Billet Agnès Bénassy-QuéréAu-delà du brouillard

Il est de bon ton de se moquer des économistes dont les prévisions s’avèrent généralement erronées, particulièrement dans les périodes de turbulences. Le plus sage serait de ne pas faire de prévisions. D’ailleurs, contrairement à la perception du grand public, la plupart des économistes ne font pas de prévisions. C’était mon cas il y a encore peu de temps.

Toutefois, on demande aux politiques macroéconomiques – monétaire et budgétaire – de stabiliser l’économie : politiques restrictives en cas de boom de l’activité, expansionnistes en période de crise comme c’est le cas aujourd’hui. Pour régler ces politiques, on est bien obligé de faire des hypothèses sur l’évolution à venir de l’activité.

Par ailleurs, le diagnostic que l’on peut porter sur l’état des finances publiques dépend fondamentalement de ces prévisions. Les prélèvements obligatoires sont plus ou moins proportionnels au PIB, donc le rapport entre prélèvements et PIB dépend peu de la conjoncture : en cas de crise, les recettes fiscales chutent en niveau mais non en part du PIB, à peu de chose près. Au contraire, les dépenses publiques ne réagissent presque pas, spontanément, aux variations du PIB. En France, les dépenses publiques représentant environ la moitié du PIB. Si ce dernier diminue de 10% en 2020, comme l’anticipe aujourd’hui le Gouvernement, le déficit augmentera automatiquement de 5% du PIB, avant même tout plan de relance. Ce n’est pas grave dans la mesure où cette situation en principe ne se répètera pas et où les marchés sont disposés à prêter la somme correspondante. Cependant, les parlementaires doivent en être correctement informés. 

Par rapport à la projection réalisée en juin pour le Débat d’orientation des finances publiques, la nouvelle prévision du gouvernement pour 2020 et 2021 tient compte de trois éléments nouveaux :

  1. Le rebond relativement vif de l’activité durant l’été en France, et donc un premier semestre meilleur que prévu ;
  2. La dégradation, en France comme chez nos partenaires, de la situation sanitaire depuis la fin de l’été, qui pourrait ralentir la consommation et l’activité fin 2020 et devrait se normaliser progressivement au cours de l’année 2021 ;
  3. Le plan de relance annoncé le 3 septembre, dont certaines mesures (prime à l’embauche par exemple) sont déjà en place et qui devrait relever le niveau du PIB d’environ 1 ½ point de pourcentage en 2021 par rapport à un scénario sans plan de relance.

La combinaison de ces trois éléments amène à prévoir un recul du PIB de 10% en 2020, puis un rebond de 8% en 2021. En 2021, le PIB s’établirait 2,7% au-dessous de son niveau de 2019. Au-delà de leur appréciation de la profondeur de la crise (2020) et de la vigueur du rebond (2021), les prévisions les plus récentes pour la France placent toutes le PIB 2021 entre 2 et 4 pt en-dessous de son niveau en 2019 (graphique 1).

Graphique 1. Profil du PIB, prévisions de septembre 2020
(indice 100 en 2019)

Graphique profil du PIB, prévisions de septembre 2020

Source : Banque de France, Consensus Forecasts, OCDE et DG Trésor, septembre 2020.

 

Tout exercice de projection économique se fonde sur un modèle macroéconomique (dans le cas de la DG Trésor, il s’agit du modèle Opale) dans lequel on injecte une série d’hypothèses sur (1) l’environnement international (croissance des autres pays, commerce mondial, prix du pétrole, taux de change, etc.), (2) le contexte national hors du champ économique immédiat (démographie, situation sanitaire, évolution du climat…) et (3) les politiques publiques (graphique 2). D’ordinaire, les incertitudes se concentrent sur le contexte international et les comportements des ménages et des entreprises. Aujourd’hui, néanmoins, les projections sont suspendues à l’évolution très incertaine de l’épidémie, à la manière dont les acteurs privés (entreprises et ménages) et publics (collectivités, universités, etc.) adapteront leurs comportements à cette situation totalement inédite et, enfin, à la façon dont ils se saisiront des aides contenues dans le plan de relance.

