Par un décret présidentiel paru au journal officiel le 31 décembre 2020, le Mexique a officialisé son engagement à interdire le Glyphosate ainsi que le maïs OGM dans un délai de trois ans, endossant ainsi un rôle de précurseur en la matière sur le continent américain. Mais au regard des usages très répandus de l’un comme de l’autre cette double interdiction implique une transition agro-écologique aux conséquences économiques non négligeables et qui est loin de faire consensus.

I. A l’interdiction du Glyphosate qui faisait l’objet de restrictions croissantes s’est ajoutée celle, hautement symbolique, du maïs OGM

 

I.1 Répandu dans l’agriculture mexicaine, l’usage du Glyphosate qui faisait l’objet de restrictions progressives devrait désormais être supprimé sous 3 ans

 

Le recours au Glyphosate, principal herbicide utilisé dans le monde, est répandu au Mexique en raison de son efficacité et de son faible cout. Il est fréquemment utilisé pour le contrôle des adventices dans les infrastructures, dans les jardins et surtout dans l’agriculture, notamment dans des cultures telles que le maïs, le haricot, les agrumes, la pomme de terre ou le café. En 2018 près de 134 produits à base de Glyphosate bénéficiaient d’un enregistrement accordé par COFEPRIS[1], dont 78 en agriculture. Cette molécule est en même temps, à l’image de ce qui se produit en France, la plus controversée dans le débat public mexicain sur l’agriculture, son histoire étant intrinsèquement liée à celle de Monsanto.

 

Un processus de réduction des usages est initié depuis 2019 par le Gouvernement, sous l’impulsion de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH). Dans un rapport[2]  publié en décembre 2018, la CNDH dénonçait le fait que divers « pesticides extrêmement dangereux »[3] étaient toujours autorisés et largement utilisés au Mexique. Il recommandait aux autorités un net durcissement de la régulation dans ce domaine. Bien que ce rapport ne cible pas spécifiquement le Glyphosate, le Gouvernement prend dès 2019 une série d’initiatives visant à réduire l’usage de cette molécule. Près de 80 enregistrements de produits sont annulés, concernant des produits commercialisés notamment par Bayer et Dupont, et les autorisations d’importation cessent d’être accordées en novembre 2019. La SEMARNAT[4] affiche alors publiquement la volonté de sortir progressivement du Glyphosate.

 

Invoquant le principe de précaution, le décret du 31 décembre 2020 fixe un délai de trois ans pour interdire la molécule. Dès son entrée en vigueur (au 1er janvier 2021), le texte proscrit tout usage du Glyphosate dans le cadre des programmes publics. Sont donc concernés les programmes tels que « Sembrando vida », dans lequel le Gouvernement a investi 27Md de pesos (1,1 Md€) en 2020 en aides mensuelles à 417 000 petits producteurs en échange de l’engagement à combiner cultures traditionnelles (maïs, haricot) et plantation d’arbres (fruitiers ou à bois). Le Décret mandate par ailleurs les ministères de l’agriculture et de l’environnement pour promouvoir les alternatives au Glyphosate. Il octroie à la CONACYT[5] un rôle central, à la fois de coordination de la recherche des alternatives, en lien avec les parties prenantes, et de recommandations sur les quantités de Glyphosate devant être importées durant la période de transition.

 

I.2 L’interdiction du maïs OGM répond à une logique plus politique que le Gouvernement inscrit dans un objectif de souveraineté alimentaire

 

Dans un pays où le maïs est fortement ancré dans l’identité, le maïs OGM fait depuis longtemps l’objet de luttes sociales. C’est en particulier le cas dans le Sud et le Sud-est du pays, où les populations rurales, majoritairement de culture maya, ont fait de la lutte contre les OGM l’une de leurs revendications phares, au nom de la protection des cultures traditionnelles. En témoigne la remise du prix Goldman pour l’environnement en 2020 à Ledy Pech, apicultrice indigène de l’Etat de Campeche connue pour avoir remporté une bataille juridique contre Monsanto conduisant à l’interdiction du soja OGM.

 

La culture de maïs OGM est déjà dans les faits largement proscrite au Mexique. Comme le souligne un récent rapport de l’USDA[6], l’environnement réglementaire mexicain sur les biotechnologies est devenu très incertain sous l’actuelle administration. Aucun usage de maïs OGM n’a été approuvé depuis mai 2018 et les permis d’importation ont cessé d’être accordés depuis novembre 2019. Les seuls OGM pouvant encore officiellement être cultivés au Mexique concernent le coton, mais avec des surfaces qui ont été réduites de 35% en 2020 en raison du manque de disponibilité de semences.

 

En revanche les utilisations de maïs OGM restent importantes. En effet si le Mexique est autosuffisant en maïs blanc, utilisé dans la consommation humaine (les « tortillas » en particulier), il est très déficitaire en maïs jaune, massivement utilisé dans l’alimentation animale et dans l’industrie agroalimentaire (édulcorant, amidon). Environ 16Mt de maïs jaune sont importées chaque année des Etats-Unis, essentiellement du maïs OGM.

 

Le Décret confirme l’interdiction des semences de maïs OGM, mais supprime aussi tous les usages du maïs OGM dans l’alimentation des mexicains. Assortie d’un délai de trois ans, et conditionnée à un critère de « suffisance d’approvisionnement en grain de maïs sans Glyphosate », cette interdiction des usages répond à une ambition de « souveraineté alimentaire et de protection du maïs natif, de la richesse bio culturelle et des communautés paysannes » ainsi que du « patrimoine gastronomique ». Elle constitue peut-être le volet le plus ambitieux du Décret.

