Point mensuel sur la situation économique et financière de l'Irlande.

Macroéconomie

ESTIMATIONS DE CROISSANCE RÉELLE ANNUELLE DU PIB – (Mise à jour) La crise économique résultant de la pandémie de coronavirus se traduit par l’entrée en récession de l’économie irlandaise. Selon les sources et les analyses, cette récession pourrait être comprise entre -2,4% et -0,4% en 2020 [1]. Un rebond de l’activité économique est attendu l’année prochaine avec des prévisions de croissance allant de +1,7% à +3,8%.

Tableau récapitulatif des prévisions de croissance
Source : SE de Dublin

Tableau des prévisions de croissance

L’Irlande pourrait connaître la plus faible récession économique de la zone euro en 2020. D’après les dernières projections macroéconomiques publiées par le Ministère des Finances (Department of Finance ou Dof), la Banque Centrale d’Irlande (BCI), le think-tank irlandais Economic & Social Research Institute (ESRI) et le courtier Davy Research, la récession irlandaise pourrait cette année être bien plus faible que prévu initialement au printemps dernier. Si le Dof reste prudent avec une estimation de contraction du PIB réel de -2,4%, les autres sources se montrent plus optimistes avec des projections à -1,8% pour l’ESRI, -1,7% pour le Davy Research et -0.4% pour la BCI.

Figure 1 : Tendances de croissance du PIB (Prix constants – Indice de référence 100 au quatrième trimestre 2019)
Source : ESRI Ireland

Figure 1 : Tendances de croissance du PIB

En comparaison européenne, les estimations de contraction du PIB irlandais apparaissent relativement faibles (Voir Figure 1) alors même que le confinement du pays serait l’un des plus sévères et des plus longs, tel que mesuré par l’Oxford University COVID-19 Government Response Stringency Index. Cette relative « performance » tient à la croissance des exportations irlandaises, y compris au pic de la crise, dans les secteurs tech et pharmaceutique. En 2021, le Brexit noircit le tableau : les dernières prévisions privilégient, en effet, le scénario du « no-deal » et de relations commerciales entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni régulées par les seules règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) dès le 1er janvier 2021. En conséquence, la croissance du PIB réel pourrait perdre, selon les analyses, entre -3 et -2 points en 2021 par rapport au scénario avec accord de libre-échange, pour s’établir à +1,7% selon le Dof qui reste, là encore, prudent par rapport aux estimations de l’ESRI à +3,3% ou de la BCI à +3,4%.

Toutefois, ces estimations ne tiennent pas compte de la réintroduction de mesures de confinement strictes pendant six semaines à compter du 22 oct.-20, telles qu’annoncées par le Premier Ministre, Micheál Martin. Selon le Dof, les nouvelles restrictions représenteraient un nouveau choc économique d’environ ¾ celui observé au deuxième trimestre de cette année. Dans cette hypothèse, la croissance du PIB déclinerait de respectivement -1 et -4 points de pourcentage en 2020 et 2021, portant les prévisions de récession à -3,4% cette année et -2,1% l’année prochaine.

ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE – Dans l’ensemble, le rebond d’activité observé cet été laisse place à un ralentissement généralisé de la reprise économique au mois de septembre. L’augmentation du nombre de cas de COVID-19 et des restrictions subséquentes, ainsi que l’échéance du Brexit avant la fin de la période de transition rendent le contexte très incertain pour les entreprises.

Note méthodologique

Les indices PMI (Purchasing Manager’s Index) pour l’Irlande sont calculés chaque mois par la société IHS Markit, sur la base de questionnaires envoyés auprès d’un panel représentatif d’environ 250 entreprises pour l’industrie et 400 entreprises pour les services.

L’indice PMI pour l’industrie (Manufacturing PMI) est une moyenne pondérée des soldes des nouvelles commandes (30%), de la production passée (25%), de l’emploi (20%), des délais de livraison des fournisseurs (15%) et des stocks d’achats (10%).

L’indice PMI pour les services (Services Business Activity Index) correspond au seul solde de l’activité commerciale passée.

Au total, l’indice PMI permet de mesurer l’évolution de l’activité d’un secteur à la lumière de l’activité observée le mois précédent. Les valeurs inférieures à 50 indiquent une contraction du secteur d’un mois à l’autre tandis que les valeurs supérieures à 50 indiquent son expansion. La valeur de 50 traduit, quant à elle, une stabilité sur un mois.

