Canada : une mise à jour budgétaire pour répondre à la crise du logement et du coût de la vie
Note du SER d'Ottawa sur l'énoncé économique d'automne de la Vice-première ministre et ministre des Finances Chyrstia Freeland.
La Vice-Première ministre et ministre des Finances, Chyrstia Freeland, a présenté la revue à mi-parcours du budget annuel sur fond de ralentissement économique, de crise du logement et d’inflation alimentaire élevée. Il en ressort un déficit prévisionnel inchangé pour l’exercice 2023-2024 à 40 Md CAD (30 Md€), malgré la détérioration des perspectives à moyen terme. En réponse à la pression forte qui s’exerce sur lui depuis l’été, le gouvernement a profité de cet exercice pour annoncer de nouvelles actions dans trois secteurs : répondre à la crise du logement, stabiliser le prix des aliments en stimulant la concurrence et poursuivre les efforts de décarbonation de l’économie canadienne. 13,2 Md CAD (8,9 Md€) de dépenses supplémentaires sont prévues sur les six prochaines années.
Si le gouvernement parvient à afficher un déficit constant pour l’année en cours, le ralentissement économique à l’œuvre dégrade les perspectives financières de moyen terme
Chrystia Freeland a présenté le 21 novembre sa mise à jour budgétaire dans un contexte de ralentissement économique et d’insatisfaction croissante face à la crise du logement et à l’inflation alimentaire. Anticipé de longue date, bien que repoussé à plusieurs reprises, l’atterrissage de l’économie canadienne est désormais bien réel : la croissance a connu un coup d’arrêt au deuxième trimestre 2023 (-0,2%) et la tendance devrait se confirmer au troisième trimestre. Statistique Canada indique que les mois de juillet et d’août ont été marqués par une croissance nulle ; les données préliminaires pour le mois de septembre suggèrent une croissance également nulle. La Banque du Canada et Statistique Canada expliquent ce ralentissement par l’effet croissant des hausses de taux passées (taux directeur à 5% en novembre) sur la demande agrégée, les feux de forêts de l’été 2023 et la grève des dockers du port de Vancouver. L’été 2023 a également été marqué par l’aggravation de la crise du logement : selon la Société canadienne de l’hypothèque et du logement (SCHL), l’agence fédérale du logement, il faudrait tripler le rythme actuel de construction de logements, aujourd’hui de 250 000 par an, pour stabiliser les prix d’ici 2030. Enfin, l’inflation alimentaire, bien qu’en net recul par rapport à son pic en janvier 2023 (10,4% en glissement annuel), demeure élevée, à 5,6% en octobre, soit 2,5 points de plus que l’inflation globale (3,1%). Dans ce contexte, le Parti libéral (centre/centre-gauche), au pouvoir grâce au soutien du Nouveau parti démocratique (gauche), fait face à une impopularité croissante, distancé en moyenne de 13 points dans les intentions de vote par son rival, le Parti Conservateur (cf. Annexe I).
Le ralentissement de l’économie a contraint le gouvernement à baisser les perspectives de croissance pour 2024. Profitant d’une croissance plus forte qu’anticipé au premier trimestre 2023 (2,6% en annualisé contre 2,3% attendu), la croissance canadienne devrait atteindre 1,1% en 2023, contre 0,3% prévu dans le budget en mars dernier. Toutefois, le ralentissement marqué au deuxième trimestre 2023, plus fort qu’anticipé (-0,2% PIB contre 1,1% prévu) et qui devrait se prolonger tout au long du premier semestre 2024, a conduit le gouvernement à baisser la prévision de croissance en 2024 (0,4% prévu contre 1,5% dans le budget de mars). La normalisation de l’activité économique est désormais attendue en 2025, avec un taux de croissance globalement stable par rapport à mars 2023 (2,2% attendu contre 2,3%). Le scénario de base du gouvernement fédéral, qui rejoint le consensus des observateurs (secteur bancaire, universitaires, think tank), écarte à ce stade l’éventualité d’une récession pour les mois à venir, tablant plutôt sur une croissance nulle (Annexe II, Fig. 1)
