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Zoom de la semaine : Projet de budget de la Fédération de Russie pour 2022

L’économie russe connaît une reprise nette mais néanmoins insuffisante pour lui permettre de retrouver le sentier de croissance d’avant crise. Cette reprise est, de surcroît, soumise à plusieurs aléas baissiers très significatifs. La conjoncture de 2021, plus favorable qu’anticipée, a permis à la fois de financer des dépenses publiques supplémentaires et de restaurer l’équilibre budgétaire. Le projet de loi de finances pour 2022-2024, actuellement examiné par la Douma, fait le pari de poursuivre la consolidation budgétaire.

1/Situation économique de la Russie : une reprise nette, insuffisante toutefois pour rattraper les pertes d’activité causées par la crise, et sur laquelle pèsent de nombreux risques. L’économie de la Russie a retrouvé au début du premier semestre 2021 son niveau d’activité pré-crise. Le PIB a augmenté de 4,8% en glissement annuel (g.a.) au 1er semestre 2021, tiré par le rebond de la demande interne[1], la bonne tenue des cours des matières premières et le dynamisme du commerce international[2]. Alors que les indicateurs conjoncturels ont montré au troisième trimestre un certain ralentissement, assez largement imputable à l’atténuation de l’effet de base statistique, le consensus des prévisions d’activité pour l’année 2021 s’établit à 4,3%[3]. La reprise en Russie ne présente pas un profil « en V » : l’économie ne rejoint pas sa trajectoire de croissance pré-crise et le niveau de richesses produites se situe - et se situera dans les prochaines années - en-deçà de ce qu’il eût été si la crise de 2020 n’était pas advenue. En outre, plusieurs risques sérieux, d’ordre interne et externe, pèsent sur la reprise. Ces risques ont trait principalement :

  • à la dégradation de la situation épidémique : de nombreuses régions russes ont été contraintes de réintroduire des mesures de distanciation sociale et les autorités fédérales ont annoncé, le 20 octobre 2021, de nouvelles mesures d’endiguement de l’épidémie, dont certaines auront un impact sur l’activité[4] ; 
  • au contexte inflationniste : les développements de l’inflation ne cessent de surprendre la Banque centrale et les analystes, la progression annuelle de l’indice des prix à la consommation atteignant ainsi 7,4% en septembre. La Banque de Russie a déjà relevé par six fois ses taux directeurs en 2021[5] et d’autres hausses pourraient être nécessaires. L’inflation fait en outre peser un risque en matière de pouvoir d’achat des ménages, dont le redressement (+1,7% au 1er semestre 2021 après un recul de 2,8% en 2020) pourrait être interrompu ;
     
  • à l’environnement externe de l’économie russe : le durcissement probable des politiques monétaires des pays développés, lequel pourrait avoir des conséquences pour la Russie qui, même si elle est relativement peu vulnérable aux sorties de capitaux (excédent du compte courant de 5 points de PIB sur 4 trimestres glissants), n’en est pas moins exposée à un risque de réévaluation des actifs libellés en rouble.   

2/ Le projet de loi de finances 2022-2024 présente un cadrage macroéconomique dans l’ensemble prudent.  Il est assis sur les principales hypothèses ci-dessous, qui sont globalement en ligne avec les prévisions des économistes de la Place[6] bien que plus optimistes s’agissant de l’activité. On notera en outre que le ministère du Développement économique et la Banque de Russie viennent de rehausser leur prévision d’inflation pour 2021, les portant à respectivement à 7,4% et 7,4-7,9% en fin d’année.