Figure 2 : Indice PMI – Industrie
Source : AIB Ireland PMI

Figure 2 : Indice PMI – Industrie

L'indice PMI du secteur manufacturier irlandais se dégrade en septembre (-2,3 pts à 50), indiquant une stabilisation de l’activité par rapport au mois d’août (Voir Figure 2). Cette dégradation met fin à trois mois de reprise consécutifs dans l’industrie : l’écart est net avec le mois de juillet où l’indice culminait à 57,3, son plus haut niveau depuis vingt-trois mois. Les soldes de la production passée, des nouvelles commandes et de l’emploi ont tous décliné. Les entreprises minimisent également les niveaux de stocks avec l’affaiblissement de la demande. Sur une note plus positive, l’enquête pour la constitution de l’indice révèle que les entreprises demeurent confiantes quant à l’amélioration du secteur l’année prochaine.

Figure 3 : Indice PMI – Services
Source : AIB Ireland PMI

Figure 3 : Indice PMI – Services

L’indice PMI dans les services irlandais chute en septembre (-6,6 pts à 45,8), indiquant une contraction de l’activité par rapport au mois d’août, comme cela a été observé partout dans la zone euro (Voir Figure 3). Il s’agit de la troisième plus importante baisse de l’indice observée d’un mois à l’autre, derrière celles (à deux chiffres) enregistrées en mars et avril derniers. Pour mémoire, l’activité dans ce secteur avait progressé modestement cet été, passant au-dessus de la barre symbolique des 50 mais toujours en net recul par rapport à son niveau d’avant-crise. L’enquête pour la constitution de l’indice révèle que, si l’ensemble des quatre sous-secteurs sondés connaissent un déclin d’activité, le secteur du transport, du tourisme et des activités de loisirs enregistre des résultats particulièrement faibles. La deuxième vague de la pandémie et les nouvelles restrictions qui l’accompagnent en sont les principales raisons. Les perspectives pour les douze mois à venir restent néanmoins optimistes, bien qu’elles continuent à s’affaiblir par rapport au mois de juin et demeurent en deçà de leur tendance de long terme.

L’indice PMI dans la construction calculé par Ulster Bank progresse en septembre (+3 pts à 47), mais demeure en territoire de contraction après le fort rebond du secteur observé avec la levée des restrictions en juin (+ 32 pts à 51,9). L’indice reflète le ralentissement généralisé de la reprise économique en Irlande. Désormais considérés comme « essentiels » par le gouvernement, les chantiers de construction resteront ouverts malgré le niveau d’alerte maximale dans lequel est placé le pays. L’activité dans ce secteur devrait ainsi pouvoir continuer à se stabiliser ces prochains mois.

CHÔMAGE – Le taux de chômage en Irlande enregistre une hausse marginale (+0,2 pp) au mois de septembre 2020 par rapport au mois précédent, et s’établit à 5,4% (cvs). Le nombre de chômeurs (cvs) s’établissait à 126 200 en septembre, soit 5 100 de plus qu’en août et 9 200 de plus qu’en septembre 2019 (Voir Figure 4). Ce chiffre, calculé en application des normes européennes et internationales, ne reflète pas les nombreux bénéficiaires des allocations versées au titre des dispositifs spéciaux liés à la pandémie (voir infra), ces personnes ne remplissant pas les critères arrêtés par l’Organisation internationale du travail.

Figure 4 : Évolution du chômage en Irlande
En milliers de chômeurs et en pourcentage de la population active
Source : SE de Dublin

Figure 4

Le Central Statistics Office (CSO), l’équivalent irlandais de l’INSEE, a évalué quel serait le taux de chômage COVID-19 si l’on intégrait l’ensemble des bénéficiaires des allocations spécifiques mises en place en réponse à la crise au sein des chômeurs. Il serait alors au maximum de 14,7% pour le mois de septembre 2020, contre 15,3% au mois d’août 2020 (-0,6 pp). Ce chiffre devrait toutefois repartir à la hausse en raison de la mise en place d’un second confinement strict pendant six semaines, à compter du 22 oct.-20. Selon Leo Varadkar, le vice-Premier ministre et ministre des entreprises, du commerce et de l’emploi, 150 000 personnes pourraient dépendre à nouveau du dispositif de chômage spécifique (Pandemic Unemployment Payment ou PUP) sous l’effet des nouvelles restrictions. Le nombre de bénéficiaires a progressivement augmenté depuis un mois, passant de 206 341 le 21 septembre à 295 860 le 26 octobre (+43%).