Ce ralentissement dégrade les perspectives de moyen terme des finances publiques, avec en particulier une forte augmentation de la charge de la dette. Dans son scénario de base, les prévisions de déficit public pour l’exercice fiscal 2023-2024 restent inchangées par rapport au budget de mars, à 40 Md CAD (30 Md€), soit 1,4% du PIB (42,4% de dette nette/PIB), le gouvernement ayant choisi de financer ses nouvelles dépenses en partie grâce au surplus de rentrées fiscales de 8 Md CAD (5,3 Md€) enregistrés au premier trimestre 2023. Toutefois, le ralentissement à l’œuvre de l’économie canadienne devrait réduire de 18,7 Md CAD (13 Md€) les rentrées fiscales sur les cinq prochaines années, conduisant, par rapport aux précédentes projections, à une dégradation du déficit public en 2024-2025 (-1,3% contre -1,2% dans le budget de mars), en 2025-2026 (-1,2% contre 0,9%), en 2026-2027 (-0,8% contre 0,5%) et en 2027-2028 (-0,7% contre -0,4%). Le coût de l’endettement progresse également nettement, avec un bond de 11,5 Md CAD pour la seule année en cours (46,5 Md CAD contre 35 Md) : la moyenne des taux d’intérêt pour les obligations du gouvernement fédéral de 1 à 3 ans est passé de 1,5% en mars 2022, veille du resserrement monétaire, à 4,4% en novembre 2023 ; parallèlement le taux moyen pour les obligations de long terme (5 à 10 ans) est passé de 1,8% à 3,7%. Malgré ces vents contraires, le gouvernement s’est engagé à maintenir le déficit public en dessous de 1% à partir de l’exercice fiscal 2026-2027 et anticipe toujours, comme énoncé dans son budget de mars 2023, un quasi-retour à l’équilibre budgétaire d’ici 2028-2029, avec un déficit attendu à 0,5% PIB. Ce résultat remmènerait le ratio de dette nette/PIB du Canada à 39,1%, en dessous de l’ancrage fiscal fixé par le gouvernement fédéral depuis la pandémie de COVID à 40% (Annexe II, Fig. 2).
Afin de maintenir l’objectif d’un retour sous les 40% de dette publique à horizon de la fin de la décennie, le gouvernement libéral a également rappelé son objectif, esquissé dans le budget de mars 2023, d’un nouveau train d’économies de 2,6 Md CAD (1,7 Md€) de dépenses de fonctionnement sur six ans. Le gouvernement avait prévu dans le budget de mars 2023 une « réorientation des dépenses publiques » en exigeant des ministères et organismes publics de réduire leurs dépenses de 3%, notamment sur le poste de conseil et de voyages (objectif de -15%). L’énoncé économique de novembre étend les efforts annoncés en mars 2023 et les prolongera dans le temps avec l’objectif d’une réduction supplémentaire de 2,6 Md CAD (1,7 Md€) des dépenses de fonctionnement sur les six prochaines années. Le gouvernement s’est également engagé à fixer une nouvelle cible de réduction des dépenses publiques à partir de l’exercice fiscal 2025-2025, sans toutefois plus de détails à ce stade (Annexe III).
Des nouvelles dépenses dirigées vers la réponse à la crise du logement, du coût de la vie, et l’extension des crédits d’impôt en matière de transition énergétique
La réponse à la crise du logement constitue la priorité de ce mini-budget, avec trois axes : soutien à la construction de nouveaux logements, encadrement des révisions des prêts hypothécaires et lutte contre les locations de court terme. Le gouvernement allouera dès l’année fiscale 2025-2026 au titre du « Programme de prêt pour la construction d’appartement » 15 Md CAD (10 Md €) sous forme de prêts à taux bas sur 10 ans à la SCHL. L’agence fédérale sera chargée de distribuer ces fonds au secteur privé pour soutenir la construction de 38 000 nouveaux logements locatifs sur six ans. La suppression de le TVA pour la construction de nouveaux logements locatifs, annoncée en septembre 2023, devrait coûter 4,6 Md CAD (3 Md€) sur six ans. 1 Md CAD (700 M€) en financement direct du gouvernement fédéral à travers la Banque d’infrastructure canadienne seront fléchés à la construction de logements pour les ménages modestes et 340 M CAD (230 M€) à la construction de nouveaux appartements. De surcroît, Chyrstia Freeland a annoncé la création d’une « Charte hypothécaire canadienne », qui devrait encadrer de manière non-contraignante les renégociations du taux des emprunts hypothécaires[1] entre les propriétaires et les banques dans les mois à venir alors que nombre des ménages sont très exposés à la hausse des taux d’intérêt : RBC estime qu’un total de 900 Md CAD (700 Md €) de dette hypothécaire seront renouvelés entre 2024 et 2026, à un taux plus élevé compte tenu du coût d'emprunt actuel (taux hypothécaire fixe à 5 ans moyen de 5,7% en novembre 2023, contre 2,5% en mars 2022 ; 6,7 % en novembre 2023 pour le taux hypothécaire variable, contre 1,5% en mars 2022 selon la Banque centrale). Enfin, le gouvernement entend davantage encadrer les plateformes de location à court terme : les propriétaires ne pourront plus déduire de leurs impôts les frais de location pour les biens en location à court terme dans les municipalités où des restrictions sur les locations à court terme sont déjà en place (Annexe III).
