Quel avenir pour l’industrie des pipelines au Canada dans une économie verte ?
Dans un contexte de transition vers un modèle de croissance plus durable, l’industrie pipelinière demeure un secteur incontournable de l’économie canadienne, assurant l’approvisionnement en hydrocarbures entre provinces, la consommation nationale et les exportations canadiennes. Une industrie qui pourrait également profiter de nouvelles opportunités (ex : transport de l’hydrogène) ainsi que d’un renforcement de son efficience.
1/ L'industrie du pipeline est incontournable à l'économie canadienne actuelle
Avec ses 840 000 km de pipelines, le Canada possède un des plus grands réseaux de pipeline au monde. Le secteur des hydrocarbures soutient 740 000 emplois directs et indirects et représente 11% du PIB canadien en 2021. Le cœur du réseau se situe dans la province de l’Alberta, principale province de production d’hydrocarbures, d’où les pipelines fournissent plusieurs marchés : vers l’ouest jusqu’en Colombie-Britannique, d’où les hydrocarbures sont exportés à destination de la côte ouest américaine et de l’Asie; vers le nord pour approvisionner les communautés isolées des Territoires du Nord-Ouest ; vers le sud jusqu’au Texas ; et vers l’est jusqu’aux Provinces Atlantiques, pour la consommation domestique et les exportations vers l’Europe et la côte est des Etats-Unis. (Annexe 1)
En 2021, malgré la lame de fond de la décarbonation de l’économie canadienne, l’industrie continue de se développer avec notamment le remplacement de la ligne 3 d’Enbridge (annexe 3). Les travaux de remplacement de la ligne 3 d’Enbridge, de l’Alberta à la pointe du lac supérieur dans le Minnesota, se sont achevés en octobre 2021. Ce remplacement avait pour but d’équiper le pipeline, construit dans les années 60, de technologies plus récentes pour accroître sa fiabilité. Ils augmenteront de 370 000 barils par jour la capacité du réseau Mainline d’Enbridge pour atteindre 3,2 millions de barils par jour, absorbant ainsi la hausse de la production canadienne et de la demande nord-américaine. Les autres principaux réseaux d’oléoducs sont le Keystone de TC Energy (590 000 barils/jour) et le Trans Mountain de Kinder Morgan (300 000 barils/jour). Côté gazoduc, le Réseau de Nova Gas Transmision Ltd (475 M de mètres cubes/jour) et la canalisation principale de TC Energy (445 M de mètres cubes/jour) sont les plus importants.
Les pipelines sont essentiels pour l’approvisionnement entre provinces, la consommation nationale et l’exportation des hydrocarbures (80% de la production) vers les Etats-Unis, principal et quasi unique client. Les pipelines permettent avant tout de redistribuer le pétrole dans l’ensemble du pays, notamment dans certaines provinces qui n’ont pas ou très peu de ressources pétrolières sur leur sol mais possèdent d’importantes capacités de raffinages (20% des capacités nationales en Ontario et 19% au Québec) avant de les distribuer sur le marché intérieur (20% de l’ensemble de la production canadienne) ou de le destiner aux exportations (80% de la production). En 2020, le Canada était le 4ème exportateur d’hydrocarbures dans le monde, avec des exportations de 58,4 Md CAD (41 Md€), soit 23% des exportations totales canadiennes. Environ 99% des exportations de gaz et 88% des exportations de pétrole sont acheminées par pipelines (Annexe 1). Les Etats-Unis représentent le premier et quasi unique client pour les exportations d’hydrocarbures, représentant 100% des exportations de gaz et 97% des exportations de pétrole, dont la quasi-totalité s’effectue via pipeline (hormis vers Hawaï et l’Alaska), tandis que les 3% restants sont principalement exportés vers l’Europe (2,5%) et l’Asie (0,5%). Ce réseau permet ainsi au Canada d’exporter 3,21 millions de barils par jour en 2020.
Etant donné l’importance des Etats-Unis pour le secteur, le Canada cherche à diversifier ses clients et compte notamment sur l’expansion du Transmountain (Annexe 5). Racheté en 2018 par le gouvernement pour 4,5 Md CAD (3 Md €) à la compagnie pétrolière texane Kinder Morgan, cette expansion a pour but de faire passer la capacité du pipeline de 300 000 barils/jours à 890 000 barils/jour, permettant de multiplier par sept le nombre de pétroliers chargés au port de Vancouver d’ici 2023, afin d’alimenter les besoins croissants des marchés asiatiques.