 

Figure.  Les hypothèses macroéconomiques du budget

tableau

3/ La conjoncture en 2021, plus favorable qu’anticipée, permettrait un retour dès cette année au quasi-équilibre budgétaire. Après l’effort consenti en 2020 (dépenses publiques accrues de 25% en valeur, entraînant un creusement du solde public à -3,8% du PIB après +1,8% en 2019), les autorités tablaient fin 2020 sur une normalisation progressive à compter de 2021 avec un solde budgétaire attendu à -2,4% du PIB. La vigueur de la reprise économique a engendré dans les faits un surcroît de recettes fiscales (+27 % par rapport au Projet de loi de finances de l’an passé) qui a rendu possible à la fois un accroissement de la dépense publique en valeur absolue (attendue à 24 058 Md RUB - env. 291 Md EUR - en 2021, après 22 822 Md RUB en 2020 et 18 215 Md RUB en 2019) et une réduction du solde public fédéral qui ressortirait en léger déficit en 2021, à - 0,2% du PIB.

4/Le projet de loi de finances (PLF) prévoit un retour à l’équilibre puis aux excédents budgétaires et la préservation d’un faible niveau d’endettement.  Le PLF prévoit un retour à la règle budgétaire, temporairement relâchée pendant la crise du Covid, c’est-à-dire la réinstauration d’un plafond en matière de dépenses publiques[7]. Le PLF prévoit ainsi une stabilisation des dépenses en valeur en 2022 par rapport à 2021, suivie d’une progression de respectivement 5% et 4% en 2023 et 2024. Les dépenses publiques, exprimées en part de PIB, reflueraient progressivement, de 19,3% du PIB en 2021 à 17,8% en 2022, pour atteindre 17,4% en 2024. La structure des dépenses publiques pour 2022 et au-delà ne connaitrait pas de changement notable et les priorités budgétaires de l’Etat russe demeurent. Les trois quart de la dépense publique de la Russie sont concentrés en 2021 sur cinq postes budgétaires : la politique sociale (5% du PIB en 2021), l’économie (2,9%), la défense nationale (2,7%), la sécurité nationale et le maintien de l’ordre (1,9%) et les dépenses publiques générales (1,5%). Ces cinq postes resteraient majoritaires sur l’horizon de la loi de finance mais verraient leur part dans la richesse nationale se réduire en 2022, à l’exception de la sécurité nationale dont le poids progresserait, à 2,1% du PIB. Parmi les autres postes budgétaires, on notera que le poids des dépenses de santé diminuerait, de 1,1% du PIB en 2021 à 0,9% en 2022, alors que celui de la protection de l’environnement progresserait à l’inverse, à 0,4% du PIB en 2022 après 0,3% en 2021.

Le PLF prévoit une croissance des recettes fiscales de 5% en valeur en 2022, mais le poids de la fiscalité dans la richesse nationale reculerait, de 19,1% du PIB en 2021 à 18,8% en 2022, avant d’atteindre 17% en 2024. Au sein des rentrées fiscales, la composante pétro-gazière retrouverait en 2022 une part comparable à celle de 2019, à 38%, après 28% en 2020 (année peu représentative) et 35,6% en 2021. Les principales évolutions en matière de structure fiscale concernent la poursuite de la «manœuvre fiscale » dans le secteur pétrolier, l’introduction de nouveaux prélèvements touchant les secteurs des matières premières et l’entrée en vigueur d’une nouvelle mesure d’imposition des revenus des ménages. Au total, l’effet combiné de ces modifications représente une hausse des revenus du budget de 0,2% du PIB en 2022 et 2023 et de 0,3% du PIB en 2024.

Le solde budgétaire serait ainsi excédentaire en 2022, à 1% du PIB. L’excédent serait maintenu en 2023 (0,2% du PIB) alors que le budget redeviendrait légèrement déficitaire en 2024 (-0,3% du PIB).  

La dette souveraine se stabiliserait à 17,8% du PIB en 2021 (après 17,7% en 2020 et 13,1% en 2019) et progresserait légèrement sur l’horizon du PLF pour atteindre 21,1% du PIB en 2024. Dans une économie mondiale caractérisée par une envolée des dettes souveraines sur la période récente, la Russie affiche l’un des plus bas stocks de dette (le 6ème) au plan international. Notons que le PLF prévoit que le ministère des Finances maintiendra le contact avec les marchés financiers internationaux avec un plan d’émission d’euro-obligations équivalent à 3 Md USD par an d’ici à 2024.