Enfin, le taux de chômage des jeunes (mesure standard) progresse en septembre (+1,4 pp), pour s’établir à 18,9%. La mesure alternative tenant compte des bénéficiaires des indemnités liées à la crise sanitaire dépeint une situation plus inquiétante, affichant un taux maximum de chômage des jeunes de 36,5% en septembre 2020.

IMMOBILIER – Selon les variations exprimées en glissement mensuel (g.m.), les prix de l’immobilier à l’échelle nationale ont enregistré une hausse équivalente à +0,3% au mois d’août 2020. À Dublin, les prix de l’immobilier à l’achat ont également progressé de +0,3% (g.m.) après quatre mois consécutifs de repli.

Figure 5 : Évolution mensuelle des prix de l'immobilier en glissement annuel en Irlande
En pourcentage (%)
Source : SE de Dublin

 Figure 5 : Évolution mensuelle des prix de l'immobilier en glissement annuel en IrlandeLes variations exprimées en glissement annuel (g.a.) indiquent que les prix de l’immobilier à l’échelle nationale sont à nouveau en baisse au mois d’août 2020 (-0,6%), poursuivant la tendance observée en juillet (Voir Figure 5). Pour rappel, cette diminution était une première depuis mai 2013 ; date à partir de laquelle les prix avaient constamment augmenté. Hors Dublin, la croissance des prix à l’achat sur l’ensemble du territoire se maintient en août (+0,3%, g.a.) alors que la capitale enregistre à nouveau une baisse significative de ses prix pour le quatrième mois consécutif (-1,6%, g .a.). Dans l’ensemble, l’indice des prix de l’immobilier enregistre une baisse de -17,5% (g.a.) par rapport à son plus haut niveau atteint en 2007.

D’après les derniers chiffres publiés par le CSO, les ventes de logements destinés à des ménages ont légèrement diminué en août 2020 après avoir augmenté marginalement en juillet, indiquant la persistance des effets liés à la crise sanitaire sur ces transactions. Ainsi, 2 359 ventes de logements ont été signalées auprès de l’autorité fiscale irlandaise (Revenue) en août, soit une diminution de -7,9% par rapport au mois précédent ou de -40,2% par rapport à août 2019.

Du côté de l’offre de logement, 16 000 unités devraient être construites en 2020. Cela représente une baisse de -5 000 (ou -24%) par rapport aux 21 000 logements construits en 2019. Pour rappel, près de 35 000 logements/an seraient nécessaires pour répondre à la demande. Sur une note plus optimiste, le secteur s’est rapidement adapté à la levée des restrictions via la mise en place de protocoles sanitaires stricts sur les 1 100 chantiers qui emploient 150 000 ouvriers du bâtiment, d’après les chiffres publiés par la Construction Industry Federation.

Enfin, le gouvernement a annoncé 3,1 Mds€ de dépenses d’investissement allouées au logement dans son projet de budget 2021 (voir infra) ; un montant significatif permettant au secteur de la construction de jouer un rôle de stabilisateur économique en cette période de crise. 500 M€ permettront d’appuyer la construction de 9 500 nouveaux logements sociaux, 468 M€ de financer des mesures d’accessibilité à la propriété et 218 M€ de soutenir la prévention et les programmes d’aide aux sans-abris. 6 077 d’entre eux ont été comptabilisés la semaine du 20 au 26 juillet 2020.

Figure 6

Figure 6 : Évolution mensuelle des prix à la consommation en glissement annuel en Irlande - En pourcentage (%)
Source : CSO Ireland

INFLATION – Les prix à la consommation (Consumer Price Index ou CPI) ont en moyenne chuté de -1,2% en septembre 2020 par rapport à septembre 2019 (Voir Figure 6) et de -0,4% par rapport à août 2020, tirés par la baisse des prix des communications (-8,1%, g.a.), des vêtements et des chaussures (-5,8%, g.a.) ou encore des transports (- 3,5%, g.a.). Cette déflation – la plus importante depuis dix ans – fait écho au contexte actuel : la crise sanitaire et les mesures de restrictions mises en place contraignent la demande et tirent le cours des produits énergétiques vers le bas.

