Principalement publique, la forêt canadienne, qui présente un profil très contrasté entre l’Est et l’Ouest du pays, a connu une lente érosion de son poids économique et de son attractivité. Dans ce contexte, l’importance croissante donnée aux enjeux de durabilité constitue un défi que chacune des provinces, compétente en la matière, tente de relever diversement.

Un secteur forestier très contrasté, confronté de manière transversale au défi de son exploitation

Si l’Ouest du pays présente un écosystème sylvicole encore robuste, porté par la monoculture industrialisée, les forêts orientales apparaissent plus diverses dans leur nature et dans leur emploi. En Colombie-Britannique, 5,4 millions d’hectares de forêts anciennes sont protégés et seulement 200 000 des 57 millions d’hectares de forêt de la province sont récoltés chaque année. Ceux-ci sont principalement utilisés en tant que bois d’œuvre ou bois de construction, engendrant une préférence pour la monoculture. Ce secteur représente encore 29% des exportations de la Province, soit 11,5 milliards de CAD (7,97 milliards d’euros), principalement au profit du marché américain. A l’Est du pays, dans les forêts de l’Ontario et du Québec, les usages sont plus variés : production primaire au nord de l’Ontario, fabrication de meubles plus au Sud, production de sirop d’érable ou encore matières premières pour l’industrie de pâtes et papiers (cf annexe 1). Au Nouveau-Brunswick, autre importante province forestière (6,1 millions d’hectares de forêt pour une superficie totale de 7,2 millions d’hectares), les forêts publiques ne représentent que 56% du domaine forestier de la province, soit bien moins que partout ailleurs au Canada (en moyenne, les forêts publiques représentent plus de 90% du parc) ; moins de 2% (soit 60 000 hectares) des forêts publiques sont exploitées chaque année.

Alors que l’exploitation économique de ces forêts tend à baisser, les provinces canadiennes redoublent d’efforts pour maintenir l’attractivité du secteur. Alors que le secteur forestier représentait l’un des moteurs historiques de l’économie canadienne, sa place relative s’est progressivement érodée, avec une accélération dans la période récente. Le nombre d’emplois de ce dernier a ainsi baissé de 42% entre 1997 et 2016, alors que sa part relative dans les exportations du pays, encore de 12% en 1997, n’est plus que de 6% aujourd’hui[1]. La perte d’attractivité de ce secteur, réputé difficile et dangereux, semble être l’une des causes de cet affaiblissement, avec en 2021 un nombre d’emplois non pourvus ayant atteint un un niveau record. Afin de répondre à cette situation, les provinces redoublent d’efforts. Au Québec, où le secteur représente 80 000 emplois directs, Forêts Compétences, un comité sectoriel québécois de main d’œuvre spécialisé dans l’aménagement forestier, rassemblant à la fois les grandes organisations patronales et syndicales, mène des actions de sensibilisations, comme « Viens vivre la forêt » qui fait découvrir aux collégiens et lycéens les métiers de la forêt, ou encore le site « Touche du Bois » qui répertorie les différents métiers et offres d’emploi. Afin de renforcer la formation, Forêts Compétences prend également en charge la moitié du coût de la formation lors d’un apprentissage, le reste étant payé par l’entreprise. Enfin, l’organisation développe des formations équivalentes aux compagnons du devoir en France, ainsi que des formations continues « d’intégration en emploi » pour opérationnaliser sur le terrain les compétences des jeunes diplômés. En Colombie-Britannique, où plus de 50 000 emplois directs relèvent du secteur forestier, la province a développé plusieurs programmes pour créer et soutenir les emplois dans le secteur, mais aussi pour mieux gérer les déchets en les réutilisant pour les usines de pâtes et papier: Coast Forest Sector Revitalization[2] pour les forêts côtières, Interior Forest Sector Renewal[3] pour les forêts intérieures[4], et Declaration on the Rights of Indigenous People Act pour favoriser l’intégration et la collaboration avec les Premières Nations dans ce secteur.

