La Corée se considère particulièrement bien positionnée pour s’imposer comme un des leaders mondiaux dans ce domaine, en raison à la fois du comportement de ses consommateurs, de la modernité de ses infrastructures numériques ou du potentiel de son écosystème privé qui comprend les grands groupes comme Samsung et Hyundai. Les pouvoirs publics souhaitent laisser libre cours à l’innovation, tout en anticipant des problématiques tant sur le plan économique qu’éthique et sociétal.

Les pouvoirs publics coréens ont inscrit le métavers à l’agenda de leur politique de relance post-Covid. Sur les 120 milliards d’euros du plan de relance coréen, 36 milliards d’euros sont destinés au numérique dont 2 milliards d’euros fléchés vers le métavers à horizon 2025. Fin janvier 2022, le ministère des sciences et technologies de l’information a dévoilé un « plan stratégique pour les nouvelles industries du métavers » doté d’une enveloppe publique de 400 millions d’euros pour l’année 2022. L’objectif de ce plan est de faire de la Corée l’un des cinq premiers marchés métavers au monde et de créer 220 entreprises de plus de 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans ce secteur d’ici 2026.

Le monde académique coréen s’est intéressé au concept de métavers à la fin des années 2000, peu après l’invention de ce terme aux Etats-Unis, le définissant autour de quatre grands axes  : la convergence (convergence entre monde réel et virtuel, convergence entre secteurs d’innovation) ; l’immersion, pouvant notamment passer par un casque de réalité virtuelle ; le jumeau virtuel, qui peut être une personne (avatar) ou la réplique d’un objet ou d’une installation (ex. voiture, usine) et le développement de nouvelles formes de monétisation des contenus, impliquant notamment les utilisateurs eux-mêmes. La Corée maintient néanmoins un flou volontaire autour de la notion de métavers, afin de laisser le secteur privé s’emparer du concept.

La qualité de ses infrastructures, le dynamisme de son écosystème et le comportement de ses consommateurs font de la Corée un terrain fertile pour le développement du métavers. Avec le taux de couverture 5G le plus élevé au monde (93 %), l’infrastructure de télécommunications coréenne est en mesure de supporter le débit nécessaire pour permettre l’interface entre le monde réel et ces mondes virtuels. La Corée dispose en outre d’un écosystème dynamique, composé de leaders mondiaux dans des secteurs associés au métavers, comme l’électronique (Samsung, LG), les plateformes numériques (Kakao, Naver) qui résistent de façon remarquée aux acteurs américains, ou encore les entreprises de jeux vidéo. Enfin, le consommateur coréen, réputé pour être hyperconnecté, technophile et adoptant rapidement les nouveaux usages et tendances, se distingue par une très forte propension à acheter en ligne, y compris dans les secteurs traditionnellement peu ouverts à ce type de canal, comme les produits de luxe. Il en va de même s’agissant de la consommation de produits culturels, avec par exemple l’organisation de concerts de K-pop dans le métavers, les artistes intervenant par le biais d’avatars.

Les groupes coréens abordent le potentiel du métavers sous des angles différents et complémentaires. Il y a tout d’abord les entreprises ayant lancé leur propre plateforme métavers, comme Naver avec Zepeto (200 millions d’utilisateurs dont 95 % à l’étranger), SK Telecom avec Ifland (lancement prochain dans 80 pays) mais aussi les grands studios coréens de jeux vidéo qui développent de nouvelles plateformes permettant au joueur de monétiser son activité. Il y a ensuite les entreprises misant sur le métavers comme un vecteur supplémentaire de vente, en proposant aux utilisateurs des expériences virtuelles immersives les amenant in fine vers l’achat de leurs produits, comme Samsung, Lotte et Hyundai qui ont lancé leur boutique dans le métavers. Il y a enfin les entreprises souhaitant se positionner sur des briques technologiques sous-jacentes au métavers, que ce soit au niveau hardware (Hyundai avec ses projets de robots pilotés à distance via des usines virtuelles, Samsung avec le lancement prochain d’un nouvel appareil d’immersion) ou software, comme Kakao qui souhaite se positionner spécifiquement sur les technologies blockchain et NFT appliquées au métavers.

Les pouvoirs publics coréens semblent s’orienter vers une régulation a minima du métavers, laissant le soin aux acteurs privés de s’autoréguler. La majorité et l’opposition parlementaires ont en effet déposé respectivement deux propositions de loi en faveur du développement du métavers en décembre 2021 et janvier 2022, les deux textes s’accordant sur le fait de laisser principalement la main aux acteurs du marché. Ceci n’empêche pas les pouvoirs publics coréens et les entreprises d’anticiper un certain nombre de problématiques. Sur le plan économique, on peut citer les équilibres de modèles économiques entre vente d’objets réels et virtuels et la remise en cause de certains intermédiaires de ventes. Se pose également l’enjeu de préservation de conditions équitables de concurrence, lié notamment à la question de l’interopérabilité des métavers, ou encore celui de l’encadrement juridique des NFT, ces actifs étant à ce stade prohibés en Corée dans les jeux vidéo. On peut également anticiper que certains débats seront ravivés par le métavers en Corée, comme celui sur le traitement et le stockage des données, ou encore sur le risque de subordination de certains services (médecine, service administratifs, éducation) à des plateformes privées.