L’indice des prix à la consommation harmonisé (Harmonised Index of Consumer Prices ou HICP) suit la même tendance en septembre 2020 (-1,2%, g.a.).

 VENTES DE DÉTAIL – Les ventes de détail (en volume et cvs) tous secteurs confondus ont augmenté de +1,5% (g.m.) en septembre 2020 par rapport au mois précédent, tirées par les ventes de voitures et d’articles de bricolage. En glissement annuel, elles ont progressé de +9,7%. Dans l’ensemble, les ventes de détail ont retrouvé leur niveau d’avant-crise dès la levée du premier confinement au mois de juin dernier. Toutefois, la reprise est très inégale selon les secteurs. D’après le CSO, les ventes de boissons dans les bars (-49%), de livres, journaux et papeterie (-11,6%) ou encore de carburant (-10,2%) étaient, au mois de septembre, encore inférieures à leur niveau de septembre 2019. D’après le groupement de détaillants irlandais Retail Ireland, l’annonce d’un second confinement avant les fêtes de fin d’année pourrait mettre en danger de nombreux commerces.

Figure 7

Figure 7 : Évolution mensuelle de la confiance des consommateurs
Source : KBC & ESRI Ireland

CONFIANCE DES CONSOMMATEURS – La confiance des consommateurs irlandais, mesurée par le Consumer Sentiment Index, un indice créé et mis à jour par la banque KBC et l’ESRI, diminue de façon substantielle au mois d’octobre 2020 après s’être stabilisé pendant quatre mois (Voir Figure 7). L’indice s’établit à 52,6 ce mois-ci contre 60,7 en septembre, soit une baisse de -8,1 pts. Il retrouve ainsi le niveau atteint en mai dernier, indiquant des inquiétudes croissantes concernant le nouveau confinement strict annoncé par le gouvernement irlandais et son impact sur l’emploi et les revenus des ménages.

COMMERCE EXTÉRIEUR – Les exportations de marchandises (cvs) augmentent au mois d’août 2020, pour une valeur de 14 Mds€ (+847 M€ ou +6%, g.m.). Cette progression est tirée par la demande de produits médicaux et pharmaceutiques ainsi que de produits chimiques organiques. À l’inverse, les importations de biens diminuent sur la même période (-730 M€ ou -9%, g.m.) pour atteindre 7,2 Mds€. Au total, l’Irlande affiche un excédent commercial de 6,8 Mds€, en hausse de +30% (g.m.) ou +1,6 Mds€.

Chiffre du mois
132

Suite à la chute globale des flux d’investissements directs à l’étranger (IDE) au premier semestre 2020 (- 49%, g.a.), le cabinet de conseil EY anticipe une baisse de -20% des projets d’IDE en Irlande cette année en raison de la crise sanitaire. Dans son dernier rapport trimestriel, l’Ibec, groupe d’intérêt et plus grand groupement d’entreprises en Irlande, entrevoit une tendance légèrement moins pessimiste à cette période de l’année : 132 projets d’IDE auraient été engagés en Irlande au cours du premier semestre 2020, soit une baisse de -6% par rapport à la même période en 2019. Ces chiffres demeurent toutefois une source de préoccupation majeure pour le pays qui dépend fortement de ces investissements, véritable moteur de l’économie irlandaise.

Finances publiques

EXCHEQUER – Côté recettes, les derniers chiffres du Trésor irlandais confirment les tendances observées ces derniers mois. Reflétant la baisse de la consommation sous l’effet de la pandémie, les recettes cumulées pour la TVA et les droits d'accise du 1er janvier au 30 septembre sont en baisse de respectivement -20% et -13% par rapport à cette même période l’année dernière. Les recettes cumulées de l'impôt sur le revenu sont, quant à elles, plutôt stables avec une baisse de seulement -2,1% (g.a.) à cette période de l’année. Leur résilience dans le contexte actuel s’explique par la forte progressivité de cet impôt en Irlande, à laquelle s’ajoute une forte performance en janvier et février derniers. À l’inverse, les recettes cumulées de l’impôt sur les sociétés, tirées par les multinationales (GAFAM, secteur pharmaceutique et entreprises de la Tech) bondissent de +28% (g.a.) à la fin septembre et confirment une dynamique à la hausse déjà observée précédemment. Dans l’ensemble, les recettes fiscales totales cumulées du 1er janvier au 30 septembre sont en baisse par rapport à cette même période l’année dernière, à hauteur de -3% (g.a.) ou -1,2 Mds€, et s'établissent à 39,5 Mds€. Au total, ces chiffres confirment la dualité croissante de l’économie irlandaise ; les finances publiques du pays reposant de plus en plus sur les recettes volatiles de l’impôt sur les sociétés (Voir Figure 8).