 

La portée de ce Décret en apparence très ambitieux demeure toutefois conditionnée aux modalités de sa mise en œuvre qui à ce stade demeurent incertaines.

 

 

II. Face aux défis majeurs que représente cette double interdiction, les incertitudes restent nombreuses sur la manière dont elle sera mise en œuvre

 

II.1 Les conditions pour réussir une transition agroécologique rapide de nature à substituer le Glyphosate et le maïs OGM ne semblent pas à ce stade réunies

 

A systèmes de production inchangés, la production agricole pourrait connaitre une perte de compétitivité. Bien qu’il n’existe pas à ce jour au Mexique d’étude d’impact ou de recensement de l’ensemble des alternatives au Glyphosate culture par culture, on peut anticiper que la réduction rapide de la disponibilité du Glyphosate conduira à un recours accru à des molécules plus chères et moins efficaces ainsi qu’à de la main d’œuvre. Dans le secteur de l’élevage l’interdiction du recours au maïs OGM importé nécessiterait une substitution par du maïs non-OGM moins bon marché. Le risque de hausse des couts de production a été mis en avant par les organisations agricoles opposées au Décret, lesquelles ont argumenté qu’il pourrait induire une perte de compétitivité vis-à-vis des Etats-Unis avec in fine une dépendance agricole accrue vis-à-vis de ce pays, à l’inverse de l’objectif de souveraineté alimentaire visé.

Les fortes oppositions qui se sont fait jour ne sont pas de nature à faciliter une transition agro écologique. Le Décret a fait l’objet d’une forte vague de contestation de la part du secteur agricole et de l’industrie agroalimentaire, déplorant à l’unisson l’approche idéologique du Gouvernement. Le secteur a reçu une écoute attentive de la part du Secrétaire à l’agriculture, M. Victor Villalobos. Mais des divergences de fond se sont fait jour y compris au sein du Gouvernement et le contenu final du Décret présidentiel a pris le secteur par surprise. Un tel climat de dialogue n’apparait pas propice à la conduite d’une transition impliquant l’ensemble des acteurs.

Le défi est également institutionnel, dans un contexte d’affaiblissement des autorités administratives en charge de mettre en œuvre cette transition. Un récent rapport de l’OCDE[7] met en évidence les faiblesses des institutions mexicaines en matière de régulation des produits phytosanitaires. Il souligne les difficultés de coordination entre les différentes agences impliquées dans la régulation des pesticides, chacune poursuivant des priorités différentes. S’y ajoute la baisse drastique des moyens que ces instances ont connue dans les années récentes. Le secteur agricole s’est par ailleurs également interrogé sur la capacité de la CONACYT à chiffrer les besoins en Glyphosate durant la phase de transition comme le Décret l’y invite.

 

II.2 Des incertitudes demeurent tant sur les modalités que sur les capacités de mise en œuvre de ce Décret

 

Concernant le maïs OGM le champ d’application de l’interdiction constitue une incertitude majeure. Le Décret évoque l’interdiction des usages dans l’alimentation des mexicains, mais ne précise pas si cela couvre également l’alimentation animale et les usages industriels, qui sont les principaux débouchés du maïs jaune OGM importé. Une interdiction dans ces secteurs poserait des défis considérables au secteur de l’élevage ainsi qu’à certaines industries fortement dépendantes de ces approvisionnements (par exemple dans le secteur des boissons sucrées). Les mesures de restriction des importations de ces produits pourraient par ailleurs se révéler incompatibles avec les accords internationaux, et en particulier avec l’accord Canada-Etats-Unis-Mexique.

La capacité de l’Etat à faire appliquer ces interdictions dans un tel laps de temps peut également être interrogée. Les faiblesses institutionnelles évoquées plus haut se traduisent déjà aujourd’hui par des difficultés structurelles dans la mise en œuvre des réglementations et des contrôles, notamment lorsqu’il s’agit de retirer de la circulation des produits non enregistrés, expirés ou interdits. Le risque a été évoqué de voir les interdictions d’importation de Glyphosate conduire au développement de filières liées au crime organisé et à la contrefaçon.

Enfin, les leviers pour faire émerger et adopter massivement les alternatives en l’espace de trois ans restent à définir. La mission confiée par le Décret à la CONACYT de coordination et d’animation de cet effort est à l’évidence ambitieuse, dans un pays dans lequel la recherche agronomique est affaiblie et qui ne dispose pas d’un service public d’extension et de conseil aux agriculteurs permettant d’accompagner les changements de pratiques. A ce titre l’expérience française d’identification des alternatives et de dispositif d’accompagnement des agriculteurs dans la réduction des usages des produits phytosanitaires présentent un intérêt certain aux yeux des autorités mexicaines.

 

Présenté comme un gage de crédibilité en matière de souveraineté alimentaire le Décret interdisant le Glyphosate et le maïs OGM pourrait rencontrer d’importants obstacles dans sa mise en œuvre d’ici à 2024. Le niveau réel d’ambition dépendra des moyens mis en place pour que ces dispositions légales soient appliquées.

 



[1] Commission fédérale de protection contre les risques sanitaires

[2] https://www.cndh.org.mx/sites/all/doc/Recomendaciones/2018/Rec_2018_082.pdf

[3] En 2007 la FAO et l’OMS ont lancé une initiative visant à réduire les risques associés à l’usage des « pesticides extrêmement dangereux»

[4] Secrétariat de l’environnement et des ressources naturelles

[5] Conseil national de science et technologie

[6] USDA, jan 2021, Agricultural Biotechnology Annual

[7] OCDE, 2020, Regulatory Review of the Mexican Pesticide Management Framework - Issues Paper (non encore publié)