2/ L’industrie fait face à de nombreuses critiques, sur des fondements à la fois environnementaux et liés aux territoires des Autochtones
Une grande partie des pipelines canadiens étant transfrontaliers avec les Etats-Unis, ils provoquent un nombre croissant de tensions bilatérales, souvent en lien avec des revendications écologiques. Au cours des dernières années, les pipelines canadiens ont ainsi été soumis à une opposition croissante des Etats-Unis. Le cas le plus emblématique est le projet Keystone XL qui devait raccourcir le tracé du Keystone en passant par le Montana, la Dakota du Sud et le Nebraska (Annexe 6). Proposé en 2008 par TC Energy, le projet essuie d’abord un refus de Barack Obama, avant de recevoir l’approbation de Donald Trump, puis d’être finalement enterré par Joe Biden dès le premier jour de son mandat. TC Energy, qui a investi 1,8 Md CAD (1,3 Md€) dans le projet a demandé, fin novembre 2021, une compensation à Washington pour les investissements perdus, en faisant appel au chapitre 11 de l’ALENA sur le mécanisme de protection des investisseurs - qui demeure en vigueur jusqu’en 2023 malgré l’entrée en vigueur d’un nouvel accord Canada-Etats-Unis-Mexique à l’été 2021. Mais d’autres projets suscitent également des oppositions, comme la ligne 5 d’Enbridge, qui traverse une partie du Michigan et le détroit de Mackinac (Annexe 7), au centre d’un différend environnemental de longue date entre Enbridge et l’Etat du Michigan qui craint une fuite de pétrole dans les Grands Lacs. En octobre 2021, le gouvernement canadien a soutenu Enbridge en invoquant un traité conclu en 1977 obligeant le Canada et les Etats-Unis à laisser le pétrole circuler sans interruption à leur frontière afin de déclencher des négociations avec Washington.
Ces tensions s’étendent toutefois aux projets sur le seul territoire canadien. Le projet Costal Gas Link de TC Energy, dont une portion de 28km est construite par Spiecapag, filiale de Vinci et qui relie Kitimat à Groundbirch en Colombie-Britannique (Annexe 8), a ainsi été vivement critiqué, notamment par la communauté autochtone Wet’sunwet’en, qui a organisé des blocus anti-gazoduc en 2020 pour militer contre la transformation des espaces naturels pour la mise en place de pipelines. Pour remédier aux critiques des Autochtones, ceux-ci sont de plus en plus souvent intégrés aux consultations en amont, comme cela est actuellement le cas pour le projet d’agrandissement du réseau de Nova Gas Transmission qui ira des Grandes Prairies au nord de Calgary. La loi C-69, entrée en vigueur en juillet 2019, impose par ailleurs désormais aux promoteurs de grands projets au Canada de prendre davantage de mesures pour gérer les répercussions de leur projet sur l’environnement, la vie socioéconomique, la culture et la santé.
3/ Face à ces contraintes, l'industrie mise sur la sécurisation des infrastructures et le développement de nouveaux débouchés
Des innovations réduisant les risques environnementaux ont rendu les pipelines plus sûrs ces dernières années. Depuis 2019, l’imagerie satellite permet aux exploitants de détecter et surveiller de manière précise les mouvements du sol et leurs conséquences sur l’ensemble du réseau de pipeline. En 2019 également, la société calgarienne Hifi Engineering a développé une nouvelle technique de « détection dynamique haute-fidélité » qui contribue à la sécurité des pipelines, ce pour quoi elle a reçu le prix de l’innovation de la Canadian Energy Pipeline Association. Plus récemment, la communauté d’affaires pipelinière s’est engagée pour la réduction des GES dans leurs activités : par exemple la compagnie Pembina a annoncé en septembre 2021 son engagement à réduire l’intensité des émissions de la société de 30% d’ici 2030 par rapport aux émissions de référence de 2019.
Les pipelines pourraient par ailleurs demain participer au développement d’une économie plus verte. Une des reconversions envisagées serait de transformer ces pipelines en hydrogénoducs. En effet, dans la stratégie hydrogène du gouvernement dévoilée mi-décembre 2020, les autorités fédérales ambitionnent qu’un tiers des besoins énergétiques seront comblés par l’utilisation de l’hydrogène d’ici 2050. Les compagnies de pipelines souhaitent profiter de cette opportunité et deux projets pilotes ont déjà démarré : Atco a annoncé un projet de mélange hydrogène-gaz naturel avec l’injection de 5% d’hydrogène en volume dans une partie du réseau résidentiel de distribution de gaz naturel à Fort Saskatchewan ; Enbridge ajoutera 2% d’hydrogène dans ses canalisations alimentant des résidents de Markham (Ontario), le mélange entre hydrogène et gaz permettant de diminuer les émissions de GES. Néanmoins, les experts soulignent qu’au-dessus d’une proportion de 15 % à 20 % d’hydrogène, ce gaz pourrait causer des dommages aux canalisations et qu’il serait donc nécessaire de doubler le réseau existant avec des pipelines capables de supporter 100% d’hydrogène.