Figure 8 : Recettes provenant de l’impôt sur les sociétés
En millions d’euros
Source : Department of Finance, Ireland

Figure 8

Les dépenses du gouvernement central à cette période de l’année dépassent les plafonds inscrits dans le Budget 2020 en raison des mesures prises pour faire face à la pandémie, essentiellement en matière de santé et de protection sociale. Les dépenses courantes et d’investissement se sont établies à 58,4 Mds€ pour la période allant du 1er janvier au 30 septembre 2020, soit +16% au-dessus des limites budgétaires et en augmentation de +22% par rapport à la fin septembre 2019.

Le Dof prévoit un déficit budgétaire – le plus élevé depuis 2011 – de -21,6 Mds€ en 2020, soit - 6,2% du PIB ou -10,7% du GNI*, mesure alternative au PIB corrigée de l’activité des multinationales. À l’occasion de la présentation du projet de loi de finances 2021, le ministre des finances, Paschal Donohoe, a clairement signifié son intention de maintenir le déficit à un niveau similaire à celui de ses homologues européens en 2020 et de le réduire dès l’année prochaine. Le déficit pourrait ainsi s’établir à -20,5 Mds€ en 2021, soit -5,7% du PIB ou - 9,8% du GNI*. La dette publique pourrait quant à elle atteindre 218 Mds€, soit 62,6% du PIB ou 108% du GNI* en 2020, et 239 Mds€ (115% du GNI*) en 2021.

PROJET DE BUDGET 2021 – Les ministres irlandais des finances (Paschal Donohoe) et de la dépense publique et de la réforme (Michael McGrath) ont dévoilé le projet de loi de finances (PLF-21) lors du Budget Day, le 13 octobre dernier. Présenté comme un pont vers une « Irlande plus résiliente », son montant est exceptionnel : +17 Mds€ de dépenses supplémentaires pour une enveloppe totale de 87 Mds€, soit 30,4% du PIB ou 52,4% du GNI*.

Du PLF-21, on peut retenir les points suivants :

  • Préparé sur la base des risques les plus immédiats, comme le fait de devoir coexister avec la COVID-19 sans vaccin en 2021 et celui résultant de l’hypothèse d’absence d’accord sur les relations futures entre l’UE et le Royaume-Uni (« no-deal Brexit »), ce budget comprend une enveloppe exclusivement dédiée aux mesures prises en réponse à la crise sanitaire et au Brexit (voir infra).
  • Les dépenses courantes et les dépenses d’investissement augmenteront respectivement de +6% et +19% en 2021. L’accent est mis sur la nécessité de maintenir les services publics essentiels et de les renforcer là où c’est possible. Parmi les priorités, figurent notamment le climat, la santé, le logement, le transport et l’éducation.
  • Flexible, le PLF-21 comporte également un fonds de relance (3,4 Mds€) que le gouvernement entend allouer au fur et à mesure pour faire face à l’évolution de la situation.
  • Comme le gouvernement s’y était engagé, il n’y aura pas d’augmentation significative de la charge fiscale qui serait contre-productive à ce stade du cycle économique. Sous la pression des Verts qui participent à la coalition gouvernementale, des mesures liées à la fiscalité environnementale ont toutefois été annoncées, telles que l’augmentation de la taxe carbone.

