Accords commerciaux en AEOI et ZLECAf : vers une intégration commerciale régionale renforcée ?

Effective depuis le 1er janvier 2021, la ZLECAf incarne un projet politique qui ambitionne de mettre en place un marché unique des biens, des services, des capitaux et des personnes entre les pays membres de l’UA et de renforcer ainsi l’intégration commerciale continentale. En effet, celle-ci reste très limitée sur le continent, la plus grande part des échanges se faisant avec des partenaires extérieurs, et ce malgré l’existence de nombreux accords commerciaux, en particulier en AEOI (CAE, COMESA, SADC…), qui se chevauchent.

En 2018, les pays membres de l’Union africaine ont pris une décision forte pour favoriser l’intégration commerciale et économique régionale en créant la Zone de libre-échange continentale pour l’Afrique (ZLECAf), visant à supprimer les droits de douane sur la plupart des marchandises, à libéraliser le commerce des principaux services, mais aussi à s’attaquer aux barrières non tarifaires, puis de créer un marché unique continental où la main-d’œuvre et les capitaux circuleront librement. Cette zone de libre-échange a été rendue effective au 1er janvier 2021, bien que certains pans soient encore en négociation (une partie de la Phase I portant sur la libéralisation des biens et des services et la mise en opération d’un organe de règlement des différends, et surtout la Phase II portant sur les droits de propriété intellectuelle, la politique de concurrence, les investissements et le e-commerce). Chaque État partie s’engage à un démantèlement progressif de 100 % des barrières tarifaires pour 97 % des lignes tarifaires, et au démantèlement de 50% des barrières non-tarifaires d’ici 2035.

La ZLECAf s’inscrit en complément des accords commerciaux préexistants, en stipulant que les États qui ont atteint entre eux des niveaux d'intégration régionale plus élevés peuvent maintenir ces niveaux. Les différentes mesures proposées par la ZLECAf à l’échelle continentale sont en effet pour certaines déjà en place au sein des communautés économiques régionales (CER). Ainsi, en matière d’union douanière, le marché commun de l’Afrique Orientale et Australe (COMESA) a déjà mis en place plus de mesures que n’en recommande la ZLECAf et la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) autant. Les pays de l’AEOI appartiennent à 6 CER plus ou moins abouties et dont les périmètres se superposent. Au sein de la CAE, des efforts importants ont été réalisés pour la construction d’un marché commun : tout d’abord avec l’établissement d’un tarif extérieur commun puis la création, en 2010, d’un marché commun. La COMESA - qui rassemble le plus grand nombre de pays de l’AEOI - a établi une zone de libre-échange et cible l’établissement d’une union économique d’ici 2025. Enfin, la SADC est actuellement définie comme une communauté économique, bien qu’elle eût pour ambition de former une union économique et monétaire en 2018.

Si les accords commerciaux semblent créer un cadre favorable au développement des capacités exportatrices, l’intensification des échanges intra-zone reste limitée : le commerce avec les pays tiers reste majoritaire.. Les Emirats (15,1 %), la Chine (11,0 %), les Etats-Unis (8,0 %) sont les principaux clients de l’AEOI en 2019, alors que la Chine (23,6 %), les Emirats Arabes Unis (12,2 %) et l’Inde (10,2 %) en sont les principaux fournisseurs. On observe une croissance des échanges de l’AEOI avec le reste du monde (+26,7 % entre 2010 et 2019), plus importante que celle au niveau africain (+8,6 % entre 2010 et 2019)[1]. La part des exportations au sein de l’AEOI représentent 11,2 % des exportations totales, et les importations seulement 5,2 % des importations totales en 2019. Au sein des trois zones, la part des fournisseurs membres de la CAE dans les importations de la CAE n’a atteint que 6,3 % entre 2011 et 2020 ; au sein de la COMESA elle était seulement de 4,8 % entre 2011 et 2020 ; quant à la SADC, la part des fournisseurs de la SADC dans ses importations s’établissait à 19,0 % sur la même période.

Ces constructions juridiques majeures ne semblent donc pas suffire pour aboutir à une intégration régionale poussée, telle qu’observée en Europe par exemple. En effet, l’intégration commerciale régionale est limitée par les droits de douane, mais plus encore par des barrières non tarifaires, comme la logistique du commerce, les infrastructures, en particulier dans les pays enclavés et à faible revenu, l’accès du secteur privé au crédit, le climat des affaires et le capital humain. Par ailleurs, les structures d’exportations potentiellement concurrentielles (métaux dont l’or, matières agricoles telles que le thé et le café et les hydrocarbures sont les principaux postes d’exportations de la zone) créent des tensions protectionnistes comme celles entre le Kenya et l’Ouganda à propos de restrictions réciproques sur des produits agricoles.

Par ailleurs, se sont développés en parallèle des accords commerciaux bilatéraux avec des pays tiers, généralement puissances commerciales et principaux partenaires, à l’image de l’accord conclu en 2000 et renouvelé en 2015 avec les États-Unis (AGOA) et l’accord en négociation avec l’Union Européenne (APE-UE). Par ailleurs, l’Asie et plus particulièrement la Chine, a également pour objectif la conclusion d’accords commerciaux bilatéraux, à l’image des 200 accords de coopération prévus et annoncés lors du FOCAC 2019[2] (Forum sur la coopération Chine-Afrique) ainsi que de l’appui proposé par la Chine auprès du secrétariat de la ZLECAf lors du FOCAC 2021[3], et via un investissement direct dans les infrastructures clés pour les échanges de marchandises (dans le cadre des « nouvelles routes de la soie »).

S’observent ainsi des mouvements antagonistes, entre l’intensification effective des échanges commerciaux des pays de l’AEOI avec des pays non africains et la volonté politique, à l’échelle continentale, de promouvoir l’intégration régionale africaine. La ZLECAf apparaît alors comme un projet politique continental fort pour l’intégration régionale et pour l’essor d’une industrie manufacturière africaine performante. Selon la Banque mondiale, elle devrait ainsi permettre l’augmentation de 81 % des exportations intra-africaines d’ici 2035 (en 2017, elles représentaient 16,6 % des exportations totales).



[1] cf LM sur la Structure des échanges commerciaux, juin 2021

[2] Un accord de libre-échange a notamment été conclu avec Maurice en janvier 2021.