Le renforcement de la durabilité des forêts canadiennes constitue un nouvel enjeu, que les autorités tentent de concilier avec celui de leur viabilité économique

Le Canada a accru la protection de ses forêts ancestrales, puits de carbone centenaires et lieux de vie pour les Premières Nations, au risque selon certains de dégrader la viabilité économique du secteur. En Colombie-Britannique, plusieurs programmes sont destinés à protéger les forêts ancestrales, comme par exemple A New Future for Old Forests[1]. Ce rapport, élaboré sur la base d’avis des parties prenantes (industries, habitants, autochtones), développe 14 recommandations pour un aménagement et une gestion durable des forêts anciennes, comme la création d’un programme d’innovation sylvicole visant à développer des méthodes d’exploitation alternatives à la coupe à blanc, un report de l’abattage des vieux arbres, un engagement à collaborer avec les populations autochtones pour prendre en compte leur histoire et leurs souhaits, ou encore la priorisation de la santé et la résilience de la forêt par rapport à son exploitation. En complément, le programme Special Tree Regulation protège 1 500 arbres particulièrement larges et anciens. Cette stratégie a toutefois fait l’objet de critiques de plus en plus fortes de la part des acteurs économiques, qui estiment qu’elle affecte la viabilité du secteur. Dans un environnement de plus en plus concurrentiel, la baisse de l’Allowable Annual Cut, qui détermine la quantité de bois pouvant être coupée par zone, réduit en effet leurs marges. La baisse prévisionnelle 63 millions de m3/an (36 % des forêts) à 56 millions de m3/an d’ici 2026 constitue à cet égard un défi, notamment pour l’aval (scieries).

De nombreuses recherches sont faites pour mieux concilier aménagement de la forêt, protection, résilience, absorption de carbone et productivité. Par exemple, dans la forêt Montmorency (QC), des simulations de scénarios ont permis de montrer que le meilleur moyen pour augmenter la captation de carbone, tout en continuant d’exploiter la forêt, était dans un premier temps de diminuer les coupes, voire de les stopper complètement à certains endroits, pour permettre à la forêt et à la biodiversité de se régénérer entièrement, avant, au bout de 20 ou 40 ans, de reprendre la récolte de bois ; une stratégie à conjuguer, selon les auteurs de ces recherches, avec des coupes partielles et des replantations, en mettant l’accent sur la diversité des espèces et des structures afin d’éviter une uniformisation des forêts. Dans le même esprit, les certifications de durabilité se développent. La Sustainable Forestry Initiative (SFI), mise en place au Canada et aux Etats-Unis, propose ainsi une attestation de la durabilité de la gestion des forêts. Pour y prétendre, les parcelles doivent démontrer l’augmentation de la captation de carbone[2] ainsi que l’amélioration de la résilience face aux feux de forêt, via un aménagement adapté et une coupe raisonnée[3]. De même, en Ontario, la Stratégie pour le secteur forestier en Ontario[4] vise à promouvoir une gestion durable des forêts tout en doublant la quantité de bois exploité.

Enfin, le Canada est à la pointe de la réflexion sur les essences à utiliser pour augmenter la productivité des plantations et la résilience des écosystèmes face au réchauffement climatique et à la multiplication des feux de forêt. Le Ministère chargé des forêts du Québec a notamment développé un Indice de Qualité Station (IQS) pour montrer l’efficacité des plantations plurispécifiques et déterminer les essences à privilégier en fonction de son écosystème : quelles essences sont plus adaptées à un milieu donné ? Quelles essences sont à combiner pour obtenir de meilleurs résultats en matière de production, de résilience face aux maladies, à la sécheresse et aux feux de forêts, et de conservation et de protection de la biodiversité ? Ces recherches ont par exemple montré qu’il est souvent plus efficace de se limiter à deux espèces, éloignées l’une de l’autre sur le plan génétique et sur leur besoins et propriétés, afin qu’elles soient davantage complémentaires. En Colombie-Britannique, un programme de recherche de 80 chercheurs dépendant du ministère des forêts établit des « seed zones », qui déterminent les essences et les graines, endémiques à chaque zone, que l’industrie doit replanter après exploitation des terres de la Couronne (représentant plus de 90% de la surface forestière). Avec le réchauffement climatique et le déplacement vers le nord des essences qui en découle, des modèles scientifiques ont été créés (Climate based Seeds Transfert model) pour évaluer le mouvement des seed zones et modifier en conséquence les choix de replantation. Grâce à l’antériorité de ce programme, la Colombie-Britannique a cartographié tous ses écosystèmes forestiers et prend en compte la biodiversité et l’état des sols pour déterminer le choix des essences à replanter [5]. Malgré les réticences de l’industrie forestière, qui privilégie une monoculture plus facile à exploiter, l’approvisionnement en graines est effectué par le Tree Seed Center en fonction des seed zones. Ce sont en effet ces centres qui regroupent et distribuent les graines de toutes les essences présentes dans la Province, avec des catégories fondées sur les caractéristiques génétiques des graines, telles que la vitesse de pousse, le volume produit, la résilience aux maladies, etc.



[4] Cette distinction est nécessaire car les conditions ne sont pas les mêmes en fonction des forêts : les forêts intérieures ont par exemple été beaucoup plus dévastées par les invasions d’insectes.