NOUVELLES MESURES EN RÉPONSE À LA CRISE DE LA COVID-19 – L’objectif premier annoncé par le gouvernement dans son PLF-21 est de continuer à soutenir l’économie face au choc de la crise sanitaire. L’enveloppe COVID-19 prévoit un total de 8,5 Mds€ en 2021, dont un montant disponible de 6,4 Mds€ destiné à (i) s’assurer que le service de santé irlandais puisse répondre aux besoins à court terme, notamment en termes de tests de dépistage et de traçage des personnes infectées (1,9 Mds€) ; (ii) stimuler les stabilisateurs automatiques via la prolongation du soutien apporté aux ménages et aux entreprises (3,2 Mds€) ; (iii) maintenir l’ouverture des écoles (0,4 Mds€) ainsi que (iv) les services de transport public compte tenu des conditions sanitaires (0,4 Mds€). Les 2,1 Mds€ restants seront mis en réserve comme fonds d’urgence dans l’hypothèse où de nouvelles restrictions liées à la pandémie le rendraient nécessaire en 2021.

Parmi les mesures déjà existantes, le soutien aux revenus des ménages et aux entreprises est reconduit. Cela comprend le dispositif de chômage partiel sous forme d’aide au paiement des salaires (Employment Wage Subsidy Scheme ou EWSS), le dispositif de chômage spécifique PUP (voir supra) ; les subventions accordées pour la réouverture des micro- et petites entreprises (Restart Grants), les programmes de soutien en liquidités (Covid-19 Working Capital Scheme), la suspension temporaire des impôts locaux (Commercial Rates Waiver), ainsi que les dispositifs d’aide aux entreprises permettant d’identifier leurs points faibles et de développer une stratégie de résilience face à la crise.

De nouvelles mesures ont été annoncées, dont une réduction de la TVA de 13,5% à 9% dans les secteurs du tourisme, de l’hébergement et de la restauration jusqu’à la fin de l’année 2021 ainsi qu’un plan d’aide spécifique pour les entreprises et secteurs les plus exposés à la crise, le COVID Restrictions Support Scheme (CRSS). Applicable dès maintenant, celui-ci permet au gouvernement d’accorder des paiements allant jusqu’à 5 000€/semaine aux entreprises qui ont perdu 75% ou plus de leur chiffre d’affaires par rapport à la même période l’année dernière. Des subventions seront attribuées à certains secteurs : 130 M€ pour les arts et la culture (« Arts Council ») auxquels s’ajoutent 50 M€ pour le spectacle vivant ou encore 55 M€ pour les entreprises du tourisme.

Enfin, le Taoiseach Micheál Martin a annoncé, le 19 oct.-20, un second confinement strict plaçant le pays au niveau d’alerte 5 (sur une échelle de 1 à 5) défini par le plan gouvernemental de lutte contre le virus (Resilience and Recovery 2020-2021: Plan for Living with COVID-19). À cette occasion, il a indiqué l’augmentation de l’indemnité au titre du PUP, rétablie à 350€/semaine pour les personnes dont les revenus étaient de 400€ ou plus/semaine avant la crise), ainsi que des ajustements concernant l’EWSS afin que le maximum d’emplois soient préservés. Le coût total des mesures de soutien aux ménages et aux entreprises (PUP, EWSS et CRSS) est estimé à 1,5 Mds€ pour les six semaines de confinement.

OBLIGATIONS SOUVERAINES – La National Treasury Management Agency (NTMA), l’équivalent irlandais de l'Agence France Trésor, a indiqué le 1er oct.-20 son calendrier pour le quatrième trimestre 2020 : elle prévoit une dernière adjudication le 12 nov.-20 dans le contexte de la crise sanitaire. Le 8 oct.-20, elle a réalisé l’émission de trois obligations souveraines d’un montant total de 1,5 milliards d’euros, à maturité 7, 10 et 15 ans et aux taux fixes historiquement bas de respectivement -0,42% (rendement le plus bas jamais enregistré), -0,19% et 0,05%.

Malgré l’augmentation rapide de l’endettement public, les conditions de financement demeurent favorables grâce à l’action accommodante de la politique monétaire, et en particulier des programmes d’achats d’actifs de la Banque Centrale Européenne (BCE). Le rendement souverain à 10 ans demeure en territoire négatif depuis plus de trois mois consécutifs, à -0,26% au 28 octobre 2020.

Depuis le début de l’année, la NTMA a déjà émis 22,8 Mds€ d’obligations d’État sur une maturité moyenne de plus de 11 ans et au taux moyen de 0,27%. Elle a indiqué qu’elle ciblait la fourchette haute de son intervalle de financement en 2020 (24 Mds€) et pourrait emprunter entre 15 et 19 Mds€ en 2021.

