La sécurité alimentaire est une priorité politique qatarienne depuis l'interruption des importations en provenance des pays du Quartet lors du blocus instauré en 2017. Dans le cadre du plan quinquennal 2018-2023, le gouvernement a investi massivement dans des filières de production locale pour les denrées périssables ainsi que dans la constitution de réserves stratégiques. Le nouveau plan 2023-2030 fait apparaître de nouvelles opportunités pour les entreprises agroalimentaires françaises.

1/ Les tensions entre le Qatar et ses voisins en 2017 ont sont à l’origine de la première stratégie de sécurité alimentaire 2018-2023 du Qatar.

Le Qatar est dépendant des importations agro-alimentaires pour son alimentation. En 2022, le Qatar a importé 4 Mds USD de produits alimentaires, soit une hausse de 33% par rapport à 2021 (3 Mds USD). Le premier poste d’importation du pays est la viande (17%), suivi des fruits (9%) et des animaux vivants (7%). Avant 2017, l'Arabie saoudite et les EAU représentaient 28 % des importations agroalimentaires du Qatar. Afin de réduire son exposition aux chocs externes, la stratégie 2018-2023 vise une diversification des partenaires commerciaux du Qatar.

La stratégie repose également sur le développement d’une filière locale pour atteindre une relative auto-suffisance. En cinq ans, le volume de la production alimentaire du Qatar a augmenté de 31 % : 322 % pour les produits laitiers, 222 % pour les céréales, 94 % pour les œufs, 67 % pour la viande et 9 % pour le poisson. Conformément aux objectifs de la stratégie pour 2023, la production locale couvrirait désormais la totalité des besoins en produits laitiers (contre 10% avant le blocus) et en volaille. Ces objectifs ne sont pas encore tous atteints. L'offre locale de poisson couvrirait 30 % de la consommation contre un objectif de 90 %, tandis que la production de viande représenterait 19 % du marché contre un objectif de 30 %.  Un retard aurait été pris dans la production de légumes (environ 40 % d'autosuffisance en 2022 contre l'objectif de 70 % fixé pour 2023).

 

2/ L’Etat qatarien intervient pour soutenir son secteur agroalimentaire.

Le secteur attire peu d’investissements privés. Pour pallier la fertilité limitée des sols et le manque d’eau, les exploitants doivent investir dans des technologies de pointe coûteuses : serres ou verrières climatisées, installations pour l’hydroponie et l’aquaponie, systèmes de désalinisation et d’irrigation, et plus récemment, cultures verticales. Même pour les fermes les mieux équipées, la période de production reste en moyenne très courte, d’octobre à mars.

La stratégie de sécurité alimentaire est principalement le fait d’une forte intervention des acteurs institutionnels publics. Hassad Food, filiale agro-alimentaire du fonds souverain QIA, contrôle un éventail de sociétés de premier plan dans le secteur agricole local : Qatfa (plus grande ferme du Qatar), Mahaseel (distribuant plus du quart des produits agricoles locaux, achetés à prix bas mais fixe aux producteurs locaux), Widam, (premier distributeur local de viande fraîche) et Al-Waha, (enseigne qui a grandement contribué à l'autosuffisance en poulet frais du pays). L’entreprise opère également de nombreuses infrastructures stratégiques : marchés de gros, terminaux portuaires, espaces de stockage, abattoirs, etc. A l'étranger, Hassad Food investit dans la diversification des partenaires commerciaux et dans la constitution de réserves stratégiques [1]. Autre acteur majeur, la Qatar Development Bank (QDB) finance de nombreux programmes agricoles. En outre, le soutien du gouvernement qatarien a contribué à l’émergence du champion national des produits laitiers Baladna, leader sur le marché du lait frais et UHT (87% et 80% de parts de marché)[2].

 
3/ La mise à jour de la stratégie de sécurité alimentaire du Qatar présente de nombreuses opportunités pour les entreprises françaises. La coopération institutionnelle bilatérale en cours, constitue un élément moteur.
 

2022 marque une reprise de nos exportations agroalimentaires vers le Qatar, en hausse de 66% pour atteindre 103,5 M USD. Pour rappel, 2021 avait était marqué par une chute à hauteur de 40% des exportations de produits agricoles et agroalimentaires vers le Qatar (62,4 M USD), en partie expliquée par la pandémie. En 2022, la France est le 8ème fournisseur de produits agricoles et agroalimentaires du Qatar avec une part de marché de 2,5%.  

Le partenariat entre Bel et le champion national Baladna comprend la coproduction de produits laitiers de marques françaises au Qatar à destination des consommateurs qatariens.

La coopération institutionnelle en matière de « sécurité alimentaire » progresse. La France et le Qatar ont signé en 2018 une déclaration d’intention instituant une coopération bilatérale en matière de sécurité alimentaire. Elle s’est depuis traduite par quatre sessions d’échanges courant 2021, réunissant à chaque fois des dizaines d’acteurs institutionnels et privés des deux pays[3].

La stratégie d’autonomie agroalimentaire du Qatar, source potentielle de partenariats avec l’expertise française. Le port Hamad fait aujourd’hui l’objet de projets d’extension, comprenant des terminaux de conteneurs et de stockage de denrées alimentaires de base (huiles, sucres, céréales). Les entreprises françaises pourraient également développer des partenariats avec Hassad Food dans des pays tiers

Le secteur agricole qatarien présente des besoins qui peuvent se traduire en opportunités pour les entreprises françaises. La QIA est intéressée par des investissements dans l’agritech européenne et a mené la levée de fonds de 250 M USD d’Innovafeed, start-up française spécialisée dans la production de protéines à base d’insectes pour la nourriture de bétail. D’autres enjeux sont cruciaux pour le Qatar : l’allongement de la période de production, l’approvisionnement en nourriture de bétail, le développement d’une filière aquacole ou encore la détection des maladies animales. Enfin le modèle agricole est intrinsèquement lié à d’autres thématiques telles que l’économie circulaire dans les exploitations agricoles.

 

Importations de produits agricoles et agroalimentaires du Qatar par pays (2022)

s

--------------------------------------------

 

[1] Hassad Food avait historiquement pour mission d’acheter des terres arables dans des pays tiers. Ces acquisitions ont été remplacées par des investissements dans des entreprises de transformation et des partenariats avec des exploitations étrangères assurant l’approvisionnement continu de certains produits en échanges d’investissements clés dans le pays partenaire.

[2] Baladna avait importé 4 000 vaches en 2017. Valorisé à 2,5 Mds USD sur la bourse du Qatar, le groupe tente aujourd’hui d’exporter son modèle.

[3] La stratégie alimentaire 2023-2030 devrait être publiée par le Ministère des Municipalités fin 2023. Elle a été élaborée par un comité ad-hoc présidé par le département de la sécurité alimentaire.