pays du G7, devant l’Italie (80%), la France (64%), le Royaume-Uni (61%), le Japon et les Etats-Unis (60% chacun) et l’Allemagne (56%).  Pourtant, l’impact des PME canadiennes sur l’économie du pays n’est pas supérieur à celui observé dans les autres pays du G7 : elles ont généré en moyenne 52% du PIB (36,4% pour les petites entreprises contre 16,7% pour les entreprises moyennes) sur la période 2015-2019 (dernier chiffre disponible), soit une part similaire aux autres pays du G7, et représentaient 43% des exportations en 2022 – dans la moyenne des pays du G7, derrière l’Allemagne (55%), le Japon (54%) et l’Italie (50%), et devant les Etats-Unis (40%), le Royaume-Uni (33%) et le France (25%).

Le renouvellement de ce riche tissu apparaît toutefois fragilisé par la crise en cours de l’entreprenariat. Selon la Banque du développement du Canada (BDC), 1,3 Canadien sur 1 000 a créé une entreprise en 2022 ; il s’agit du niveau le plus faible depuis 2000, quand le ratio atteignait 3 pour 1000. La BDC estime qu’il y avait 750 000 entrepreneurs en activité en 2022, soit 100 000 de moins qu’en 2000 ; le nombre d’entrepreneurs diminue chaque année depuis 2018, avec une baisse de -12% entre 2018 et 2022. Ainsi, le taux d’entrepreneurs parmi le total des actifs a baissé de 11% en 2000 à 7,5% en 2021, alors que le taux moyen pour les pays de l’OCDE est passé de 17,5% à 16% sur la même période (Annexe I). Parallèlement, et alors que 76% des propriétaires de PME – représentant 2 000 Md CAD (1 360 Md€) d’actifs - prévoient de passer le relais dans les 10 prochaines années selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), le taux de sorties avec cessation définitive des activités, mesuré en pourcentage de la population active, progresse : selon le Global Entrepreneurship Monitor, ce taux est passé de 3,7% en 2019 à 5,5% en 2022, le double d’il y dix ans ; le Canada se place au premier rang de ce classement parmi les pays du G7, devant les Etats-Unis (5,2%), l’Allemagne (3,4%), et la France (2,2%). L’OCDE note d’ailleurs que, en 2022, les Canadiens sont les plus averses au risque des pays du G7 en matière d’entreprenariat : 54% des Canadiens déclarent que « la peur de l’échec » les dissuade d’entreprendre, devant le Royaume-Uni (52%) et le Japon (48% ; Annexe II).

 

Des obstacles structurels entravent la croissance de PME au Canada

 

Les PME sont concentrées dans des secteurs à faible potentiel de croissance. La banque Desjardins observe une relation négative entre la part des travailleurs d’un secteur employés au sein de PME et le potentiel de croissance de ces PME. Ce résultat est particulièrement probant pour l’hébergement et la restauration, le commerce de détail et l’agriculture où les PME comptent respectivement pour 98%, 96%, et 98% des emplois (contre 85% en moyenne) et où la proportion des entreprises à fort potentiel de croissance - respectivement 2%, 2,5% et 3,5%- est inférieure à la moyenne canadienne (4%). Seule la construction se démarque avec une proportion d’entreprises à fort potentiel de croissance (5,4%), supérieure à la moyenne alors que les PME emploient 93% des travailleurs du secteur. 