Secteur financier et assurances

CRÉDITS AUX MÉNAGES – La BCI a publié, le 15 oct.-20, un rapport sur le marché du crédit aux ménages en Irlande depuis l’émergence de la COVID-19. Le document (Household Credit Market Report 2020) signale qu’un cinquième des ménages a déclaré avoir un revenu plus faible sous l’effet de la pandémie. Par conséquent, la demande de crédits immobiliers et à la consommation a chuté au début de la crise et demeure en-deçà de son niveau d’avant-crise. En glissement annuel, le volume de prêts hypothécaires accordés s’est, par exemple, effondré de -62% en mai puis de -11% en août 2020. Le rapport indique que le ratio médian de la dette par rapport au revenu disponible des ménages travaillant dans les secteurs les plus exposés à la crise (2,1) était plus élevé que celui dans les autres secteurs (1,6) en 2018 ; soulignant dès lors la forte vulnérabilité de ces emprunteurs dans le contexte actuel (Voir Figure 9). Début septembre, 6,1% des prêts hypothécaires (PDH mortgages) et 4,3% des prêts à la consommation faisaient encore l’objet d’une suspension des mensualités.

Figure 9 : Ratio de la dette par rapport au revenu disponible des ménages par secteur, 2018
Source : BCI
Figure 10

PRÊTS HYPOTHÉCAIRES – Selon les données publiées par la Banking & Payments Federation Ireland (BPFI), le montant total (en valeur) des prêts hypothécaires accordés a connu une progression de +34,6% (g.a.) en septembre 2020, après une baisse de -2,3% (g.a.) en août et -30,2% (g.a.) en juillet 2020. Ce montant continue d’augmenter d’un mois à l’autre, à hauteur de +18,5% en septembre ; et ce du fait de la réouverture de l’économie à cette période. L’encours total des prêts hypothécaires accordés en août s’établit à 1 121 M€, dont 647 M€ – soit 58% de l’encours total – pour des primo-accédant.

MORATOIRE – D’après la BPFI, près de 150 000 demandes d’accès au moratoire de trois à six mois sur le paiement des intérêts dans le cadre de prêts contractés auprès des institutions bancaires ont été accordées depuis le début de la crise, en Irlande. 82 000 suspensions (ou reports) du paiement des échéances de remboursement concernaient des prêts immobiliers, 35 000 des crédits à la consommation et 31 000 des prêts aux petites et moyennes entreprises (PMEs). Les emprunteurs, qu’ils soient des particuliers ou des entreprises, qui pourraient faire face à de nouvelles difficultés en raison, notamment, des nouvelles mesures de confinement sont invités à se rapprocher de leurs prêteurs pour trouver une « solution au cas par cas, équitable et durable ». Le ministre des finances et le gouverneur de la BCI (Gabriel Makhlouf) ont, en effet, expressément encouragé les banques à poursuivre l’octroi de payment breaks pour ceux dans le besoin.

BANQUES – L’agence de notation Moody's s’inquiète de l’impact des nouvelles restrictions annoncées par le gouvernement irlandais. Celles-ci pourraient aggraver les pertes économiques et financières déjà subies par certains secteurs, à commencer par l’hébergement et la restauration, avec un effet d’entrainement sur la dégradation de la qualité des prêts accordés aux entreprises dans ces secteurs ainsi que sur les bilans des banques. D’après The Irish Times, les banques se préparent à de possibles créances irrécouvrables du fait des effets de la crise sanitaire. Comptant de nombreuses PMEs parmi ses clients, Allied Irish Banks (AIB) aurait ainsi réservé 1,2 Mds€ pour couvrir les risques de pertes attribuables à la situation actuelle. De même, Bank of Ireland (BoI) aurait mis de côté 937 M€ et Ulster Bank 278 M€. Sur une note plus positive, Moody’s indique que le niveau de fonds propres des banques irlandaises devrait fournir un coussin suffisamment robuste pour couvrir les possibles pertes et la dégradation des actifs qu’elles détiennent.

PAIEMENT SANS CONTACT – D’après la BPFI, le paiement sans contact continue de progresser en raison de la crise sanitaire. Il a, en effet, atteint un nouveau record au troisième trimestre 2020 : 182 millions de paiements ont été effectués pour une valeur totale de 2,9 Mds€. Le nombre de paiements a ainsi augmenté de +36% au troisième trimestre 2020 par rapport à la même période en 2019 et la valeur totale de +77%.