Face à une inflation persistante, le gouvernement fédéral annonce une réforme de la Loi sur la concurrence. Chrystia Freeland a annoncé « les plus importantes [modifications] de notre génération » concernant cette loi, qui devraient se concentrer sur la répression des « prix abusifs » pratiqués par les grandes entreprises des secteurs en situation d’oligopole. Une mesure qui cible particulièrement le secteur de distribution alimentaire, soupçonné depuis un an par le Bureau de la concurrence et le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des Communes d’avoir amplifié la hausse du coût des intrants sur le prix des aliments. Ces modifications complèteront le projet de réforme C-56 engagé en septembre 2023 et actuellement en seconde lecture à la Chambre des Communes, qui prévoit : 1) d’accroître les pouvoirs du Bureau de la concurrence afin de l’autoriser à assigner en justice les entreprises qui refuseraient de partager certaines informations financières dans le cadre d’étude de marché, comme cela avait été le cas pour l’étude concernant la distribution alimentaire ; 2) de supprimer la clause qui permet à une entreprise de justifier une fusion à caractère anticoncurrentielle par des gains d’efficience au niveau de l’industrie ; 3) de donner la possibilité au Bureau de la concurrence d’annuler un accord entre deux entreprises qui aurait un effet anticoncurrentiel, notamment lorsqu’elle entrave l’entrée de nouveaux acteurs sur un marché. Pour rappel, les cinq grands acteurs de la distribution alimentaires (Metro, Loblaws, Sobbey, Walmart, Costco) n’avaient fait aucune annonce à la suite des injonctions du gouvernement en octobre 2023 visant à stabiliser le prix des aliments.
Le gouvernement fédéral précise les subventions industrielles promises à Stellantis et Volkswagen, ainsi que les crédits d’impôts relatifs à la transition énergétique. L’impact budgétaire des aides industrielles à la construction des usines de batteries pour véhicules électriques de Volkswagen et de Stellantis a été détaillé : le gouvernement estime que ces aides coûteront 8,5 Md CAD (5,7 Md€) sur les six prochaines années. En outre, Chyrstia Freeland a annoncé l’élargissement à de l’admissibilité au crédit d’impôt de 30% à « l’investissement dans les technologies propres » et au crédit d’impôt de 15% pour « l’investissement dans l’électricité décarbonée » pour la biomasse, pour un montant de 850 M CAD (570 M€) sur six ans. Le crédit d’impôt de 30% est ouvert aux investissements à compter du 21 novembre 2023 tandis que le crédit d’impôt de 15% est rétroactivement admissible pour tous les projets dont la construction remonte au 28 mars 2023 au plus tôt (Annexe III & Annexe IV).
Le gouvernement repousse en revanche à plus tard l’annonce de réforme de l’assurance-médicaments. Porté par le NPD, qui en fait une des conditions de son soutien au gouvernement libéral minoritaire, le régime universel défendu permettrait le remboursement partiel des médicaments pour les particuliers. Actuellement, la prise en charge moyenne du prix des médicaments par les régimes de santé provinciaux et les assurances privées est de 40% alors que le Canada est le 3ème pays de l’OCDE aux prix des médicaments les plus élevés. L’annonce de cette réforme, pourtant attendue lors de la mise à jour économique, n’a toutefois pas eu lieu ; Jagmeet Singh, chef de file du NPD, a indiqué que les négociations entre les libéraux et les néodémocrates étaient toujours en cours.
[1] Au Canada, comme au Royaume-Uni, les prêts à taux fixes sont renégociés tous les 2,3 ou 5 ans en fonction des termes du contrats entre la banque et l’emprunteur. Le montant de la mensualité peut varier plusieurs fois au cours du cycle de vie du crédit selon l’évolution du taux d’intérêt directeur.