Des conditions de financement plus difficiles que dans les autres pays du G7 limitent la croissance des PME. Selon l’OCDE, le financement des PME au Canada est essentiellement assuré par les banques : elles comptent en moyenne pour 84% du financement, contre 16% par des fonds d’investissement et des introductions en bourse ; ce modèle rapproche ainsi le Canada de la France et diffère des Etats-Unis. Ce résultat témoigne d’un manque d’appétit des investisseurs pour le private equity alors que les PME représentent pourtant deux tiers des entreprises cotées à la Bourse de Toronto (TSX). Or, les banques canadiennes rechignent à prêter aux PME : selon le think tank C.D. Howe, elles prêtent à des taux plus désavantageux que celles des autres pays du G7. L’écart de taux pour les prêts accordés en 2021 (dernier chiffre disponible) aux grandes entreprises et aux PME est de 2,3 points au Canada, loin devant l’Italie (1,6 point), le Royaume-Uni (1), la France (0,6) et les Etats-Unis (0,3). Cette différence renvoie à la structure du secteur bancaire, peu concurrentiel et privilégiant les grandes entreprises : selon l’OCDE, 12% des prêts aux entreprises sont dirigés vers les PME au Canada, contre 44% pour la moyenne OCDE, plaçant le Canada en dernière position de ce classement. Les PME canadiennes jeunes et prometteuses seraient les plus affectées par ces contraintes de financement : Statistique Canada indique qu’en 2021 (dernier chiffre disponible), 15% des PME de moins de deux ans ont des difficultés à se financer (contre 9% en 2018) - 10% pour les PME exportatrices (7,7% en 2018) et 12% pour les PME en forte croissance (10% en 2018) - contre 9,5% pour la moyenne des PME (7,7% en 2018 ; Annexe IV).

Les PME canadiennes prometteuses sont fréquemment la proie des investisseurs américains. Selon la Canadian Venture Capital association (CVCA), 32 % de toutes les opérations de capital-risque réalisées au premier semestre 2023 provenaient d’investisseurs américains. Si ce chiffre est inférieur au pic de 36 % atteint en 2021, le schéma global suggère une augmentation de la participation américaine, dépassant notamment les niveaux de 22 % en 2019. Le rachat de la startup canadienne de robotique Clearpath par l’Américain Rockwell en septembre 2023 pour 600 M USD en est la dernière illustration. Côté capital-investissement, la participation américaine atteint 15% au premier semestre 2023, le deuxième niveau le plus élevé depuis 2015. Le rachat de la PME de cybersécurité Magnet Forensics par le fonds américain Thoma Bravo en janvier 2023 pour 1,2 Md USD en est, là également, une illustration. A noter que la participation américaine se limite souvent aux opérations supérieures à 25 M CAD (18 M$), suggérant une concentration des investissements américains sur les entreprises d’une certaine taille.

Les PME canadiennes font face à un problème d’accès au marché intérieur et aux marchés extérieurs. Le marché canadien, déjà limité à 40 millions de personnes, est de surcroit régulièrement pointé du doigt par l’OCDE et le FMI pour ses contraintes provinciales, qui limitent les échanges interprovinciaux. ; à tel point que le gouvernement fédéral a dû négocier un accord de libre-échange pancanadien en 2017, dont la pleine application déçoit faute de volonté politique. Le FMI estimait en 2021 que ces restrictions internes équivalent à des droits de douane interprovinciaux de 20%. De plus, alors que le Canada se targue d’être le seul pays du G7 à disposer d’un accord de libre-échange avec tous les autres pays du G7, les PME canadiennes exportent peu hors Etats-Unis, à l’image du reste du commerce extérieur canadien (75% des exportations canadiennes dirigées vers les Etats-Unis) : selon Statistique Canada, ce dernier capte les trois quarts des exportations des PME canadiennes.

La pénurie de main-d’œuvre accroît les écarts entre grandes entreprises, la fonction publique et PME. La BDC note que le faible taux de chômage (5,7% en octobre 2023 contre 7% sur la moyenne 2010-2019) et le taux élevé de vacances de postes, au-dessus de la moyenne pré-pandémie (4% en septembre 2023 contre 2,8% sur la moyenne 2015-2019), créent un environnement favorable au salariat dans les grandes entreprises et la fonction publique, aux dépens de l’entreprenariat et de l’emploi dans les PME : le gouvernement fédéral estime que l’écart salarial sur la période 2016-2022 entre les grandes entreprises et les PME peut varier de 10%, pour les emplois à faible qualification, à 35,5% pour les postes à haute qualification ; la moyenne pour tous les emplois s’élève à 28%. Le Secrétariat du Trésor estime pour sa part que le nombre d’employés du gouvernement fédéral a augmenté de 24% entre 2019 et 2023 alors que le salaire horaire atteint 41 CAD/heure (28€) en 2022, soit 9% de plus qu’en 2019 et 28% de plus que la moyenne de l’économie canadienne.