ASSURANCES – Selon Insurance Ireland, le secteur des assurances verserait 250 M€ d’indemnités par semaine sous l’effet de la pandémie. Une affaire attire toutefois beaucoup l’attention : elle oppose près de 1 000 propriétaires de pubs à l’assureur FBD Insurance qui refuse de les indemniser pour les pertes causées par les restrictions sanitaires. Le jugement est attendu au début de l’année prochaine.

Entreprises

IMPACT ÉCONOMIQUE DE LA COVID-19 – Les secteurs d’activité les plus exposés à la crise sanitaire en Irlande comprennent, entre autres, les transports, le tourisme et les activités de loisirs. Les compagnies aériennes sont les premières touchées. Selon l’Irish Aviation Authority, le nombre de vols a chuté de -83% (g.a.) en mai et -65.1% (g.a.) en août 2020. Ryanair a annoncé ce mois-ci la fermeture de ses bases à Cork et à Shannon jusqu’en avr.-21, entrainant la mise à pied temporaire de 135 pilotes et membres d’équipage. Le secteur aérien appelle le gouvernement à mettre en place des mesures favorisant la reprise progressive de l’activité dans les transports et le tourisme, comme par exemple des tests de dépistage réalisés dans les aéroports en alternative à la quarantaine ou encore la mise en œuvre, à partir du 8 nov.-20, de la carte unique européenne en matière de déplacements internationaux (Traffic Light System).

Un autre secteur en difficulté : les pubs irlandais. La fermeture provisoire de ces établissements compte tenu des exigences sanitaires s’installe dans la durée et occasionne d’importantes pertes d’exploitation pour les propriétaires de ces lieux. Selon une étude du Drinks Industry Group of Ireland, un pub sur trois pourrait fermer définitivement ses portes dans les mois à venir.

BREXIT – Le 25 oct.-20, Leo Varadkar a annoncé le lancement d’un outil d’autodiagnostic en ligne, l’Enterprise Ireland Brexit Readiness Checker, afin d’aider les entreprises à se préparer au mieux à l’approche de la fin de période de transition du Brexit. Invitées à répondre à un questionnaire sur des sujets tels que les procédures douanières, la gestion des devises ou encore la protection des données, les entreprises reçoivent un rapport personnalisé contenant des conseils sur les mesures à prendre en fonction de leur degré de préparation. Selon une enquête d’Enterprise Ireland, une entreprise sur quatre n’est pas sûre de savoir comment se préparer au mieux à l’échéance du 31 déc.-20.

FINANCEMENT DES START-UPS – Selon l’Association des marchés financiers en Europe (AFME), l’Irlande est le pays européen qui offre les meilleures conditions de financement des startups par capital-investissement et capital-risque, avant l’Estonie et le Royaume-Uni. C’est ce qu’indique le Pre-IPO Risk Capital, un indicateur de performance clé pour mesurer l’accès des startups et des entreprises non cotées au financement pour l’innovation (Voir Figure 10). Toutefois, le rapport souligne que le bon classement irlandais résulte davantage de la contraction des prêts accordés aux PMEs par les banques (= 1,5 Mds€) qu’à l’augmentation des flux d’investissement en capital-risque (= 300 M€) au premier semestre 2020.

Figure 10 : Pre-IPO Risk Capital, 2020
Source : AFME

Figure 11

SUSTAINABLE DEVELOPMENT GOALS (SDGs) – D’après un rapport publié par la société d’investissement Legal & General Investment Management (LGIM), les entreprises irlandaises sont parmi les meilleures au monde à adopter des objectifs et politiques climatiques pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 mais peinent à réduire leurs émissions, totalisant l’écart le plus important entre leurs engagements (théorie) et leurs résultats environnementaux (pratique).

 


[1] Les prévisions indiquées sont récentes (elles datent du début du mois d’octobre) mais susceptibles d’être mises à jour pour tenir compte des nouvelles mesures de confinement annoncées par le gouvernement irlandais, le 19 octobre 2020.

Evolution des indicateurs macroéconomiques

Tableau mensuel

Tableau mensuel

Tableau annuel

Tableau annuel