3/ La Russie affiche toujours des intentions en matière d’investissement public tout en envisageant de durcir les conditions d’utilisation du Fonds souverain. Les enveloppes consacrées aux projets nationaux, incluses dans les crédits budgétaires globaux, augmentent d’environ 20% en 2022 à 2 836 Md RUB (circa 34 Md EUR). Les dépenses liées à ce plan d’investissement seraient de l’ordre de 2% du PIB sur la période 2022-2024. Les enveloppes les plus significatives concernent la démographie (27% du total), la santé et la sécurité des autoroutes (12% pour chacun des postes), et les infrastructures. Par ailleurs, le PLF fait place à une instruction présidentielle[8] qui sanctuarise un montant de 2 500 Md RUB (environ 30 Md EUR) pour financer des projets d’investissement public, lors des 3 prochaines années. Néanmoins, en lien avec l’instruction présidentielle précitée le seuil au-dessous duquel les avoirs liquides du FBEN ne peuvent plus être utilisés pour des projets d’investissement pourrait être progressivement rehaussé de 7% à 10% du PIB, en lien avec les «risques de long terme liés à la transition énergétique »[9].  En relation avec la mise en œuvre de la règle budgétaire, les encours du Fonds souverain (le Fonds du bien être national) progresseraient sur l’horizon de la loi de finances. Compte tenu des cours anticipés du baril de pétrole les encours du FBEN seraient amenés à être abondés chaque année. Ils s’élèvent au 1er octobre 2021 à 12% du PIB et devraient atteindre 15,4% du PIB d’ici fin 2024. Au sein du Fonds, les avoirs « liquides » c’est-à-dire placés en devises représentent actuellement environ 7% du PIB et atteindraient 11,7% du PIB fin 2024.



[1] L’investissement total en capital fixe a augmenté de 7,3% en g.a. au 1er semestre 2021, et les ventes de détail de 10,2%.

[2] Au 1er semestre 2021, les exportations de biens se sont élevées à 208,7 Md USD, en hausse de 30,6% en g.a., tandis que les importations ont atteint 141,2 Md USD, en hausse de 28,6% en g.a. L’excédent commercial s’est élevé à 67,5 Md USD, en hausse de 35% en g.a.

[5] La dernière hausse, de 75 points de base, est intervenue le 22 octobre, portant le taux directeur principal à 7,50% contre 4,25% en début d’année.

[7] La règle budgétaire russe (établie en 2017) consiste essentiellement en deux éléments : (i) seules les recettes pétro-gazières dites « de base » c’est-à-dire correspondant à un cours du baril d’Oural pivot (44,2 USD/baril en 2022) sont prises en compte dans le budget. Les recettes excédant ce seuil sont mises en réserves dans le Fonds du bien-être national. (ii) les dépenses budgétaires sont plafonnées par la somme des recettes pétro-gazières de base, des recettes non-pétrogazières, des intérêts de la dette et (de 2019 à 2024) d’un montant correspondant à 0,5% du PIB destiné à financer des dépenses d’infrastructures. Dans le cas de figure où les prix effectifs du pétrole sont inférieurs au cours pivot, il est possible de puiser dans les avoirs du fond souverain pour financer le budget, à la condition que les avoirs liquides de ce fonds demeurent supérieurs à 5% du PIB. Cette règle avait été assouplie pendant la crise pour permettre à l’Etat fédéral de financer (par endettement) des dépenses supplémentaires.

[9] Le ministère des finances a en effet repris, dans un document de planification budgétaire, les prévisions de l’AIE d’un prix du baril de pétrole à 35 USD en 2030 et 25 USD en 2050 (actuellement, le prix d’équilibre du point de vue du budget russe est de 45 USD) : https://minfin.gov.ru/common/upload/library/2021/10/main/2_5386556869483433598.pdf