Graphique 2. La fabrique des prévisions

La fabrique des prévisions

Les moteurs de la reprise

Le rebond de l’activité en 2021 devrait s’appuyer sur trois moteurs : la consommation des ménages, l’investissement des entreprises et l’investissement public.

Consommation des ménages

En 2020, les revenus des ménages ont, dans leur ensemble, été préservés de la crise grâce aux différents dispositifs de soutien, notamment l’activité partielle. Compte tenu des contraintes sur la consommation durant le confinement, ils ont accumulé une épargne qui pourrait atteindre de l’ordre de 100 milliards d’euros en fin d’année. De fait, le taux d’épargne des ménages (rapport entre l’épargne et le revenu disponible) a bondi lors du confinement, de 15% au quatrième trimestre 2019 à 27% au deuxième trimestre 2020 (chiffre Insee). Sur l’ensemble de l’année, la DG Trésor estime que le taux d’épargne pourrait se situer en moyenne à 21% et redescendre à 17-18% en 2021. Il resterait donc supérieur à son niveau d’avant-crise en raison de comportements de précaution liés à la situation sanitaire encore incertaine et à la dégradation du marché du travail par rapport à l’avant crise. Pour la même raison, l’investissement des ménages (notamment dans leur logement) resterait en repli par rapport à 2019.

Graphique 3. Taux d’épargne des ménages
(en % du revenu disponible)

taux d'épargne des ménages
 

Sources : Insee, DG Trésor (septembre 2020).

Investissement des entreprises

En 2020, les entreprises ont subi de plein fouet la crise sanitaire. Sur les deux premiers trimestres, le taux de marge (rapport entre l’excédent brut d’exploitation et la valeur ajoutée) a diminué de plus de 7 points de pourcentage pour les sociétés non financières (Insee). Sur l’ensemble de l’année, le taux de marge des entreprises non financières ne diminuerait de 4 points de pourcentage. Cette baisse, qui comprend 1,3 point dû au contrecoup de la suppression du CICE (remplacé depuis 2019 par des allègements de charges), apparaît relativement contenue au regard du choc d’activité subi par l’économie, et est atteinte grâce aux nombreuses mesures de soutien public, et notamment l’activité partielle. Sans surprise, l’investissement a fortement reculé au premier semestre. Sur l’ensemble de l’année, la baisse du taux d’investissement des entreprises (investissement rapporté à leur valeur ajoutée) serait limitée à seulement 1 point de pourcentage  en raison de la baisse presque aussi importante du dénominateur (la valeur ajoutée) que du numérateur (l’investissement).

En 2021, en revanche, on peut s’attendre à un rebond prononcé des taux de marge et des taux d’investissement sous l’effet notamment du plan de relance (en particulier la baisse des impôts de production). Le redressement des marges, combiné à une demande dynamique et à une intervention en fonds propres (permettant aux entreprises fragiles de réduire leurs taux d’endettement) seront favorables à l’investissement.

Graphique 4. Taux de marge des sociétés non financières
(en % de la valeur ajoutée)

taux de marge des SNF

Sources : Insee, DG Trésor (septembre 2020).

Investissement public

L’investissement public a reculé en 2020 en raison non seulement de la crise, mais aussi du cycle électoral local, l’investissement étant en grande partie à l’initiative des communes et traditionnellement bas en année électorale. Sur l’ensemble de l’année, l’investissement public devrait cependant beaucoup moins reculer que l’investissement des entreprises  et celui des ménages, jouant déjà un rôle d’amortisseur. Le plan de relance contribuerait à le faire bondir de plus de 9% en 2021.

Ce scénario macroéconomique, sur lequel sera adossé le projet de loi de finances pour 2021, sera présenté en détails dans le Rapport Economique, Social et Financier qui sera rendu public début octobre.

***

 Lire aussi :

English version: Growth at the end of the tunnel

>> Tous les billets d'Agnès Bénassy-Quéré, chef économiste de la DG Trésor