Pour les PME déjà établies, la « guerre des talents » avec les Etats-Unis limite l’adoption de technologies. Selon Desjardins et BDC, le manque de ressources humaines en entreprise est la raison la plus souvent invoquée par les PME en 2022 (62%) pour ne pas adopter de nouvelles technologies (Annexe III). Cette limite est renforcée par le fait que 55% des entreprises canadiennes comptent moins de cinq employés, qui se concentreraient ainsi davantage sur la réalisation de leurs activités principales que sur l’optimisation de leur productivité. Selon l’OCDE seules 7% des petites entreprises et 38% moyennes entreprises canadiennes employaient des spécialistes en technologie de l’information et de la communication (TIC) en 2021, contre 55% pour les grandes entreprises canadiennes ; ce résultat place le Canada en-dessous de la moyenne OCDE, avec respectivement 15% et 40% des petites et moyennes entreprises qui disposent d’un spécialiste en TIC. Ce manque de spécialistes en TIC tient notamment à la « guerre des talents » à laquelle se livrent les entreprises canadiennes et américaines : le rapport 2023 de CBRE « Tech Talent » montre qu’en 2022 les entreprises américaines rémunéraient mieux les spécialistes en TIC que leurs homologues canadiens, de 33% à 100% en fonction des villes américaines.

 

Des réponses gouvernementales pour soutenir les PME

 

Le gouvernement fédéral a fait plusieurs annonces pour soutenir l’innovation des PME. En février 2023, le gouvernement a annoncé la création de la Corporation d’innovation du Canada (CIC). Dotée de 2,6 Md CAD (1,8 Md €) sur cinq ans à compter du budget fédéral 2023-2024, la CIC, société d’Etat, aura pour objectif de soutenir le financement des dépenses de R&D, le financement de l’adaptation des nouvelles technologies et l’achat de propriété intellectuelle, en complément du Fonds stratégique pour l’innovation (FSI), lancé en 2021 et doté de 200 M CAD (140 M€) pour la période 2021-2026 (Annexe V). Si la CIC aura la possibilité de proposer des financements jusqu’à 20 M CAD (14 M€) pour les projets « de grande envergure », la majorité de ses interventions devrait varier entre 50 000 CAD (40 000€) et 5 M CAD au (4 M€), et donc s’adresser majoritairement à des PME. Le gouvernement a aussi mis en place dans le budget 2021-2022 le Programme canadien d’adoption du numérique (PCAN), un programme d’un montant de 4 Md CAD (3 Md€) qui prévoit des subventions pouvant aller jusqu’à 15 000 CAD (11 000€) et des prêts sans intérêt pouvant aller jusqu’à 100 000 CAD (70 000€) pour les PME qui élaborent des plans d’adoption de solutions numériques ; une subvention supplémentaire de 7 300 CAD (5 000€) est prévue pour les PME qui embaucheraient un technicien en TIC. Enfin, le gouvernement a lancé en décembre 2022 le Fonds de croissance du Canada, doté de 15 Md CAD (11 Md€) et géré par des experts en investissement issus du fonds de pension fédéral PSP ; ce fonds intervient notamment de manière subsidiaire au marché pour soutenir les PME innovantes, avec l’objectif de limiter le risque pris par les investisseurs privés.

Le gouvernement fédéral multiplie aussi les programmes d’immigration pour répondre à la demande de main-d’œuvre qualifiée des PME. En juin 2023, le gouvernement fédéral a dévoilé sa nouvelle Stratégie pour les talents technologiques, qui sera présenté en fin d’année 2023. Le gouvernement envisage de supprimer l’étude d’impact sur le marché du travail préalable au recrutement de travailleurs pouvant appuyer les entreprises canadiennes en matière d’innovation, un processus coûtant plusieurs milliers de dollars par lequel un employeur doit démontrer l’impact positif sur le marché de l’embauche d’un non-Canadien. Le gouvernement envisage également la création d’un visa talent numérique d’une durée de cinq ans, ainsi que la création d’un visa de « nomade numérique » d’une durée de six mois, pour des étrangers qui souhaiteraient offrir des prestations de services en matière d’innovation technologiques.